En ville, c'est la nausée. Après les ratages en cascade de l'infrastructure d'accueil et des réhabilitations d'immeubles et de rues, voici venu le temps des impérities du spectacle. La lettre de démission-déballage adressée cette semaine à la ministre de la Culture par la désormais ex-responsable du département communication et porte-parole du commissariat, Fouzia Souici, est édifiante (voir El Watan du 17 février 2015). Dans une déclaration à El Watan, le commissaire de la manifestation, Sami Bencheikh El Hocine, a qualifié cette lettre de «non-événement» et les accusations de l'auteure de «délires», apportant un démenti sur la démission, puisque, dit-il, la personne en question a été limogée pour n'avoir présenté ni stratégie de communication ni plan média. La lettre, qui a tenté de donner une vision des rouages du commissariat, a réussi en tout cas à susciter de l'intérêt au ministère de la Culture. Manifestement, il existe deux commissariats. L'un officiel, basé à Constantine et possédant une marge de manœuvre réduite ; l'autre, «parallèle», agissant à Alger, avec des leviers beaucoup plus importants. Passée l'étape de l'émotion, Constantine s'est rendue à l'évidence qu'elle risque d'être un simple faire-valoir pour des opérations aux fins étriquées, sans liaison avec la politique culturelle. Il fallait s'y attendre à cause des montants astronomiques en jeu et l'expérience acquise par les acteurs «historiques» qui ont le contrôle et le monopole des marchés événementiels. «Madame Dalila» et le neveu d'Untel raflent la mise. Depuis l'Année de l'Algérie en France en passant par le Panaf' et «Tlemcen capitale islamique», ces réseaux ont pris du poids et du métier. Du métier mais pas de la compétence. Le scandale du logo plagié de l'événement de Constantine, étouffé par les faiseurs de miracles, est symptomatique de l'impunité dont bénéficient ces excroissances nées dans le giron du système. A Constantine, de jeunes artistes, irrités par le favoritisme, ont donné libre cours à leur imagination en tournant en dérision, sur les réseaux sociaux, les premières décisions du commissariat. Le fun avant tout Dans une conférence de presse tenue le 17 janvier dernier, Sami Bencheikh El Hocine avait avoué faire l'objet de pressions. Il se réserva, cependant, de donner des noms ou des pistes. Dans les chaumières amusées par les potins de l'événement, on se gargarise avec les fuites qui donnent des noms, des boîtes et des montants. De nombreux marchés ont été accordés à certains il y a une année déjà. Communication, transport, organisation de spectacles, financement de livres, de films et tutti quanti, l'essentiel a été partagé à Alger. Les Constantinois ont le sentiment de tenir la chandelle. Depuis le départ de Khalida Toumi et l'installation lente de Nadia Labidi, des marchés ont changé de main, mais il y a surtout l'entrée en scène de l'ONCI et son patron, l'inamovible Lakhdar Bentorki, cité plusieurs fois dans la lettre de Mme Souici. Ce dernier a réussi à se placer sur l'échiquier en prenant le poste de chef de département animation et en se taillant un budget de 350 milliards, selon des informations recoupées, 100 milliards, selon Bencheikh El Hocine. Les budgets des autres départements, à l'image de celui des colloques, ont été revus à la baisse. Il y aura plus de fun que de réunions d'aréopage, le message est clair. Et le fun façon ONCI, c'est connu, c'est comme à Timgad, à Djemila et au Casif : stars orientales surpayées et chanteurs locaux obéissants. C'est ce que préfère le peuple, dit-on avec conviction. Bentorki a été chargé aussi d'organiser le mégaspectacle d'ouverture. Une épopée «malhama» (là aussi les chiffres sont contradictoires) à 200 milliards selon des informations recoupées, 30 milliards selon Bencheikh El Hocine. Un exercice dont il a l'habitude, même si le résultat a suscité à chaque fois de vives critiques ; mais les goûts ne se discutent pas, dit l'adage. Bentorki organisera aussi un spectacle de feux d'artifice pour la bagatelle de… 450 000 dollars. Trop cher pour 15 minutes de spectacle objecte la vox populi, au moment où on somme les Algériens de se serrer la ceinture ! Du cinéma sans salles de cinéma ! Faute de pouvoir livrer toute les infrastructures censées accueillir l'activité intense prévue dans le cadre de l'événement, les pouvoirs publics ont revu à la baisse leurs ambitions en se contentant de réceptionner la grande salle du Zénith, devenue la panacée sur toutes les langues officielles. Les autorités ont dû faire leur deuil de plusieurs bâtiments initialement prévus, dont le musée des arts modernes et la bibliothèque, ou encore le palais des expositions dont l'entreprise espagnole en charge vient d'être remerciée après de longs mois de retard. Cette même entreprise avait remplacé un Algérien défaillant, imposé par Khalida Toumi, qui lui-même avait remplacé les Chinois évincés par l'ancienne ministre de la Culture sous prétexte de donner la chance aux nationaux, avait-elle argué. Une succession de mauvaises décisions conjuguées à des intérêts étroits dont les conséquences sont là. Les Constantinois devront aussi oublier le septième art car les salles de cinéma sont hors service, n'ayant pas été incluses dans le programme de réhabilitation. Où projettera-t-on les productions financées pour la manifestation ? Le commissariat n'a pas de réponse ! Non seulement l'événement n'a pas été pensé globalement, mais manifestement, il n'a pas trouvé l'intelligence et la volonté désintéressée pour lui garantir la réussite. Le fiasco a déjà eu lieu pour beaucoup de Constantinois, qui attendent vivement 2016.