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ZIANI CHERIF AYAD : METTEUR EN SCÈNE DE THEÂTRE
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Publié dans El Watan le 07 - 03 - 2015

-Vous avez choisi de monter Noces de sang, de Federico Garcia Lorca. Pourquoi avoir choisi le texte de ce poète espagnol ?
Federico Garcia Lorca était parmi les auteurs qui avaient attiré mon attention lorsque j'étais étudiant à l'Institut national des arts dramatiques. Je m'y suis intéressé en tant que comédien. (…) Plus tard, quand je me suis mis à la mise en scène, dans les années 1980, j'étais confronté à l'absence de textes dramatiques algériens. Seuls certains auteurs et animateurs de troupes montaient leurs propres textes.
En dehors de cela, le théâtre était pauvre en écriture. J'ai donc cherché ailleurs, dans la nouvelle et le roman algériens et arabes. L'époque était riche en textes littéraires pertinents sur la société avec des problématiques politiques et culturelles. D'une pièce à une autre, je me suis embarqué dans cette voie pendant des années. L'urgence de choisir aujourd'hui un auteur du répertoire universel est liée au fait qu'on voit trop de pièces «algérianisées». C'est le moment de donner un autre son de cloche à cette approche du patrimoine universel.
C'était également un pari pour moi. Après tant d'années passées à travailler sur des textes qui n'étaient pas destinés au théâtre et après avoir eu le luxe de les adapter comme je le voulais, suis-je en mesure de prendre un texte du répertoire universel et de le monter tel qu'il a été écrit ?
-Un pari, dites-vous ?
Disons un défi de metteur en scène. Mais je l'ai partagé avec une équipe avec laquelle je travaille depuis longtemps, dont le compositeur Noureddine Saoudi. J'ai découvert en lui une grande compétence en matière de travail sur la langue. (…) Pour la scénographie, j'ai travaillé avec Arzeki Larbi. Nous n'avons pas suivi la didascalie (ndlr : indications de mise en scène ou d'interprétation dans le texte d'un dramaturge ou d'un scénariste) de Lorca. Pour les lumières, conçues avec Chaker Yahiaoui, nous avons travaillé sur des ambiances, des univers qui rappellent l'Espagne et sa peinture (Velasquez, Miro, Picasso...).
-Vous avez choisi de travailler avec des comédiens débutants pour la plupart. Pourquoi ?
Pas tous. Quand Sonia et le théâtre régional de Annaba m'ont proposé de mettre en scène Noces de sang, il était exclu pour moi de ramener des comédiens en dehors de Annaba. Ils sont vingt dans la distribution, seize comédiens et quatre danseurs. Nous avons fait un casting. Ces comédiens ne se connaissaient pas tous. Aujourd'hui, grâce à la pièce, ils constituent une troupe. Certains sont professionnels, d'autres amateurs. Ils sont dans des coopératives. J'ai essayé, dès le début, de leur inculquer l'esprit de groupe. Autrement dit, sortir de l'ego, qui est naturel chez les comédiens, pour travailler d'une manière collective.
Pas question pour un comédien de ne chercher qu'à se faire voir et de ne pas écouter son partenaire. Le théâtre, c'est d'abord la troupe. Après deux mois et demi, j'ai retenu une belle leçon de cette expérience avec des gens qui ont la passion de faire des choses et de le faire bien. Je leur ai expliqué que pour un professionnel, le détail compte. On ne travaille pas dans le gros ! Et là, j'ai été agréablement surpris par la charge que les comédiens ont mis dans les répétitions. J'ai essayé de leur communiquer aussi que, malgré son importance, un texte ne suffit pas. Un comédien doit également parler avec son corps, ses gestes, son regard, éviter le bavardage gratuit, rendre le geste par rapport à ce que nous dit le partenaire. C'est un exercice que nous avons mené avec le chorégraphe Fares Fettane.
-Cela fait longtemps que vous n'êtes pas revenu au TNA (Théâtre national algérien). Pourquoi cette
absence ?
