La pollution des eaux du barrage de Beni Haroun, qui est loin d'être une pure fiction, ne constitue toujours pas une source d'inquiétude pour les responsables de l'immense ouvrage hydraulique, vu sa faiblesse à l'heure actuelle. Le directeur du barrage, A. El Manaâ, en s'exprimant tout récemment sur le sujet, n'a pas nié l'existence d'une certaine pollution, «mais qui reste très en deçà de la côte d'alarme». Selon ce responsable, les brigades de surveillance et de mesure du niveau de pollution du lac ont, en effet, relevé la présence de quelques rares nappes d'huile et des traces de fertilisants dans l'eau, «sans gravité sur la vie et l'eau du lac». El Manaâ précise que ces polluants sont issus des stations de services, pour les huiles usagées, et de l'activité agricole pratiquée dans le bassin versant de Beni Haroun, pour les fertilisants. «Des stations de services continuent, en violation de la loi, à déverser les huiles usagées des moteurs dans les égouts, au lieu de les charger dans des fûts et les remettre aux services de la direction de l'environnement. Heureusement que ces entités sont peu nombreuses. Pour les traces de phosphate retrouvées dans l'eau du lac, elles viennent des exploitations agricoles de la région». En s'exprimant sur les mesures de rétorsion prises à l'encontre des pollueurs, on précise de même source: «On a actuellement environ 50 plaintes déposées contre des agresseurs des biens de l'ANBT ; alors qu'annuellement nous déposons entre 600 et 800 plaintes en justice contre les braconniers, les gérants indélicats des stations de services et les agriculteurs qui utilisent des produits chimiques dangereux pour la faune et la flore lacustre». Le même responsable lance, par ailleurs, un appel au civisme des citoyens. «Il n'y a pas que les riverains du lac qui polluent, mais tous les gens qui vivent dans cette région, qui s'étend d'El Khroub, à Constantine, jusqu'à Tadjenanet, car Oued Boumerzoug, Oued Mila et le Rhummel sont des affluents du lac de Beni Haroun, et toute matière solide ou liquide jetée dans ces cours d'eau finira sa course dans le lac», dira-t-il. Pour le wali de Mila, la mort des poissons constatée la semaine passée «n'est pas la résultante de la pollution, mais du manque d'oxygène dans l'eau du lac dans certains endroits du barrage». Pour le wali, le développement des algues aux embouchures des stations d'épuration provoque un manque d'oxygène dans ces zones, ce qui entraine la mort des jeunes poissons. «Les algues qui se développent là où les eaux épurées des stations d'épuration se déversent absorbent la majeure partie de l'oxygène disponible dans ces endroits, ce qui provoque la mort par asphyxie des jeunes carpes. Ça n'a rien à voir avec la pollution, c'est un phénomène qui se produit dans tous les barrages», soutient-il. Nour Beni Haroun parle d'une catastrophe Pour le docteur Hacène Boukazoula, président de l'association Nour Beni Haroun, la pollution du plus grand barrage du pays est loin d'être une invention de la presse ou des riverains, mais bel et bien une réalité. «Le lac est pollué, très pollué ; c'est catastrophique», dira-t-il. Notre interlocuteur parle d'une «pollution gravissime», provoquée par une multitude d'agents physiques, chimiques et organiques, dont certains sont «néfastes pour la santé publique, la faune et la flore». Il précise que les eaux usées des villes de la région ne sont pas toutes captées et traitées dans les stations d'épuration. «Plusieurs agglomérations ne sont pas connectées à ces stations. Et même celles de la ville de Grarem-Gouga, malgré l'existence du réseau, elles ne sont pas toutes acheminées vers la station d'épuration de la commune de Sidi Merouane, à cause de la surélévation des conduites de transport des eaux usées par rapport au réseau d'assainissement de certains quartiers, dont les eaux souillées sont toujours déversées dans des ravins». Pis, Boukazoula parle de la présence dans l'eau du lac de matières fort dangereuses pour l'écosystème de Beni Haroun, tels que les acides, les métaux, les huiles d'automobiles usagées et les pesticides. «Le lac est devenu purement et simplement un dépotoir, on y retrouve des batteries de voitures, des huiles de moteurs, des engrais, des déchets d'animaux issus des élevages avicoles entretenus clandestinement sur les berges du lac, de la margine rejetée par les huileries, au nombre de 66, implantées dans la région. La margine, substance noire issue du broyage des olives, est un liquide très acide, capable d'éroder même les métaux les plus durs». Notre interlocuteur pointe, par ailleurs, un doigt en direction des services de l'environnement qui, selon son propos, ne sont pas suffisamment impliqués dans la collecte des huiles usagées, ni dans la lutte contre les éleveurs avicoles clandestins. «Des stations-services continuent de rejeter les huiles brûlées dans la nature en toute impunité. Un fait gravissime si l'on sait qu'un seul litre d'huile peut couvrir une superficie de 1000 m2, ce qui empêche les échanges gazeux entre les milieux aérien et aquatique, et provoque la mort des poissons et des végétaux par manque d'oxygène. Cela, au moment où des dizaines d'éleveurs de volaille déversent, chaque nuit, des tonnes de déchets dans le lac, sans être inquiétés». L'envasement s'accélère Boukazoula appelle à initier dans l'immédiat des opérations de reboisement des berges du barrage, du côté de Kikaya et de Bougsiba notamment, afin d'endiguer le phénomène d'envasement qui s'accélère. «Le taux d'envasement était déjà de 3,7% en 2010, il serait actuellement de l'ordre de 5 à 6%.». Il plaide encore pour l'organisation de battues du héron blanc, oiseau de couleur blanche connu par le nom de héron-garde-bœuf. «Ces oiseaux prolifèrent dans la région. Leur nombre augmente de façon fulgurante, ce qui n'est pas sans risque sur l'équilibre écologique du plan d'eau et surtout sur la qualité de l'eau. Les déchets organiques du héron blanc sont d'une forte teneur d'acidité, donc toxiques pour la faune lacustre d'où l'impératif d'organiser des battues pour ramener la population de cette espèce à des proportions acceptables». De leur coté, les pêcheurs à la ligne qui exercent sur les rives du grand lac sont unanimes quant à la dégradation de l'environnement. «C'est plein de déchets de tous genres, des tas de gravats, des monceaux de flacons en plastiques, des amas nauséabonds de déchets de volaille, des carcasses de bovins ; il n'y a pas où mettre un pied », nous dira B. Ammar, un pêcheur de Sidi Merouane, rencontré du côté de la forêt de Medious. Son collègue, B. Hocine, renchérit : «On ne trouve plus de place pour pêcher au milieu de toutes ces saletés qui jonchent la rive, le barrage est complètement abandonné».