Mme Ouafia Adel, archéologue de formation faisant partie d'un nombre très restreint de cadres de la culture nommés par décret présidentiel, a été relevée de ses fonctions, affirme-t-elle, sans aucun avertissement préalable et sans recevoir jusqu'à ce jour le moindre document ni de la part de sa tutelle ni de la wilaya où elle était affectée jusqu'au mois d'août. Son limogeage est intervenu au moment où elle s'opposait fermement aux choix imposés par le wali pour la réalisation d'un projet culturel. Un arbre qui pourrait bien cacher une forêt. Alors que la jeunesse, toute la jeunesse de Souk Ahras, souffre de la quasi inexistence d'infrastructures culturelles dans leur ville, ce projet de réalisation d'une maison de la culture tarde à voir le jour après avoir traîné des suites d'une vive polémique soulevée entre le wali et la désormais ex-directrice de la culture. Cette dernière, qui crie au scandale et estime avoir été sacrifiée « pour que des parties occultes bénéficient des milliards du projet », vient d'adresser en dernier recours une lettre détaillée au président de la République. L'objet de la lettre implique le wali de Souk Ahras et des cadres du ministère de la Culture accusés de « complicité pour avoir fermé l'œil sur la violation de la loi sur les marchés publics et la dilapidation des deniers publics ». Les péripéties de cette affaire montrent qu'il y a bien anguille sous roche. En effet, la décision d'inscription en PSD, réceptionnée en octobre 2005 et destinée à la réalisation et l'équipement d'une maison de la culture pour un montant de 300 millions de dinars, s'est tout de suite transformée en cauchemar dès l'apparition des premières divergences sur le choix du terrain. Face à la directrice qui espérait planter l'ouvrage au cœur de la ville pour qu'il puisse rayonner et faire bénéficier aisément les jeunes, le wali a proposé un terrain situé en dehors du périmètre urbain et inaccessible par voie carrossable. Les désaccords ont été déclarés lors de la réunion du 2 janvier 2006, durant laquelle certains membres de la commission de choix du terrain (présidée par le wali) ont exprimé leur désapprobation quant au nouveau site proposé par le wali, Miloud Tahri. Les représentants de l'APC, de Sonelgaz, de la conservation des forêts, de la direction de l'industrie et des mines, du cadastre en plus de la direction de la culture ont signé le PV de réunion en ajoutant l'observation « Terrain inapproprié ». « Ce niet a provoqué l'ire du wali qui a menacé les récalcitrants et s'est entêté à réaliser le projet sur ce terrain », affirme Mme Adel. Ce terrain situé à des kilomètres, loin du périmètre urbain sur le flanc de la montagne qui surplombe la ville est privée de toutes commodités en gaz naturel, électricité, réseau AEP et voirie. Nous nous sommes rapprochés du cabinet du wali et nous avons demandé avec insistance à obtenir une entrevue et des éclaircissements sur ce choix. En vain. Une démarche intrigante La polémique va prendre de l'ampleur dès la décision du wali d'octroyer le marché d'étude selon la formule gré à gré. Une option refusée aussi par la directrice qui raconte : « quand j'ai constaté que la loi allait être ignorée, j'ai pris l'initiative de mettre le wali au pied du mur en publiant l'appel au concours national d'architecture. ». Toujours selon Mme Adel, « le wali avait décidé de la création d'une commission de choix du bureau d'études et m'a obligée à désigner des personnes qui n'ont rien à voir avec le métier d'architecture, à l'image du représentant de l'ONM, un directeur d'école, un historien et une jeune vacataire à l'université. Cela, contrairement à l'article 12 du cahier des charges visé par la commission des marchés publics », lit-on dans la lettre. L'article 12 , en effet, stipule : « La commission est composée de spécialistes en architecture et la directrice a le pouvoir de faire appel à toute personne pouvant assister la commission. » La démarche du wali devenait suffisamment intrigante pour pousser la directrice à en comprendre les tenants et les aboutissants. Elle conclura dans sa lettre : « L'objectif derrière la réalisation de la maison de la culture dans un lieu difficile et isolé, étant connu de tous dans la wilaya, est le plan concocté par le wali et son ami député MSP à l'APN pour la création d'un nouveau projet de réalisation d'une route menant à l'infrastructure sachant que ce dernier est propriétaire d'une entreprise de travaux routiers. » La réunion du jury en date du 22 février décidera de la sélection de trois bureaux sur les neuf soumissionnaires « suivant la méthode du vote du wali avant les autres membres en violation de l'article 11 du cahier des charges qui indique que le vote se fait selon une échelle de notation ». Les membres auraient refusé de signer le PV afin de ne pas cautionner la démarche (une copie de ce PV non