L'intelligentsia de la communauté musulmane tient à se démarquer de l'attaque contre Charlie Hebdo. Elle s'inquiète du risque d'amalgame. «Nous craignons un vent de panique ; et un point de rupture serait fatal pour la cohésion de notre société !» Hier matin, Nabil Ennasri, politologue spécialiste en sciences islamiques, s'est réveillé, comme de nombreux autres musulmans, inquiet pour l'islam et pour le pays dans lequel il vit et travaille, la France. En Algérie, c'est Hamid Demmou, président de l'association internationale soufie Alâwiyya, qui s'est exprimé hier, s'associant «à toutes les voix qui s'élèvent en France et partout dans le monde pour condamner ces actes odieux». «Nous appelons à agir ensemble pour défendre les valeurs de notre société, car c'est son essence même qui est visée.» L'association dénonce des actes de barbarie et appelle : «Ne laissons pas l'ignorance justifier l'intolérable.» Sous l'appelation «Musulmans de France», l'instance représentative de la première communauté musulmane d'Europe, forte de 3,5 à 5 millions de membres, a également réagi dans un communiqué condamnant «l'acte terroriste barbare». De son côté, l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans, a condamné «de la manière la plus ferme cette attaque criminelle et ces horribles meurtres». Selon Nabil Ennasri, «ces criminels, qui pensaient venger le Prophète, ont surtout trahi le message de l'islam, usurpé le message du Prophète et mis dans un extrême embarras des millions de citoyens musulmans français». Le journaliste et chercheur en soufisme algérien, Saïd Djabelkhir, regrette que cet attentat soit revendiqué au nom de l'islam et n'est, en même temps, pas étonné que des musulmans tuent au nom de l'islam ! «Les textes référentiels de l'islam engendrent inévitablement des attitudes violentes de la part des croyants, quand ils sont lus et interprétés en dehors de l'histoire ou de leur contexte historique», affirme-t-il. Et de Continuer : «Le discours religieux traditionnel du fakih justifie effectivement cette violence, il nous faut beaucoup de courage pour le reconnaître mais il n'en demeure pas moins que c'est la réalité.» Diaspora Pour le chercheur, la meilleure solution pour combattre le terrorisme est de «s'attaquer aux textes religieux et aux lectures archaïques et discours qui continuent à engendrer et justifier ce terrorisme». Par ailleurs, le spectre d'une montée de l'islamophobie a fait son apparition dès mercredi. Les musulmans, de France ou d'ailleurs, s'attendent à des lendemains difficiles. Pendant les premières 24 heures après le crime, trois mosquées ont été visées dans trois villes françaises. A ce sujet, le ministre français de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a condamné, hier «avec la plus grande fermeté ces violences ou ces profanations», déclarant : «Nous ne tolérerons aucun acte, aucune menace visant un lieu de culte, pas plus qu'aucune manifestation hostile dirigée contre les Français en raison de leur origine ou de leur religion. Les auteurs de tels actes doivent savoir qu'ils seront eux aussi recherchés, arrêtés et punis.» «Il ne faut pas confondre islam et islamophobie», a lancé le président turc, Recep Tayyip Erdogan, lorsqu'il a condamné l'assassinat des journalistes de Charlie Hebdo. Hier, le gouvernement marocain a lui aussi mis en garde contre l'islamophobie. Le royaume qui compte une importante diaspora en Europe, appelle à éviter «l'amalgame entre islam et terrorisme» et à une «responsabilité collective» tout en condamnant «une attaque terroriste» et un «acte criminel». Plusieurs appels à des sit-in de deuil et de solidarité avec les victimes sont en outre lancés au Maroc, dont l'un est prévu, aujourd'hui à 18h, à Rabat, la capitale. Saïd Djabelkhir craint également que «cette attaque terroriste ne cause une montée de l'islamophobie en France», mais confiant, croit aussi que «l'esprit de citoyenneté l'emportera au final». Ce dernier propose que les musulmans de France et du monde entier sortent défendre la liberté d'expression et fassent entendre leur voix contre le terrorisme quels que soient son origine, sa forme et ses «justificatifs».