Comme Tlemcen en 2011, Constantine bruisse de critiques sur les retards, la mauvaise gestion et les atteintes au patrimoine pour ses préparatifs de Capitale de la culture arabe. A moins de trois mois de l'événement, El Watan Week-end fait le point en coulisses. «Les travaux ont commencé en août. En décembre, on pensait que ce serait terminé. Mais là, les gens sont exaspérés par les travaux, les embouteillages, les échafaudages ! On voit bien que ce ne sera jamais fini à temps.» A Constantine, qui se prépare à devenir, à partir du 16 avril, la capitale de la culture arabe, les témoignages de ras-le-bol s'accumulent. Comme les retards dans les travaux de construction et de rénovation. A l'origine : des problèmes de fouilles, de mauvaise gestion (dixit des membres de l'organisation), de l'opacité dans l'attribution des marchés aux entreprises sélectionnées, notamment dans l'octroi des fameux ordres de service (ODS), impactant considérablement le calendrier d'exécution des travaux, et de procédures administratives. Un architecte raconte : «La réhabilitation des maisons de Souika (la vieille ville) est bloquée. Le cahier des charges de l'Office national de gestion des biens culturels protégés exige que le groupe d'architectes algériens associés à des experts étrangers ait un statut d'Eurl ou de Sarl. Or, ces statuts sont interdits par l'Ordre des architectes car l'architecte est une personne physique et pas morale ! Alors ils ont voulu se constituer en groupement d'architectes, mais pour cela il fallait au moins un expert étranger installé en Algérie. Or, ils ne le sont pas. Du coup, le comité de marché n'a pas passé les conventions.» Un reportage diffusé avant-hier à l'ENTV évoque même parmi les raisons des retards le non-paiement de plusieurs entrepreneurs. Un photographe de Constantine accuse aussi : «Le commissariat a fait appel aux photographes de la ville pour qu'ils lui donnent leurs photos afin de fabriquer un calendrier. Il était prévu que cette transaction fasse l'objet d'un contrat. En fin de compte, nous n'avons pas été payés sous prétexte que le commissariat ne pouvait pas nous donner de liquide. En compensation, il leur a proposé un studio avec du matériel dans le futur centre culturel». D'après une source proche du ministère, «le problème, c'est qu'on ne sait pas qui doit payer : le commissariat mis en place pour l'occacion ou la direction de la Culture de la wilaya ?» Englué Des assurances de l'ex-ministre de la Culture, Khalida Toumi, qui annonçait en octobre 2013, avec solennité, la réception de 50% des projets engagés avant le coup d'envoi de la manifestation, il ne reste pas grand-chose. Alors que le commissaire de l'événement certifie que 10 projets seront livrés dans les délais, en ville les personnes les plus proches de l'événement, y compris des officiels, estiment que sur «plus de 25 nouvelles réalisations et 75 projets de restauration de patrimoine initialement prévus, seulement 5 seront réellement réceptionnés pour l'occasion». La salle Zénith, le palais de la culture Malek Haddad et la maison de la culture Mohamed Laïd Al Khalifa. Mieux, à l'exception de la salle de spectacles Zénith, réalisée en une année, les deux autres structures ont fait l'objet d'une simple reconfiguration. Quant au pavillon des expositions, il ne sera pas prêt. En toile de fond, la résiliation du contrat des Chinois, ensuite d'un bureau d'études algérois ramené par Khalida Toumi, et enfin des Espagnols pour revenir de nouveau aux Chinois ! La réhabilitation de 10 mosquées et de 7 zaouias de la Médina traîne également pour cause d'indisponibilité de main-d'œuvre qualifiée, alors que le parc urbain du Bardo est englué dans le cercle infernal des glissements de terrain. Il en est de même de la Médersa et de l'hôtel Cirta. Pourtant, l'organisation pour l'éducation, la science et la culture de la Ligue arabe (Alesco) avait désigné la ville de Constantine pour accueillir cette manifestation culturelle fin décembre 2012... Et ce n'est que maintenant qu'une partie du budget consacré au programme de la manifestation vient d'être débloqué. Ainsi, l'argent aura lui aussi largement contribué à perturber des projections déjà brouillonnes. Au Commissariat de la manifestation notamment, les ambitions ont été revues à la baisse. L'indicible chantier dans lequel se trouve la ville (relooking des immeubles inachevé et trottoirs non refaits) a contraint le Commissariat de surseoir à l'organisation préalable de certaines activités, comme par exemple un marathon, une foire de la brocante ou encore une exposition de peintures à ciel ouvert avec la participation des étudiants de l'Ecole des beaux-arts. Le Premier ministre a demandé que les 7 milliards de DA alloués à la manifestation (4 milliards de DA au titre de l'exercice 2014, 2 autres milliards de DA pour l'exercice 2015 et un milliard pour 2016), soient dépensés avec «parcimonie et vigilance». Panique Il faut dire que le prodigieux montant de 60 milliards de DA consacrés à la manifestation de 2015 attise toutes les convoitises. Lors d'une conférence de presse organisée le 17 janvier dernier, Sami Bencheikh El Hocine, commissaire de la manifestation, n'a pas caché l'existence de «prédateurs» et de «pressions» exercées sur lui «par des patrons de boîtes privées domiciliées à l'étranger et qui aspirent à participer à l'événement moyennant un cachet en devises». Un consultant témoigne encore : «L'opération de pavage du centre-ville qui doit se faire dans un périmètre de 2 km va coûter au minimum 24 000 DA le mètre carré. Alors qu'une réfection classique avec du marbre revient à 10 000 Da le mètre carré.» Et alors même que les travaux ne sont pas terminés, le spécialiste promet «que ce qui a été fait va causer beaucoup de problèmes, notamment en cas d'intempéries car les avaloirs n'ont pas encore été installés.» Sur place, la panique gagne les responsables. Les visites de chantier par le wali, programmées le mardi, ont pris désormais un rythme bi-hebdomadaire. Hocine Ouadah a carrément retiré le projet de réhabilitation des infrastructures culturelles d'El Khalifa et Malek Haddad aux entreprises algériennes, jugées non qualifiées, pour les confier à des sociétés chinoises, détentrices déjà de la majorité des projets en cours.