signé est en notre possession), mais une semaine après, et en l'absence de la directrice qui s'est déplacée au ministère pour exposer le problème, le jury s'est réuni de nouveau et a octroyé le marché « en faisant signer le secrétaire général de la wilaya à ma place », s'est indignée Mme Adel. Quelques jours après, une décision émanant du secrétaire général de la wilaya et datée du 11 mars signifiera à la directrice de transférer le dossier de la maison de la culture à la direction de l'urbanisme et de la construction, selon une décision qu'aurait signée le wali le 15 mars ! Toute la procédure de passation du marché d'étude est ainsi « entachée d'irrégularités », souligne la plaignante, qui précise que tout a été cousu de fil blanc afin que le projet échoit au bureau d'études appartenant à K.N., une parente du député. Mais le fait étrange est ce silence de la tutelle face aux multiples sollicitations de Mme Adel qui n'a pu rencontrer aucun responsable à l'occasion de son voyage à Alger. Le même sort a été réservé aux nombreuses lettres, notamment la demande d'audience destinée au secrétaire général du ministère de la Culture et datée du 15 mars. Dans son rapport envoyé au président de la République, Mme Adel s'est dite étonnée de l'attitude immobiliste du ministère de la Culture, pourtant concerné en premier lieu par le projet, et souligne son scepticisme à l'égard de ses cadres accusés d'avoir sciemment omis de transmettre son cri à Khalida Toumi. Dans le rapport, elle cite les noms de la directrice centrale chargée du patrimoine, du secrétaire général et de l'inspecteur général. « Ce dernier qui a exercé en tant que wali se trouve être un ami de Miloud Tahri », ajoute la plaignante. Mais ce qui la révolte le plus, c'est qu'à deux reprises et lors des réunions, le wali a exhibé des rapports confidentiels envoyés la veille par la directrice à sa tutelle pour informer qui de droit de l'évolution du problème. De notre part, nous avons tenté à plusieurs reprises d'entrer en contact avec ces responsables, mais nous n'avons pu rencontrer que M. Hamadache, l'inspecteur général. Ce dernier nous a indiqué que le remplacement de la directrice s'est fait le plus normalement du monde dans le cadre d'une opération de passation de consignes, mais s'est refusé, toutefois, à nous dire s'il y a eu une quelconque notification adressée au cadre démis. Au sujet des accusations portées contre sa personne dans le rapport, M. Hamadache a répondu : « Je n'ai aucune idée de ces allégations et je n'ai pas à vous répondre. » La rue s'implique Face à la tournure de cette affaire, qui était sur toutes les lèvres à Souk Ahras, la réaction allait venir enfin de la société civile qui tentera de voler au secours du projet. Dans un réquisitoire au vitriol signé par une vingtaine d'associations locales, le DUC, sous couvert du wali, a été accusé de tous les maux dont souffre la ville de Souk Ahras, entre autres « le projet de la maison de culture dont le choix irréfléchi, illégal et opportuniste du terrain situé dans une zone montagneuse et isolée […] et la méthode d'octroi du marché contraire au cahier des charges et qui emprunte le népotisme … ». Les associations iront jusqu'à proposer un terrain en plein centre-ville qui sert honteusement comme marché hebdomadaire de bétail. Mais leurs doléances resteront lettre morte et la volonté du wali triomphera avant que cela ne s'achève par la suspension de la directrice. Une suspension perçue par tous comme une leçon destinée à dissuader quiconque ose défier le wali. Depuis ce jour, les choses ont changé à Souk Ahras et de nombreux partenaires, y compris les élus de l'APC, tentent d'avaler la pilule et de trouver du charme au terrain choisi. L'idée qui fait son chemin et gagne l'unanimité consiste à dire que « ce terrain est situé dans le nouveau POS n° 8 en préparation, où se trouvent également le projet du campus universitaire et de nombreux équipements formant l'extension extra-muros de la ville », nous affirme le DUC, Ali Benaïssa qui nie toute violation de la loi dans la procédure de passation du marché d'étude. Pour lui, le vieux Souk Ahras est saturé et le choix porté sur ce nouveau terrain est judicieux d'autant plus qu'il offre 3 hectares. Une superficie qui fait beaucoup d'heureux comme s'il s'agissait d'une norme internationale et une condition sine qua non pour la construction d'une maison de la culture. De son côté, Rabah Hakim, vice-président de l'APC chargé de l'urbanisme, estime que « tous les choix sont discutables et ce choix peut être valable dans 20 ans ». Une formule sibylline mais ô combien chargée de sagesse et aussi du sens de la prospective. De quoi contenter certainement les milliers de jeunes sevrés de culture et d'espaces culturels à Souk Ahras qui auront à résister encore vingt ans dans leur désert urbain et demeurer jeunes si possible.