Avec l'exacerbation de la controverse suscitée par l'exploitation du gaz de schiste dans le Sud du pays, les membres de Algeria Solidarity Campaign (ASC) estiment plus qu'opportun de replacer au-devant de l'actualité le rapport exhaustif dont ils sont coauteurs pour dénoncer l'implication des grandes puissances occidentales, dont et surtout le Royaume-Uni dans la déprédation de nos ressources énergétiques. Business first (Les affaires d'abord), telle est l'approche qu'a de tout temps choisi d'adopter le Royaume-Uni à l'égard de l'Algérie, déplore d'emblée l'ASC. Préserver les intérêts des entreprises des énergies fossiles, œuvrer à obtenir la mainmise sur le gaz algérien, renforcer la coopération militaire, entraîner les forces spéciales, travailler avec les services de renseignement, le gouvernement britannique en a, en effet, toujours fait l'une de ses priorités absolues. Les violations des principes démocratiques et des droits humains lui importent peu. C'est ce qu'ont tenté de mettre en relief, chiffres et accablantes révélations à l'appui, ASC et Platform —cette dernière, une association indépendante britannique qui surveille l'industrie mondiale des hydrocarbures — dans leur dernier rapport conjoint sur la collusion britannique avec le régime algérien, intitulé «Le renforcement des dictatures : accaparement du gaz par le Royaume-Uni et les violations des droits humains en Algérie». «BP et le gouvernement britannique continuent toujours d'ignorer les mouvements sociaux et la société civile, et préfèrent plutôt aider activement à consolider un régime extrêmement répressif et corrompu, en contribuant à sa longévité», s'indignent les auteurs du rapport dont une copie nous est parvenue de Amine Mouffok, chargé de la communication à ASC. Quelles peuvent être les motivations réelles derrière ce soutien britannique indéfectible au régime algérien ? Dans sa démarche, la politique extérieure du Royaume-Uni a pour but de «sécuriser le gaz naturel nord-africain dans les réseaux de distribution européens et britanniques et est fortement influencée par les intérêts de l'armement et des énergies fossiles. Partant, le gouvernement conservateur a toujours courtisé le régime algérien et soutenu les ventes d'armement entre les entreprises britanniques et l'Algérie, en plus d'encourager un plus grand rôle pour BP», expliquent Platform et ASC. Car le gaz constitue actuellement une partie intégrante de l'ensemble de l'alimentation énergétique du Royaume-Uni, produisant 40% de l'électricité en 2011. Troisième fournisseur de gaz de l'Europe Comme l'extraction domestique diminue, le gouvernement s'attend à ce que les importations représentent une proportion plus élevée de l'approvisionnement en gaz dans l'avenir. En matière de Gaz naturel liquéfié (GNL), le fournisseur le plus proche, fiable et stable n'étant autre que notre pays. «L'Algérie est vue comme étant bien placée pour répondre à la demande croissante. Etant le plus grand pays d'Afrique, elle a aussi l'avantage de l'abondance des hydrocarbures, des infrastructures de transport de gaz et la proximité avec l'Europe du Sud», lit-on dans le même document. Actuellement, l'Algérie exporte 16,2 milliards de mètres cubes (mmc) par an de GNL, avec des plans pour l'augmenter à 21 mmc/an en 2016. Ce qui le conforte dans sa position de troisième fournisseur de gaz de l'Europe, après la Russie et la Norvège. Aussi, de par ses réserves prouvées de gaz naturel, les plus grandes en Afrique, elle a été identifiée comme un marché prioritaire dans la «Politique de la Sécurité Energétique» du Department of energy and climate change (DECC), (Département de l'énergie et du changement climatique) britannique, précise le rapport. Mieux, notre pays est en mesure de satisfaire environ 10% de la demande en gaz du Royaume-Uni dans les années à venir, via le terminal de GNL, nouvellement agrandi, de Isle of Grain, dans la région du Kent, assure, pour sa part, l'UK trade and investment defence security organisation (UKTI-DSO), (Département du commerce et d'investissement- Organisation de défense et sécurité). La collusion britannique avec le pouvoir algérien ne date pas d'hier et remonte à bien des lustres. En effet, tiennent à rappeler Platform et ASC dans leur rapport, «le Royaume-Uni et l'Algérie ont une longue histoire de collaboration dans le domaine des méthaniers, s'étendant sur un demi-siècle, avec le premier méthanier commercial du monde livrant du carburant d'Arzew à Canvey Island, dans l'estuaire de la Tamise». Pour ce qui est du partenariat entre les deux pays dans le domaine énergétique, BP a signé sa première joint-venture en Algérie en 1995. Toujours plus de concessions Poursuivant sa politique d'accaparement du gaz algérien, l'establishment britannique s'empresse à établir des relations encore plus étroites avec le régime algérien, y