L'Iran a proposé, hier, des « négociations sérieuses » aux grandes puissances en guise de réponse à leur offre visant à ce qu'il suspende son enrichissement d'uranium. Téhéran, qui a déjà exclu la suspension de son programme nucléaire, risque des sanctions de l'ONU, comme le stipule la résolution du Conseil de sécurité. Le négociateur en chef du nucléaire iranien, Ali Larijani, invite les grandes puissances à des négociations dès aujourd'hui, sans indiquer si Téhéran entendait se plier à l'injonction du Conseil de sécurité. Nous sommes prêts à commencer des négociations sérieuses avec le groupe 5+1 (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie et l'Allemagne) dès demain », a dit, hier, M. Larijani aux représentants diplomatiques des grandes puissances, en leur remettant la réponse de Téhéran à leur offre. Les propos de M. Larijani ne précisent pas si l'Iran a accepté la condition préalable à l'offre, qui est de suspendre son enrichissement d'uranium. Une omission qui augure mal de la réaction des grandes puissances à cette offre, présentée à Téhéran le 6 juin dernier. M. Larijani « invite les représentants des pays 5+1 à revenir le plus rapidement possible à la table des négociations ». Or ces mêmes représentants avaient jugé dès juillet que les Iraniens n'avaient « donné absolument aucune indication sur leurs dispositions à discuter sérieusement sur la substance » de l'offre. En conséquence, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution intimant à Téhéran de suspendre son enrichissement d'uranium d'ici le 31 août, faute de quoi il envisagerait l'adoption de sanctions pour l'y contraindre. M. Larijani a estimé que « l'attitude de la partie adverse dans l'action non juridique du Conseil de sécurité n'a aucune justification ». Il n'en a pas moins invité le groupe 5+1 à « parler de toutes les questions contenues dans l'offre, aussi bien les questions nucléaires que la coopération à long terme dans les domaines économique et technique, ainsi que la coopération sécuritaire dans la région ». L'Iran considère que la suspension de l'enrichissement d'uranium devrait être un sujet de négociation, alors que les Etats-Unis l'excluent formellement, et que les grandes puissances en ont fait une condition préalable à toute négociation sur le programme nucléaire iranien. Ainsi, l'invitation iranienne s'apparente à un cadeau grec, en ceci qu'elle vise à faire durer les négociations et poursuivre, en parallèle, l'enrichissement d'uranium qui est dans sa phase finale pour la construction d'une bombe atomique. Le vice-président de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique, Mohammad Saïdi, avait annoncé, lundi, que « la suspension est désormais impossible ». Le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, avait, de son côté, été tout aussi inflexible en annonçant que son pays poursuivrait son programme nucléaire « avec force ». Quelques heures plus tard, le président américain George W. Bush réclamait des sanctions rapides contre l'Iran s'il ne se pliait pas à la demande du Conseil de sécurité de suspendre son enrichissement avant le 31 août. L'offre des cinq membres permanents du Conseil de sécurité et de l'Allemagne, qui ne comporte pas de menace de sanctions, vise à convaincre les Iraniens des bénéfices d'une suspension, en échange de mesures de coopération économique et nucléaire. M. Saïdi a expliqué que l'Iran donnera « une réponse qui fournira à l'Europe une occasion exceptionnelle pour l'entente et pour revenir à la table des négociations et prendre le chemin de l'interaction ». Dans le même temps, il a réaffirmé que « la question de la suspension comme précondition n'a pas lieu d'être ». Téhéran semble jouer une fois de plus la politique du fait accompli, à en juger par les propos de M. Saïdi : « La question de la suspension pour négocier pouvait être évoquée dans le passé, mais elle n'a plus lieu d'être aujourd'hui parce que la République islamique maîtrise cette technologie. » L'Iran souhaite, en fait, discuter