Organisé par l'ONCI sous tutelle du ministère des Moudjahidine, le spectacle de Malhamat El Djazaïr (Epopée de l'Algérie) a été critiqué de tous bords. Les artistes le qualifient de «bricolage», les organisateurs, eux, se défendent. El Watan Week-end est allé à leur rencontre. «J'ai démissionné pour éviter de produire une médiocrité sur scène», avoue Ahmed Rezzak, acteur et scénographe qui a démissionné de l'organisation du spectacle Malhamat El Djazaïr (Epopée de l'Algérie) que prépare l'Office national de la culture et de l'information (ONCI) pour la commémoration du soixantième anniversaire du déclenchement de la Révolution au chapiteau de la Coupole d'Alger. Organisé par le ministère des Moudjahiddine, ce spectacle auquel s'adonnent plus de 150 jeunes artistes algériens et plus de 200 organisateurs et techniciens qui ont été mobilisés, suscite beaucoup de critiques de la part des artistes. Les préparations n'ont pas pu se tenir comme prévu, car à peine commencées Ahmed Rezzak démissionne ! Le metteur en scène irakien et grand spécialiste du théâtre classique, Jawad Al Assadi, jugé «incompétent pour ce genre d'événement», d'après le directeur général de l'ONCI, Lakhdar Bentorki, à son tour jette l'éponge, laissant tout le monde dans l'embarras. «Lakhdar Bentorki a fait appel à Jawad Al Assadi, alors qu'il n'avait aucune conception à proposer pour un grand événement comme celui du 1er Novembre. Il est habitué, pour des raisons que nous ignorons, à solliciter des étrangers au détriment des compétences algériennes en leur donnant plus de moyens et plus de temps. Si nos artistes acceptent de travailler dans ces conditions, c'est parce que Bentorki exploite leur situation sociale ! Personnellement, je ne peux plus accepter cette situation. Y'en a marre !», dénonce Ahmed Rezzak. Pour relancer le projet, à 20 jours seulement de l'avant-première, l'ONCI a fait appel au directeur du Théâtre régional de Béjaïa, le metteur en scène Omar Fetmouche qui rassure depuis la coupole : «Je salue la confiance placée en moi par l'ONCI et son directeur général. Le 1er Novembre est une journée très importante pour moi et pour notre pays. Je suis très content de faire ce boulot, et puis je vous rassure qu'on sera bel et bien dans les temps. Le public aura droit à un très beau spectacle, même si au fond de nous on se dit parfois que si nous avions eu un peu plus de temps on aurait fait mieux, explique Omar Fetmouche. Les jeunes artistes, ici présents, travaillent jour et nuit. Ils représentent ma seule motivation.» Omar Fetmouche est optimiste quant au respect des délais, contrairement à Mohamed Charchal, metteur en scène et membre de la commission de lecture (département théâtre) du projet «Constantine, capitale de la culture arabe» prévu pour avril 2015, qui, lui, semble sceptique. Mohamed Charchal critique la qualité du spectacle. «On ne peut pas réussir un bon travail en 20 jours. Pour réaliser cette pièce, il leur faut plus de 6 mois, sinon ce ne sera que de l'exhibitionnisme. Et puis, pourquoi refaire la Malhama réalisée par Bernaoui en 1994 ? Nous avons besoin de voir d'autres œuvres. Si c'était à moi de proposer, j'aurais choisi Les enfant de la Casbah de Abdehamid Raïs», fulmine-t-il. Rencontré à l'intérieur du chapiteau où se déroulent les préparatifs, Lakhdar Bentoki ne nie pas le facteur temps désavantageux, mais explique les raisons et l'aboutissement du projet. Conscience «Il faut savoir que nous sommes un organisme économique et culturel à caractère commercial. Malhamat El Djazaïr est un grand projet qui nous a été confié en août dernier et nous n'avons commencé les répétitions qu'à partir du 15 septembre. Nous sommes conscients de l'ampleur de la tâche qui nous attend. J'avoue que le facteur temps nous est défavorable car pour réaliser un tel projet, il nous faut au moins huit mois, avoue le DG de l'ONCI. Néanmoins, c'est une mission que nous avons assumons. Je serai même satisfait de 60% de sa réussite car les jeunes qui s'y préparent ne possèdent pas beaucoup d'expérience. Certains font leur première scène. Donc, allons doucement si on veut réellement construire l'avenir», se défend le DG de l'ONCI. Ahmed Rezzak remet sur la table, encore une fois, la problématique des compétences et critique les choix de Bentorki : «Où sont passés les diplômés de l'Institut supérieur des métiers des arts du spectacle (ISMAS), de l'Institut national des arts dramatiques et de chorégraphie (INADC) et ceux des beaux-arts ? Devrons-nous fermer ces écoles aussi ?» s'interroge-t-il. Le chapiteau de la coupole est devenu un vrai chantier. Certains l'assimilent aux chantiers des «chinois». Optimiste lui aussi, le chorégraphe du projet, Riad Beroual, rencontré à la Coupole, affirme que tous les moyens