compris en ce qui concerne la vente d'armes, ainsi que le soutien à un rôle élargi de BP. Selon des documents obtenus par Platform, lit-on dans le même rapport, Londres cherche activement à «accroître les importations de GNL d'Algérie et s'est efforcé de renforcer cette relation par le biais de nombreuses visites d'échanges entre les deux pays et un dialogue de haut niveau sur l'énergie depuis ces 4 dernières années». Et ce, en plus de la mise sur pied de Algeria british business council (ABBC) (Conseil d'affaires algéro-britannique), est-il indiqué dans le rapport de Platform et ASC. Et, afin de garder la mainmise des compagnies internationales sur nos ressources pétrolières et gazières, les politiques britanniques usent et abusent de procédés tendant à inciter les compagnies pétrolières internationales avec lesquelles ils travaillent étroitement à faire pression sur le gouvernement algérien pour qu'il fasse de nouvelles concessions. En témoigne la table ronde qui a été organisée par le Foreign Office en avril 2013 pour faire place aux sociétés pétrolières, telles que BP, Shell, ExxonMobil, Hess, OMV et Petroceltic, afin qu'elles puissent promouvoir leurs intérêts quant aux modifications à la loi algérienne des hydrocarbures. Pour leur part, les responsables du Department of energy and climate hange (DECC) ont récemment engagé d'intenses discussions avec le ministre de l'Energie, Youcef Yousfi, l'idée que l'Algérie s'éloigne des contrats de gaz indexés sur le pétrole, généralement favorisés par les producteurs de gaz, vers une indexation du type «Hub-Linked». Pour faire pression sur les officiels algériens de l'énergie, certains hauts responsables d'entreprises pétrolières et gazières britanniques ont été réunis lors d'un dîner exclusif organisé le 15 avril 2013 à l'hôtel Stafford par Lord Marland, l'envoyé spécial du Premier ministre britannique pour le commerce et les investissements étrangers, est-il noté dans le rapport. Les Britanniques sont également en appétit féroce pour nos ressources d'énergies renouvelables, notamment l'énergie solaire. Martyn Roper, l'ambassadeur du Royaume-Uni en Algérie, serait, selon les auteurs du rapport, très actif dans ce domaine depuis sa nomination en décembre 2010. Mais ce qui compte le plus pour Londres, c'est de renforcer davantage la position de BP dans notre pays. La fusion avec Amoco en 1998 et l'acquisition d'Arco en 2000 a fait de ce mastodonte le premier investisseur étranger en Algérie, avec plus de 5 milliards de dollars d'investissements, précise-t-on. L'intervention de BP est surtout axée sur l'extraction de gaz dans deux projets d'envergure, à In Salah et In Amenas, en partenariat avec Sonatrach et Statoil Hydro, et où la compagnie détient une part de 33,15% dans chaque projet. Et, tiennent à souligner Platform et ASC, les menaces de sécurité que la crise des otages à In Amenas a révélées en janvier 2013 n'ont pas fait fléchir la détermination de BP à travailler avec le régime algérien. In Amenas, une auguste opportunité La compagnie britannique continue ses efforts de lobbying pour obtenir des clauses contractuelles plus favorables. «Tandis que Statoil a déjà effectué et publié sa propre enquête sur la crise des otages, BP a déclaré qu'elle ne prévoyait pas de faire de même. Son porte-parole, Robert Wine, a affirmé qu'en raison de la nature de l'incident et le fait que la réponse était une opération militaire algérienne, il y a plusieurs questions qui se posent auxquelles BP n'est pas en mesure de répondre», relève le rapport. Ce dernier met par ailleurs l'accent sur le croisement des intérêts énergétiques et d'armement et montre que cette crise d'In Amenas a été une auguste opportunité qui s'était offerte aux Britanniques pour appuyer leur soutien à la militarisation dans notre pays. «Le rôle de l'Algérie dans la guerre contre le terrorisme global a été renforcé à la suite de l'attaque d'In Amenas, avec les intérêts occidentaux approfondissant la collusion avec le régime». «Des expressions telles que la lutte contre le terrorisme, la coopération sécuritaire et ‘‘nos intérêts'', répétées par David Cameron lors de sa visite historique en Algérie ont souvent été des euphémismes pour des termes tels que la ‘‘militarisation'' et les accords économiques lucratifs. Le langage fait partie d'un agenda diplomatique de la promotion des intérêts et de l'influence britanniques en Algérie», s'indigne-t-on. Notre pays est ainsi devenu un grand marché à conquérir. Mieux, il a été répertorié comme un «marché de priorité» par le UK trade and investment defense and security organisation (UKTI DSO) en 2010/11. Il est clair que le renforcement du partenariat militaire et commercial avec l'Algérie fait partie de la «diplomatie de l'énergie» du Royaume-Uni, visant à garantir le contrôle des ressources stratégiques en Afrique du Nord.