Cela fait presque douze ans ! J'étais interdit, mais ce n'est jamais officiel. Les grands moments du théâtre ont été toujours le fruit d'un investissement des artistes, jamais celui d'une politique culturelle. Nous n'avons jamais eu une vraie vision culturelle. Cela dit, il serait ingrat de dire qu'il n'y a jamais eu de théâtre en Algérie. Le dire, c'est insulter des artistes de grand talent, engagés, reconnus à l'étranger. La maladie algérienne est de dire : il n'y a rien ! On efface tout… Nous sommes encore dans l'oralité. Il n'y a pas beaucoup d'archives. Donc, les jeunes n'ont pas beaucoup de repères. On leur dit que c'est avec eux que la révolution théâtrale aura lieu en Algérie.
-A qui la faute ? Pourquoi la mémoire du théâtre algérien n'a-t-elle pas été entretenue ?
L'ancienne ministre de la Culture voulait faire de l'animation dans le sens où l'on faisait avancer à chaque fois des bilans sur le nombre de pièces montées ou de livres publiés. On ne faisait pas attention au contenu. Beaucoup de choses ont donc manqué malgré l'existence de moyens. Des moyens qui n'étaient pas là où il fallait. Je cite un exemple : l'état actuel de la formation dans les écoles d'art. Je mets beaucoup de temps à dégrossir et à enlever la poussière de la formation des comédiens passés par l'ISMAS. Il y a un problème avec les méthodes de formation et les cursus.
-Que faire alors pour améliorer la formation aux arts dramatiques ?
Il faut plusieurs paliers de formation. Ailleurs, il existe des formations académiques, mais généralement elles ne sont pas destinées aux comédiens. Les écoles d'art sont pour la plupart rattachées à des théâtres, pas à des ministères. On passe directement de la formation à la vie professionnelle dans un théâtre. Il est important de changer également le schéma prévu pour le corps enseignant.
Chez nous, sans doctorat, vous ne pouvez pas enseigner. Or, les metteurs en scène peuvent enseigner, transmettre leur expérience. Les écoles d'art sont dirigées d'abord par des metteurs en scène. Il n'est pas possible d'avoir sur un cursus de quatre ans le même professeur d'interprétation, comme c'est le cas actuellement. A l'étranger, on organise des ateliers bloqués.
Sur son parcours, un étudiant en arts dramatiques va travailler avec au moins six metteurs en scène aux approches différentes. Quand il termine ses études, il a quelques outils pour faire son métier. L'école ne forme pas le comédien, elle lui donne des moyens et des techniques. Un comédien ne sera considéré en tant que tel qu'une fois passé à la phase professionnelle. Dans certains pays, il existe des ateliers à l'intérieur même des théâtres (…).
-Et qu'en est-il de votre expérience au TNA en 2002 ?
J'ai essayé d'y mener une véritable action. Un théâtre national doit être un pôle d'excellence en matière culturelle. On ne demande pas la qualité artistique à tout le monde, mais ne monte pas sur le plateau du Théâtre national n'importe quelle troupe. Ensuite, je voulais faire du TNA un théâtre de répertoire.
Autrement dit, travailler sur notre propre répertoire. C'est-à-dire monter et remonter les pièces des grands auteurs qui ont marqué le théâtre algérien. Tous les pays le font pour leurs auteurs. Chez nous, dès qu'on monte une pièce, c'est fini, khlass ! On ne la remonte plus. Alors qu'ailleurs, des pièces qui datent de 2500 ans sont toujours jouées et montées ! Parce qu'il y a toujours un éclairage nouveau, un autre regard… Au TNA, j'ai monté Nedjma, de Kateb Yacine. Nous avons repris aussi des pièces de Alloula et de Kaki.
Mon idée était aussi d'ouvrir le TNA sur le théâtre maghrébin et africain. Le TNA aurait pu être un théâtre de référence puisque dans le monde arabe aucun théâtre ne fait ce genre de travail. En 2002, le TNA a connu sa première saison théâtrale à partir de septembre. Le public a été informé de ce que nous allions faire. Nous lui avons expliqué les raisons de notre choix. Ce travail d'explication n'existe malheureusement pas dans nos théâtres. Les théâtres doivent avoir une programmation à long terme pour que le public et la presse aient le choix.
