Quatre-vingts ans ! Plus d'yeux, plus d'oreilles, plus de dents, plus de jambes, plus de souffle ! Et c'est étonnant, somme toute, comme on arrive à s'en passer», constate Paul Claudel. «Le cœur ne vieillit pas, mais il est triste de le loger dans des ruines», écrit Voltaire, que cette tristesse ne trouble pas outre mesure : «Rien ne m'ôte l'espérance.» Bien vieillir, malgré tout – malgré l'altération de nos fonctions : on entend moins bien, on voit plus mal, on se voûte, on peine à monter un escalier… – bien vieillir est la préoccupation majeure de tous ceux qui prennent de l'âge. D'où le succès des crèmes qui dérident, des pilules qui rajeunissent ou des clubs de gymnastique qui font d'un sexagénaire un trentenaire. Peine perdue : vieillir, pour beaucoup, se vit mal. Et ce mal-être, comme le rappelle le philosophe François Galichet(1), tient au statut de celui qui ne travaille plus, qui a perdu toute utilité sociale, qui ne rapporte plus – et coûte. Rien n'est plus humiliant, plus déprimant, dans les sociétés industrielles, que le statut de retraité. C'est-à-dire d'un inexistant social. D'un non-être existentiel. Ou d'un mort en sursis. Personne ne se vante d'appartenir à une catégorie aussi méprisable et, très souvent, le retraité se définit soit en évoquant sa profession passée – «J'étais enseignant, journaliste…» – soit en précisant qu'il exerce, ne serait-ce que partiellement, une autre activité. La retraite, écrit F. Galichet, demeure «un abandon du monde, le retour à un état qui s'apparente à celui du nourrisson qui est, comme son nom l'indique, nourri de telle sorte qu'il ne connaisse ni la faim ni l'angoisse d'avoir à trouver de quoi vivre… Pareillement, le retraité demeure dans une situation de passivité fondamentale». Il est «totalement contingent», il pourrait ne pas être et «une société sans retraités est possible». Vieillir bien, se réjouir de son état – on est libre, on ne subit plus de chefs –, vivre positivement sa retraite n'est possible qu'à condition de la nier. De refuser le statut d'inutilité sociale qu'elle nous impose. Et par l'activité qu'on exerce, de s'inclure dans le monde des vivants. «On ne peut bien vieillir que dans la résistance au vieillissement. Résister, c'est s'obstiner, continuer à vouloir faire ce qu'on faisait… Je maintiendrai devient la devise de celui qui veut vieillir dignement… L'essentiel est de ne pas subir la vieillesse comme une fatalité, mais comme l'ouverture de possibilités que les autres âges comportent aussi plus discrètement». Le mieux, demande F. Galichet, ne serait-il pas de supprimer la retraite ? Et d'alterner, dans tout le temps de la vie, des périodes d'activité professionnelle et d'autres, que chacun vivrait comme il lui plaît, avant de retourner à l'usine, au bureau, au lycée ou au journal ? Comme d'habitude en avance sur leur temps et pour le mieux, les pays du nord de l'Europe y songent, paraît-il. 1- Vieillir en philosophe (Ed. Odile Jacob, 2015)