Un petit appartement familial encombré de toiles cartonnées et de poteries superposées. Bienvenue chez Djahida Houadef. Le sourire accueillant, le regard gracieux, la plasticienne se désole : «Je n'ai pas d'atelier où travailler.» Aux côtés des Sebaghine qui ne cessent de revendiquer des endroits alternatifs pour s'exprimer, essentiellement les voûtes et les caves d'Alger, Djahida a fait de la récupération des abattoirs d'Alger une cause pendant l'année 2014. «J'ai eu l'idée en 2003, pendantl'Année de l'Algérie en Franc, lorsque j'ai visité les abattoirs de Toulouse», raconte-t-elle. Aussitôt que les autorités décident de déménager les occupants des abattoirs, la plasticienne écrit une lettre au Président, auquel elle lance ainsi un appel pour créer davantage de lieux «qui accueillent l'art et les artistes et qui encouragent le marché de l'art». «Quand on voit le potentiel de l'Algérie alors que ses artistes n'ont nulle part où se produire, je trouve ça triste.» Avec l'aide de ses amis du monde artistique, elle rédige une pétition qu'elle fait signer dans ses déplacements à la recherche d'artistes engagés. Malgré l'abrogation de la loi qui prévoyait d'attribuer les abattoirs aux artistes par la nouvelle ministre de la Culture, Djahida ne désespère pas. Elle prend même une retraite anticipée dans le lycée ou elle enseigne pour se vouer à la création. «Je dois tracer un chemin pour les jeunes.» Prenant l'exemple de Baya Mahieddine et Aïcha Haddad, ses aînées dans le domaine, elle confie : «Sans la présence de ces femmes, je n'aurais jamais pu aller aussi loin. Je dois laisser à mon tour un patrimoine aux jeunes générations.» Cette artiste, qui se soucie de formation, anime régulièrement des ateliers comme ceux du Sud algérien qu'elle dirige chaque année pendant le Festival de l'Ahaggar. Et de prendre à témoin sa théière : «Je suis tellement éprise des moments que j'ai passés là-bas que je ne bois que du thé !» Son djihad à elle ? Celui des couleurs, des fleurs et de la gaieté. «Je me bats pour semer l'amour.» Autour d'elle, ses amis confirment que Djahida «ne cherche pas la lumière, elle veut simplement vivre de son art». Chaouïa Très attachée au village d'abricotiers d'où elle vient, Djahida se laisse emporter par l'émotion à chaque fois qu'elle parle de N'gaous qui l'a vu naître il y a 52 ans de cela. Dans une vie à la campagne, la cueillette des abricots a sans doute contribué à titiller, très jeune, son imaginaire. Connue pour ses toiles fleuries, pleines de vie et de couleurs, elle confesse encore : «N'gaous vit en moi et N'gaoussiette est d'ailleurs l'exposition qui m'est la plus chère.» Après une année scolaire dans son village natal, la petite Houadef rejoint sa famille déjà installée à Alger-Centre. Nouvelle vie, nouvel entourage, Djahida découvre les objets des colons. Des photos d'Alger, des cadres, des statuettes. Elle reconstitue ce qu'elle trouve, «un de ses premiers travaux pratiques dans l'inconscience». «Je créais même des jouets pour mes frères et sœurs avec les objets des colons.» La grande sœur d'une fratrie de douze enfants n'est pas aussi brillante à l'école. «Je venais de la campagne, de la vie simple et les maîtres autoritaires ne me plaisaient pas !» Elle quitte l'école pour rejoindre les Beaux-Arts, où elle respire la liberté, frôle l'art et la peinture. Diplômée en céramique à l'Ecole nationale des beaux-arts, puis en peinture à l'Ecole supérieure des beaux-arts fraîchement créée, Djahida devient maîtresse dans un lycée et entame en parallèle sa vie d'artiste. Sa première exposition, «Femmes», remonte à 1989. Aujourd'hui, Djahida Houadef se dit fière d'être une Chaouïa, s'imagine dans le personnage de Dyhia, la reine des Amazighs et, comme elle, peut mener seule le combat s'il le faut. Elle souhaite que son œuvre soit inscrite, de par sa qualité, dans le patrimoine algérien et appelle le ministère de la Culture à «redonner vie au marché de l'art» et les artistes algériens à «s'unir».