Timimoun ou Tin Mimoun et enfin l'Oasis rouge, sise à une distance de près de 1300 km au sud-ouest d'Alger, recèle des trésors accumulés à travers les siècles. Timimoun, ce sont des ksars, des foggaras ou Ifilou, comme l'appellent ses habitants, un patrimoine culturel oral et matériel, des traditions millénaires et aussi des ressources archéologiques… hélas en voie de disparition. L' architecture originale de Timimoun s'amenuise sous les coups battants du parpaing et des matériaux de construction modernes, qui ne sont aucunement compatibles avec la nature et la géographie du Sahara. Du coup, les sites historiques sont de plus en plus désertés par leurs habitants, alors qu'ils réclament un entretien quotidien. D'ici 20 ans, il n'y aura plus de Timimoun ancienne, la vraie. Elle perd de son authenticité. Le touriste en quête d'exotisme ne trouvera que le béton qu'il a laissé dans les grandes villes. Il ne sera plus dépaysé. L'image qu'on se fait de Timimoun et de son architecture unique est à son crépuscule. Vu l'importance du patrimoine architectural de Timimoun, Cap Terre ou le Centre algérien du patrimoine culturel bâti en terre l'a choisi comme siège national. L'inauguration a eu lieu en mai 2014. Une équipe de jeunes et d'ambitieux architectes essayent de rétablir l'ordre «architectural» de l'Oasis rouge. «Il y a des solutions techniques pour reconstituer les ksars et autres bâtisses à l'identique. Le problème, c'est la démolition intentionnelle sous prétexte de rénovation. C'est le pire qui puisse arriver», dira Mourad Hacini, architecte au Cap Terre. De visu, le constat est effarant. Les constructions en béton semblent tout engloutir. Il ne reste que les décombres des anciennes maisons. «Notre organisme Cap Terre se base sur deux axes. Celui du travail sur le terrain avec des gens pour promouvoir l'image de l'architecture de terre comme technique et savoir-faire. L'axe de la valorisation à travers des opérations de restauration, de réhabilitation et de remise à niveau», explique l'architecte. Malgré les avantages et le confort des logements en terre, le mode de vie «moderne» a pris le dessus à Timimoun. Chaque édifice abandonné, qu'il soit en terre ou en béton, se désintègre. «Le coût d'une réalisation avec du matériau local, c'est-à-dire en terre, est très compétitif par rapport aux nouvelles réalisations en béton. On a 50% de moins. Nous avons aussi le coût de l'utilisation. L'énergie qu'on gaspille dans les logements en béton n'est plus utile dans les logements en terre, à l'instar de la climatisation et du chauffage. Ce qui est bien avec les matériaux de construction traditionnels (l'argile), c'est qu'ils sont récupérables. On peut les réutiliser même pour l'agriculture, contrairement aux matériaux de construction industriels. Ces derniers sont une source de pollution. Leur destruction consomme beaucoup d'énergie et d'argent. C'est laborieux», estime notre interlocuteur. Des tentatives pour se rattraper La bonne nouvelle à Timimoun, c'est la réelle volonté de quelques habitants de renouer avec l'architecture de terre. Mais, en somme, ce sont des initiatives timides. Là aussi, des problèmes surgissent. «Il y a des problèmes réels, notamment le manque de qualification de la main-d'œuvre. Il y a aussi une méconnaissance presque totale des matériaux de terre, c'est étonnant et malheureux à la fois. Pour moi, la vraie problématique, c'est l'abandon et le délaissement de ces sites historiques. On fait face à un cercle vicieux. Les gens sentent un malaise dans les anciennes bâtisses en terre, parce qu'ils ont changé de mode de vie. Et avec le nouveau mode de vie et d'architecture, c'est pire encore. Elle ne correspond pas aux spécificités du Sud». Dans leurs tentative de résoudre, un tant soit peu, ce casse-tête et sortir du cercle vicieux, l'architecte Mourad Hacini préconise de relancer la production des matériaux en terre pour les nouvelles constructions. Une fois l'offre abondante, elle fera objet d'un axe sur lequel le Cap Terre pourra se baser. «Nous sommes là pour résoudre les problèmes techniques. Le secteur de l'habitat a des priorités qu'on comprend, mais qui utilise des solutions qui ne sont pas adéquates. Il faut comprendre aussi que le patrimoine c'est la modernité du passé. Ce qui est modernité d'aujourd'hui, sera patrimoine de demain. De ce fait, le patrimoine, ce sont des solutions qui ont fait leurs preuves. Nous devons changer de vision. Nous pouvons laisser aux générations de demain quelque chose de mieux que des constructions en parpaing.» Le génie humain dans les anciennes constructions n'a pas d'égal. Sous le soleil de plomb du Sahara et ses nuits d'hiver glaciales, la maison en terre régule la température par inertie thermique. Ce sont des constructions bioclimatiques aussi. La terre absorbe et restitue l'humidité. C'est un très bon isolant phonique. Ses avantages écologiques sont nombreux. La terre utilise peu d'eau en phase de transformation. Elle est une ressource locale abondante et renouvelable, sans parler de ces vertus thérapeutiques. Elle soigne les affections de la peau, détruit les bactéries et les acariens. La construction en terre n'utilise que 3% de l'énergie employée dans une construction en béton. La moyenne de l'âge des ksour de Timimoun est estimée entre 7 et 8 siècles, voire plus. Le festival d'Ahalil, l'arbre qui cache la forêt Le Festival d'Ahalil ou Ahellil est connu de tous comme le symbole incontestable de Timimoun par les chants et les mélodies, les danses folkloriques, l'ambiance, etc. Il a été classé patrimoine culturel immatériel par l'Unesco en 2005. C'est une forme d'appartenance à un groupe social ou communautaire. Malheureusement, les dessous du festival ne sont connus que par les artistes locaux, marginalisés. C'est ce que révèle Abdelhai Oussedik, président de l'association culturelle Tifaout Tiziri (Lumière de la lune), qui œuvre pour préservation du patrimoine culturel matériel et immatériel de Timimoun. Abdelhai évoque avec amertume ce qu'il qualifie de mascarade. «Le festival d'Ahalil est loin de représenter la vraie culture de Timimoun. C'est de l'amateurisme. Les vrais artistes n'ont jamais participé à l'Ahalil. Ils sont tout simplement mis à l'écart. Même le règlement intérieur du festival est méconnu. C'est le patrimoine culturel de Timimoun qui disparaît.» D'autres associations ont conjugué leurs efforts pour un éventuel changement de la situation, à l'instar de l'association Adgha n'Tghanimt et Masabih. En vain. L'artisanat local aussi est en déclin. Les artisans font face à de nombreux problèmes. Il est rare de trouver des ateliers ou des magasins d'artisanat traditionnel à Timimoun. Le touriste retournera chez lui presque les mains vides. «Nos artisans abandonnent de plus en plus leur métier faute de commercialisation de leurs produits. Le circuit commercial demeure fermé. Ces métiers ne sont plus rentables. On n'encourage plus les initiatives locales de nos artisans. Inexistence des espaces pour étaler la marchandise. L'abandon des métiers de l'artisanat aura des retombées négatives sur toute la région. Il n'y aura plus de relève. Le savoir-faire ancestral est en déperdition», note Ghamti Ouebarka, poète et chercheur dans le patrimoine amazigh à Timimoun. Ce dernier tire la sonnette d'alarme aussi concernant la langue taznatit (le zénète), une langue berbère du Sahara. Le chercheur estime qu'il est impératif de la sauvegarder, et ce, à travers son enseignement à l'école.