-Mais qu'est-ce qui empêche la programmation de Noces de sang pendant quinze ou vingt jours ?
Programmer oui, mais il faut créer un environnement tout autour pour que le public se déplace au théâtre. Il faut faire des avant-premières pour les critiques, les journalistes. La presse doit suivre l'évolution d'une pièce, préparer des avant-papiers… Il y a donc tout un travail à faire pour que la pièce tienne l'affiche pendant vingt jours. Les théâtres doivent avoir de bonnes relations de presse. Il faut également développer la relation avec le public. Tout cela manque actuellement. N'oublions pas qu'il s'agit là de métiers à développer.
-Vous plaidez aussi pour la création d'un Centre national du théâtre...
Oui, un centre où l'on peut réunir les archives, les photos, les affiches, les articles de presse, les pièces filmées… Pour que les jeunes trouvent de la matière pour avoir une idée sur ce qui a été fait en matière théâtrale en Algérie. Le centre serait la mémoire du théâtre algérien.
-Quand vous regardez les pièces produites actuellement, vous en pensez quoi ? Est-ce qu'on s'améliore, stagne ou on régresse ?
Malheureusement, la médiocrité cache parfois les bonnes expériences théâtrales. Je cite l'exemple des coopératives théâtrales créées malgré l'absence de textes législatifs au milieu des années 1980. A l'époque, les seuls professionnels reconnus étaient ceux qui étaient dans les théâtres d'Etat. Abdelkader Alloula a eu l'idée de reprendre le schéma de la coopérative agricole pour l'adapter au théâtre.
Les coopératives ne peuvent pas remplacer le théâtre public qui a son importance dans un pays comme le nôtre. Les compagnies de théâtre ont un rôle à jouer, à condition de revoir leur organisation, les doter d'un cahier des charges et les soumettre à une évaluation. Il ne s'agit pas de distribuer le budget uniquement. Ces compagnies doivent avoir aussi des appels à projets sur trois ans, par exemple.
A partir de là, on donne une subvention, puis on fait une évaluation en ce sens qu'on analyse l'intérêt de la presse et l'impact sur le public. Aujourd'hui, on n'évalue rien du tout. Parfois, il y a eu des «services faits» pour des spectacles qui n'ont pas eu lieu, faute de public.
Certains font des «quotas» de représentations pour avoir la subvention. A mon avis, il faut faire le tri. Et ce n'est pas au ministère de la Culture de faire tout cela. Le ministère ne peut s'occuper que des grandes troupes de théâtre indépendantes ou publiques. Les collectivités locales et les maisons des jeunes ont un grand rôle à jouer pour soutenir les petites troupes théâtrales ou les troupes semi-professionnelles. Il faut en finir avec l'égalitarisme. La hiérarchisation n'est pas mauvaise. Au contraire, elle stimule. Il faut s'arrêter un moment, faire le bilan, étudier ce qui était bon et ce qui était mauvais et aller de l'avant…
-Vous êtes l'un des rares metteurs en scène à avoir adapté des textes littéraires algériens. Aujourd'hui, on adapte surtout des textes étrangers. Et on nous parle de crise de textes...
Parfois on évoque aussi la question de la langue. En Tunisie et au Maroc, j'ai entendu parler aussi de ces questions. J'ai fait une expérience avec Maintenant, ils peuvent venir, le texte d'Arezki Mellal lors de «L'Année de l'Algérie en France» (2003). J'ai appelé l'auteur que je ne connaissais pas, lui disant qu'il y avait beaucoup de théâtre dans son écrit, une tragédie bien menée.
J'ai dit la même chose à Mustapha Benfodil et à Hajer Bali. Je voulais inviter un ou deux auteurs pour un échange d'expériences. Et j'ai invité le metteur en scène et auteur Olivier Py, actuellement directeur du Festival d'Avignon, et l'écrivain Mohamed Kacimi. Ils se sont vus ici au TNA. Les auteurs algériens ont été invités ensuite à des résidences d'écriture. Aujourd'hui, nous avons des auteurs de théâtre mais qui malheureusement ne sont pas montés sur scène. Arezki Mellal a déjà écrit plusieurs pièces jouées en France, pas en Algérie.