des moyens de garantir aux grandes puissances que son enrichissement ne sera pas détourné à des fins militaires. Mais ces dernières font de la suspension de l'enrichissement une condition préalable à toute négociation, en arguant de leur manque de confiance dans les intentions ultimes de l'Iran sur son programme nucléaire. Le procédé d'enrichissement permet d'obtenir le combustible d'uranium faiblement enrichi pour une centrale nucléaire civile. Mais il suffit de le poursuivre à un taux plus élevé pour obtenir la matière première d'une bombe atomique. M. Saïdi a évoqué la possibilité que l'Iran soit prêt à négocier sur la suspension de l'enrichissement, si les grandes puissances n'en faisaient pas une condition préalable aux négociations : « Nous avons toujours dit que si la suspension n'était pas une condition préalable nous étions prêts à négocier. » Seulement, l'Iran est maintenant confronté à l'échéance du 31 août pour décider ou pas de suspendre ce procédé. « Si les gens se moquent du Conseil de sécurité des Nations unies, il faut que cela ait des conséquences », a averti le président Bush. Les Etats-Unis n'ont jamais exclu que si des sanctions économiques et diplomatiques se révélaient insuffisantes pour faire plier Téhéran, ils pourraient avoir recours à une intervention militaire, unilatérale au besoin. Mais M. Saïdi n'a donné aucun signe que son pays soit impressionné par de tels avertissements. Il a affirmé, hier, qu'en matière d'enrichissement, l'Iran n'entend pas se limiter à des recherches sur des centrifugeuses de « première, deuxième ou troisième génération ». En annonçant en avril avoir procédé à de l'enrichissement avec des centrifugeuses de première génération (P1), Téhéran avait admis faire de la recherche sur des centrifugeuses P2, plus efficaces. C'est la première fois qu'un responsable iranien mentionne des recherches sur le modèle P3, le plus moderne. L'Iran aura-t-il sa bombe atomique ? L'enrichissement de l'uranium, une opération que l'Iran affirme avoir maîtrisée et qu'il refuse de suspendre à la demande des grandes puissances, permet de produire du combustible civil pour alimenter une centrale nucléaire ou de la matière fissile pour réaliser une bombe atomique. L'Iran extrait sur son propre territoire l'uranium. Ce métal gris, dur, présent dans plusieurs minerais, est un élément radioactif naturel qui dispose de deux isotopes, le U-238 et le U-235. Toutefois, l'isotope 235, le seul intéressant pour les centrales comme pour la fabrication d'une bombe, car fissile, est en proportion trop faible (0,7%) pour que le minerai soit utilisé comme tel. Il s'agit donc d'enrichir cet uranium pour atteindre des taux d'isotope 235 de 4% à 5% pour un usage civil et de plus de 90% pour une utilisation militaire. Dans le cas de l'Iran, cet enrichissement se fait par centrifugation. Le chef de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique (OIEA), Gholamreza Aghazadeh, a annoncé, le 9 avril, que son pays avait « réussi à enrichir de l'uranium à 3,5% ». Selon l'ex-président iranien Akbar Hachémi Rafsandjani, l'Iran a procédé à l'enrichissement avec une cascade de 164 centrifugeuses, sur le site de Natanz. M. Aghazadeh a indiqué que son organisation tentera de « créer, d'ici à la fin de l'année, un ensemble de 3000 centrifugeuses ». Selon l'Institut américain international pour la science et la sécurité internationale (ISIS), une installation de 1500 centrifugeuses est suffisante pour produire en un an plus d'uranium militaire, c'est-à-dire hautement enrichi, que nécessaire pour une seule bombe atomique. Le seul projet de centrale est celui de Bouchehr, en cours de construction par la Russie. Moscou fournira également le combustible. L'uranium irradié de cette centrale, à terme, sera rapatrié en Russie. Il pourrait autrement être détourné par l'Iran à des fins militaires. Le retraitement de l'uranium usagé permet, en effet, de produire du plutonium, dont il suffit de 6 kilos, de qualité militaire, pour fabriquer une bombe atomique.