Elles sont plusieurs milliers. Leur mobilisation collective et leur solidarité ont fait l'unanimité au sein de la rédaction. Les femmes d'In Salah manifestent depuis le 31 décembre, avec les hommes, contre l'exploitation du gaz de schiste. Le premier puits de forage du pays, à Ahnet, n'est qu'à 47 kilomètres de la ville. Pour protester, elles se rassemblent par centaines sur la place Soumoud, participent aux manifestations, marchent entre 10 et 15 kilomètres parfois deux fois par jour. Les plus âgées ont installé des tentes pour faire la cuisine pour des centaines de personnes. Sur les images qui parviennent aux rédactions, des jeunes filles en blouse rose côtoient leurs mères, foulards colorés encadrant leurs visages, et des femmes plus âgées dans les manifestations. La présence policière du week-end dernier et les affrontements ne les ont pas empêchées de marcher à nouveau. Habituellement, les femmes d'In Salah vivent du travail agricole, de petits élevages ; d'autres sont enseignantes pour l'éducation nationale ou dans les écoles coraniques. On dit de ces femmes du Sud qu'elles sont très impliquées dans l'éducation de leurs enfants, dans leur alimentation et dans la préservation de leur environnement. «Les femmes comme les hommes font du tri sélectif des déchets, pour avoir de la nourriture pour les petits animaux et protéger leur milieu», raconte un proche d'une manifestante. La nature est donc à choyer, ce qui explique en partie la mobilisation contre les techniques de fracturation hydraulique qui peuvent polluer les nappes phréatiques. Solidarité «Les femmes sont les gardiennes de l'eau, elles protègent leurs enfants. C'est l'instinct de protection qui les a fait bouger contre ces projets. Leurs enfants leur ont dit qu'elles étaient en danger. Dans cette région, les mouvements de contestation sont rares, mais l'eau, c'est vital», explique Hacina Zegzeg, militante antigaz de schiste. A In Salah, les femmes participent aux prises de décision au sein de la famille comme dans les quartiers ou les villages. «Elles sont indépendantes», commente une habitante de Ouargla. Leur rôle est aussi devenu celui d'aider l'ensemble de la communauté mobilisée contre l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels. «Elles soutiennent les jeunes qui mènent la lutte contre le gaz de schiste. Elles cuisinent chez elles, elles nous donnent des dattes, du lait, de l'eau. Elles permettent à plus de 200 personnes de manger», décrit Taleb Belaiz, 42 ans. Mehdi, 30 ans, les considère comme «les soldats des coulisses» : «Elles veillent sur leurs enfants et font le suivi scolaire. Sans elles, on ne pourra jamais atteindre notre objectif.» Lors des affrontements, elles ont approvisionné les manifestants de la place Soumoud en vinaigre pour neutraliser les effets du gaz lacrymogène. Aïcha, vêtue d'un gilet jaune, assure la sécurité pendant les marches. Fatiha, professeur d'anglais, trilingue, fait de la pédagogie, expliquant aux plus jeunes ou aux plus âgés ce qu'est le gaz de schiste, comment se renseigner et se faire leur propre opinion. Malgré les incompréhensions, malgré l'indifférence, malgré le refus de certains dirigeants de les considérer comme des interlocuteurs, elles ont pris la parole dans l'intérêt collectif. Une leçon de citoyenneté.