L e débat se réinstalle autour de la question de l'université algérienne et son devenir provoqué par, entre autres, le conflit qui a paralysé les campus de Béjaïa. «Le conflit de Béjaïa est significatif d'un certain nombre de fondamentaux qui sont au centre de l'altération de l'université algérienne», estime Adel Abderrezak, professeur, ancien porte-parole du CNES et ex-membre de la commission Benzaghou de réforme éducative. Le propos aiguisé d'Adel Abderrezak – invité par le Café littéraire en compagnie d'Ahmed Rouadjia (docteur d'Etat en histoire et sociologie politique) – a mis le doigt sur la grande plaie de l'université algérienne : «Ils ne se soucient pas que l'université soit fermée un an, qu'il y ait année blanche ou semestre blanc. L'essentiel est qu'il ne faut pas laisser les étudiants trop réfléchir.» Voilà qui est dit sans détour. Le constat qui est aujourd'hui général que «le principe fondamental de la réforme de l'enseignement supérieur, ce n'est pas la transmission du savoir mais c'est d'abord la gestion des flux», est réitéré. Un flux qui se mesure aujourd'hui à presque un million et demi d'étudiants répartis à travers les 70 établissements du supérieur, soit un important foyer qui «peut être le point de départ d'une instabilité politique et sociale et l'expression d'une reconfiguration des esprits, des profils, des consciences et donc de la réactivité d'une société». Quand ils naissent, les conflits finissent souvent dans le pourrissement. A quelques exceptions près. «Quand cela se corse, mêmes les généraux peuvent intervenir», soutient l'orateur, qui a des preuves de ses affirmations. «Quand il y a eu la grève des enseignants en 1996, un général à Constantine, le commandant de la 5e Région militaire, est intervenu directement dans le conflit et a envoyé deux enseignants chez Benbouzid pour signer la fin de la grève». Ainsi, malgré la dépolitisation supposée de l'université, «le politique est toujours là pour piloter les enjeux». «L'université n'est pas gérée par le principe de la tolérance, c'est-à-dire du débat et de la concertation, mais par le principe du rapport de forces sur fond de paix sociale. Et ce ne sont pas les enseignants qui font le plus peur, mais les étudiants», accuse le syndicaliste, qui dénonce la «massification de l'enseignement». «Nous avons une démographie étudiante mais nous n'avons pas d'esprits critiques, une population importante qui vient aux amphis et aux TD mais des individus aseptisés, qui n'ont pas eu la boîte à outils pour penser et s'approprier le savoir qui leur permet de se penser dans la société», dit-il. Mais la massification n'empêche pas l'étudiant d'avoir «conscience des enjeux». Deux gros maux font donc souffrir l'enseignement supérieur : «université massifiée» et «formation dévalorisée». Les offres de formation ignorent les spécificités et la réalité des régions. Et derrière ce choix de formations généralistes et ce refus d'adaptation existent des enjeux que le conférencier situe au niveau politique. Parce que les formations adaptées sont «en rapport avec le réel d'un territoire», elles permettent «d'incruster nos étudiants dans un réel et des territoires qu'ils vont s'approprier et qu'ils auront les moyens de transformer». «Veut-on vraiment que nos étudiants transforment les territoires dans lesquels ils sont impliqués ?» s'est interrogé Adel Abderrezak. Dans une société embrigadée à plusieurs niveau, l'enjeu est éminemment politique parce que «transformer le territoire, c'est transformer les rapports sociaux, c'est changer le monde…» Autre point du diagnostic : la démultiplication des formations courtes dans le cadre du LMD «avec des profils anglo-saxons et des normes internationales de management, de gestion des ressources humaines». Autant de «concepts et catégories théoriques qui ne sont pas neutres et participent au formatage cérébral, idéologique et intellectuel des étudiants et des enseignants». Pour Ahmed Rouadjia, l'enseignant partage la responsabilité de la situation actuelle de l'université : «Si les choses ne changent pas au niveau du système politique et administratif, c'est que le côté lâche, peureux et maffieux des enseignants encourage et donne au pouvoir algérien la possibilité de le malmener et de le casser.»