Il y a des formes et méthodes diverses pour chercher et trouver des auteurs de théâtre. On ne va pas gagner tout le temps, mais il faut prendre l'initiative, donner les moyens, créer des résidences d'écriture avec des perspectives. On peut demander à un auteur de venir avec un synopsis et des comédiens avant une résidence d'écriture. Le synopsis sera développé sur le plateau, on fait de l'improvisation. L'auteur écrit les répliques qu'on va jouer le lendemain. Ainsi de suite, jusqu'à avoir un texte.
Ces formes n'ont jamais été explorées en Algérie pour avoir de nouveaux auteurs. Il est donc normal qu'on se repose la question cinquante ans après. Nous avons énormément de textes littéraires qui peuvent être adaptés au théâtre. Il suffit de mettre un dramaturge avec l'auteur.
-L'expérience du Gosto va-t-elle continuer ?
Auparavant, il m'était difficile de jouer en Algérie sauf au palais de la Culture à Alger. Je n'avais pas de subventions, mais je voulais à tout prix être présent ici. D'où la création, en 2004, de la compagnie El Gosto avec un groupe de comédiens.
Au palais de la Culture, nous faisions des spectacles presque confidentiels. Nous avons joué ces spectacles à l'étranger. Cette expérience sera développée en tant que compagnie avec un projet étalé sur trois ou quatre ans. Un projet qui concerne tant la formation que l'écriture. Il s'agit de faire du théâtre expérimental : avoir lieu là où l'on expérimente des formes qui sont en dehors du classique, du théâtre à l'italienne.
-Qu'en est-il de la liberté d'expression dans le théâtre algérien ?
Quand j'ai monté Hafila tassir ou Les martyrs reviennent cette semaine, certains m'ont dit : ça ne va pas passer. Je n'ai monté que les textes que j'avais envie de faire. Hafila tassir dénonçait la bureaucratie en Algérie, le passage du socialisme vers l'économie de marché. Les martyrs reviennent cette semaine revenait sur les histoires liées à la légitimité historique et les faux moudjahidine. Les pièces ont été présentées au public sans problème. Donc, en tant que metteur en scène, j'ai monté les spectacles qui m'interpellaient et qui avaient un sens par rapport à notre pays. L'environnement fait que les gens s'autocensurent.
Chez nous, il n'y a jamais eu de censure claire, en ce sens qu'on vous dit : ne faites pas ceci, évitez cela. En tout cas, officiellement ça n'existe pas. C'est plus pernicieux, plus compliqué. J'ai subi des pressions plutôt sympathiques avec par exemple Hafila tassir.
Bachir Kheldoun, responsable de la culture du FLN, m'a félicité après le spectacle montré au Festival de Mostaganem, m'a appelé ensuite à son bureau à Alger pour me demander de le conforter dans ce qu'il a compris de la pièce. Pour lui, hafila (le bus), mené par un chauffeur qui fait la loi, symbolisait l'Algérie. Je lui ai dit qu'une fois montrée, la pièce échappe à son metteur en scène. Libre au public de faire l'interprétation qu'il veut. Mais c'était une manière de me signifier qu'ils avaient compris le sens de la pièce… 

-Seriez-vous tentés de re-monter ces pièces ?
Peut être pas moi. Il existe des pièces qui méritent d'être représentées au public. Par exemple, «Ledjouad» de Abdelkader Alloula et tout le théâtre de Kateb Yacine, Kaki, Rouiched. On n'a jamais essayé de remonter Rouiched sans Rouiched.
Il écrivait pour lui dans le sens où ses textes étaient destinés à ses propres mises en scènes et interprétations. Je ne vais pas faire la comparaison, mais Molière écrivait pour lui aussi. Ce n'est pas une raison, mais nous n'avons jamais essayé de présenter les pièces de Rouiched une nouvelle fois. Il y a encore des choses à redécouvrir avec des pièces bien écrites. Rouiched dessinait bien les personnages. Il installait l'environnement, la Casbah, etc...


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