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Au cœur de l'Amérique du Sud . Amane, voyage au centre de la terre
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Publié dans El Watan le 16 - 02 - 2015

Vallée de la Conception, à Uriondo, à quelques kilomètres au sud de Tarija sur la route de l'Argentine. Figuiers, moutons et montagnes ocre-vert, on se croirait en Méditerranée bien que l'on soit quand même à 2000 mètres d'altitude, et quand des acacias surgissent au détour d'un virage désert, ils font penser à Tamanrasset.
Avec sa tête de Japonais, Amane ne se sent pas dépaysé, lui qui connaît les Andes et le Hoggar. La Bolivie est diverse, comme l'Algérie, au sud-ouest du pays, c'est le grand désert de sel d'Uyuni. En 2012, remontant par bus du Chili voisin et d'Argentine, où il a fait les vendanges, Amane se fait braquer et voler 1500 euros. Une fortune dans la région.
Il alerte la police du coin, et dans une vieille voiture déglinguée, le seul agent du commissariat, tout aussi déglingué, se lance avec lui à la poursuite des voleurs. Au bout de trois kilomètres, le policier avoue qu'il ne peut pas aller plus loin, il n'a pas assez d'essence pour revenir. La Bolivie s'est, depuis, développée, extrait maintenant ses hydrocarbures, les voitures roulent au GPL subventionné, mais Amane ne reverra jamais son argent. C'est pourtant entre le Chili huppé et l'Argentine névrosée, en Bolivie peu développée qu'il choisit de s'installer.
«S'intégrer dans les lois de la Pachamama, la terre-mère, avec l'humilité des agriculteurs locaux est plus qu'une leçon de vie, je l'ai d'ailleurs retrouvée dans le sud de l'Algérie», explique-t-il tout sourire avec ses yeux fendus derrière des lunettes rondes. Œnologue, il a même tenté l'ONCV en Algérie et grand amoureux de la terre, il avoue que «administrativement et socialement, il semble dur de s'installer et vivre pleinement dans les campagnes de Mascara ou Médea en produisant librement du vin.»
Entre champs de vigne et seguias, canaux d'irrigation qui ont repris le nom arabe, il s'est donc fixé, «question de terroir», à la frontière entre la Bolivie et l'Argentine, «et quand on peut allier terroir et qualité de vie, ce n'est pas de refus» Si Evo Moralès a «institué un 14e mois de salaire en fonction de la croissance du pays» à verser par l'Etat en plus du 13e mois, Amane rappelle que «ici, la vie n'est pas chère (le kilo d'agneau est à 30 DA), on peut bien vivre avec l'équivalent de 55 000 DA par mois, c'est calme, propre et tous les trois jours il y a une fête où tout le monde s'amuse, hommes et femmes, vieux et jeunes».
Mince, très sociable, 29 ans, parlant 6 langues dont l'algérien, qui est aussi une langue faut-il le rappeler, Amane a vécu en Algérie, en France, au Japon et en Italie, mais «la souplesse administrative de la Bolivie encourage aussi l'installation même s'il faut fournir beaucoup de documents.
On peut vivre librement de l'agriculture. La polyculture y est toujours très ancrée, contrairement aux pays dits développés (Japon ou Europe), où on ne peut pas, par exemple, planter sur un même hectare différentes espèces de fruitiers, par souci sanitaire, disent-ils. Et à moyen et long termes, je ne veux pas me baser que sur le vin, mais aussi être avec d'autres espèces d'arbres, bétail et horticulture, le tout bien sûr sans produits de synthèse, pas vraiment nécessaires dans ces climats secs». La terre, au centre. Le reste est superflu.
De l'eau dans le gaz
C'est dimanche à Uriondo. Comme tous les jours, le vent fort de la matinée s'est couché en début d'après-midi. Comme tous les dimanches, c'est la fête et Evita, 65 ans, organise un bon repas. La Casa Vieja, son restaurant qui jouxte un immense vignoble est plein à craquer. Evita est l'une des premières de la région à s'être lancée dans la viticulture. Terrain vierge, elle a réussi et malgré sa fortune, elle est là comme une pile électrique, allant et venant, aidant à la vaisselle, à éplucher les légumes et à accrocher pour les dizaines de cochons en croix, petit signe de défiance envers le catholicisme forcé sur cette terre dévouée au pachamamisme. En Bolivie, les femmes sont les vraies chefs de maison, font tout, intérieur et extérieur.
Comme tout le monde ici, son fils a un nom à trois dimensions, Javier Lascano Quiroga, prénom, nom de son père, nom de sa mère, et a aussi suivi Evita dans la viniculture. «La terre de vigne est devenue hors de prix, 30 000 dollars l'hectare (les prix sont affichés en dollars dans les agences)», explique Amane, qui travaille avec Javier, «mais en trois ans, la vigne est rentable, l'investissement multiplié par 20.» Si les étrangers peuvent acheter de la terre, grand débat en Amérique du Sud, «pas de propriétés privées de plus de 10 000 hectares», a rappelé Viviana Caro Hinojosa, jeune Andine, ministre du Développement.
Même si Amane et Javier expliquent que les riches propriétaires morcellent les terres avec des prête-noms pour en avoir plus, les slogans remis au goût du jour par Evo, «1 famille 1 hectare» et «la terre à ceux qui la travaillent», tiennent bon et nombreux sont ceux qui se lancent dans l'agriculture malgré des problèmes d'accès à l'eau. C'est d'ailleurs la préoccupation de Javier, qui, après avoir réussi dans le vin alors que comme tous les Boliviens, il n'y connaissait rien, se lance à 37 ans à l'assaut de la mairie pour les prochaines élections locales.
Le vote est obligatoire et son programme, «Décentralisation accrue et autonomie, gaz de ville et eau potable pour tous». Comme José, l'archéologue guévariste, qui, entre deux bouffées de pipe expliquait le centralisme évorien «incompatible avec l'autonomie des régions prônée», ou Jaime Paz Zamora, l'ex-président bolivien qui se demandait ce «que veulent dire un état plurinational et le capitalisme andin ?» concepts phares du président Moralès. Javier non plus n'est pas un grand fan, bien que tout le monde dans la vallée ait voté pour l'Indien.
«Les élections sont libres, maires et gouverneurs, [équivalent des walis] sont élus et personne ne conteste les résultats. Mais au niveau économique, 11% seulement de l'argent des communes revient ici, tout le reste repart à La Paz.» Oui. Un dernier verre de vin et c'est le moment d'aller voir La Paz, à 900 kilomètres et 15 heures de car d'ici. Par la vallée puis l'Altiplano, 4000 mètres d'altitude, la plus haute capitale du monde. Bien loin de la Méditerranée
http://www.courrierinternational.com article/2014/11/11/le-voyage-vers-l-enfer-des-etudiants-disparus


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