ont été mis à leur disposition. «C'est vrai que nous avons un temps de travail réduit, mais je vous assure que nous travaillons dur pour plus de 16 heures par jour. C'est une sorte de défi pour nous, mais rien n'égale le plaisir du public le jour du spectacle», rassure Riad. Ahmed Rezzak campe sur ses positions et qualifie le travail accompli par le DG de l'ONCI de «médiocre» : «Je ne suis pas raciste, mais je reste sceptique. Comment peut-on faire appel aux boîtes étrangères qui ne font que bouffer l'argent du fonds public et celui des Algériens, à l'image de Caracalla dont la boîte est détenue par son fils, Jean Caracalla, installé en Italie ? Bentorki a essayé de nous l'imposer pendant ce spectacle, chose que j'ai catégoriquement refusée. Qu'ils nous parlent de la somme des budgets qui ont été dépensés depuis l'année de ‘‘L'Algérie en France jusqu'à Constantine, capitale de la culture Arabe'' ? Combien payent-ils Caracalla ? L'Algérien n'a-t-il pas le droit de savoir où va son argent ? Et puis, que veut Bentorki ? Veut-il finir sa vie sur une chaise roulante comme Bouteflika ? Il est directeur général de l'ONCI depuis 22 ans ! On veut que ça change. On veut sortir de la médiocrité», revendique le scénographe. «Caracalla est un grand chorégraphe libanais. Il n'a pas besoin de l'argent de l'Algérie. Je l'ai vu, récemment, sur France 24, et il a passé une demi-heure à parler de notre pays. Il le porte dans son cœur et si nous faisons appel à lui, c'est pour ses compétences et non pour autre chose», répond Bentorki aux accusations de Ahmed Rezzak. Mohamed Charchal et Ahmed Rezzak remettent en cause l'ONCI et s'interrogent sur sa rentabilité : «Comment est-il possible que l'ONCI ne soit toujours pas rentable ? Va-t-il continuer à compter sur le budget de la tutelle ?» Bentorki leur répond et qualifie ceux qui le critiquent de «spéculateurs». «Il est vrai que les gens nous jugent sur la qualité du travail exposé car ils ne sont pas au courant des obstacles auxquels nous faisons face. Quand vous êtes sous tutelle et qu'on exige de vous l'entrée gratuite, vous ne pouvez pas, à ce moment-là, me parler de rentabilité ! L'ONCI fait travailler 400 personnes qu'elle paie avec ses propres recettes. Nous gérons des bibliothèques et nous aidons gratuitement beaucoup d'associations algériennes», explique Bentorki. Budget «Je demande aux artistes de s'occuper de l'art et de nous laisser nous occuper de la gestion. Et puis, pensent-ils avoir un responsable qui réalisera des miracles si Bentorki est amené à quitter un jour ses fonctions ? Ils doivent savoir que nous travaillons selon les règles et selon la loi», décrit comme «grandiose» par les organisateurs ; le spectacle que prépare l'ONCI est une adaptation du texte du défunt poète et homme de théâtre algérien, Omar Bernaoui, décédé en 2009. Composé de chants, de danses et de chorégraphies conçus par Riad Beroual, les deux rôles principaux seront assurés par Mohamed Adjaïmi dans le rôle du «temps» et la talentueuse chanteuse Lamia Batouche, dans celui de l'«Algérie». Le spectacle dure 1 heure et 53 minutes. L'avant-première, réservée au officiels, sera présentée aujourd'hui à partir de 19h30 au chapiteau de la Coupole. L'ouverture au grand public est programmée pour demain. Environ 4000 spectateurs sont attendus. L'entrée est gratuite. Le spectacle raconte l'histoire de l'Algérie de l'époque de la Numidie unifiée du roi Massinissa avec un passage de tous les personnages qui ont marqué l'histoire de l'Afrique du Nord et de l'Algérie d'avant et pendant la guerre de libération. La période post-indépendance est tout aussi importante. Les spectateurs verront des tableaux sur l'édification et la construction du pays, les événements du 5 octobre 1988, la décennie noire, la réconciliation nationale et les orientations de la période de Abdelaziz Bouteflika. Les organisateurs promettent un spectacle haut en couleur, des lumières et des habits des artistes. Le budget du projet n'est pas rendu public. Bentorki affirme qu'il n'est pas encore arrêté. «Je n'ai pas les chiffres, mais je peux vous dire que seuls les artistes toucheront environ 250 millions de dinars !», affirme-t-il. Les observateurs sont inquiets après les critiques infligées à l'ONCI et se demandent s'il réussira ou non ? Sur les réseaux sociaux, Ahmed Rezzak a été largement soutenu, notamment par les artistes et les activistes. Le scénographe se dit «déçu». «C'est honteux de voir l'Algérie fêter son 60e anniversaire du déclenchement de la guerre de révolution avec une Malhama. Où est l'Armée nationale ? C'est à Alger qu'elle doit défiler et non à Paris pendant le 14 Juillet, s'emporte-t-il. Si le printemps arabe n'a pas eu lieu en Algérie, c'est parce qu'il y aura un hiver très froid.»