Pourquoi ne pas vous confier mon appréhension : cette chronique va-t-elle se transformer en rubrique nécrologique ? Au train où vont les êtres dans le monde de la culture, cela a tout l'air de se produire. Toute une génération arrive naturellement en bout de course et humainement à bout de souffle, sans doute exténuée par tant de désillusions. Onze jours après Assia Djebar, voilà Malek Alloula qui décède, lui qui avait partagé l'existence de la grande écrivaine à partir de 1980 jusqu'à ce qu'ils décident de se séparer dans l'ici-bas pour peut-être se retrouver dans l'au-delà. Comme pour ajouter à sa froideur, la nouvelle est venue de Berlin. Mardi dernier, à l'âge de 77 ans, Malek Alloula a rendu l'âme dans l'hiver de la capitale allemande. Il s'y trouvait en résidence d'écriture, préparant une nouvelle publication dont nous ignorons la substance. Sur sa tombe, on pourrait inscrire : «Mort au champ de la littérature». Sa tombe qui, selon sa volonté, jouxtera au cimetière d'Oran celle de son frère Abdelkader Alloula, le dramaturge assassiné en 1994 par des «bâtisseurs de ruines». Deux années séparaient Malek et Abdelkader. Jamais le premier n'a eu la notoriété de son cadet. Certes, le théâtre est plus spectaculaire que la littérature mais, même dans sa discipline, Malek restait peu connu. Il avait quitté le pays très tôt. Après des études de lettres modernes à la faculté d'Alger, il avait rejoint la Sorbonne, soutenant une thèse sur Diderot. En 1967, il s'était lancé dans le travail éditorial, devenant une référence dans le microcosme parisien, notamment chez l'éditeur Christian Bourgeois où il a œuvré de nombreuses années. Comme le cordonnier de l'adage, il ne s'est peut-être pas assez préoccupé des semelles de sa création. Mais c'est plausiblement son immense souci d'excellence dans l'écriture qui l'a amené à limiter ses publications. A force de coacher les écrivains, tel un scribe obscur, serait-il devenu impitoyable avec sa propre écriture ? Sa poésie, ses nouvelles et ses essais sont marqués par le raffinement du style. Il a relativement peu produit, mais à une telle hauteur qu'il entrait difficilement dans les créneaux actuels du marketing éditorial. Salut donc aux éditions Barzakh pour avoir réédité en Algérie son œuvre poétique et publié ce magnifique recueil de nouvelles, Le Cri de Tarzan (2008), où il clamait, comme toujours, son attachement à ses origines rurales, lui qui était pourtant devenu un parfait citadin dans ce qu'il y a de plus gentleman. Salut aussi aux organisateurs de l'hommage qui lui a été consacré en 2010, à l'INRE d'Oran, et au SILA qui l'a invité en 2011. Ils nous ont permis de n'avoir pas totalement honte à son égard comme hélas si souvent lors des disparitions d'artistes ou d'écrivains. Finalement, parler de la mort de personnes comme Malek Alloula ne relève pas vraiment de la nécrologie. Porteurs de vie, celle-ci le leur rend bien par la suite.