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«Le théâtre doit interpeller la société»
ZIANI CHERIF AYAD À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 26 - 12 - 2005

Metteur en scène et scénographe, le dramaturge évoque ici les raisons de la crise du théâtre algérien et apporte ses solutions éclairées sur la question...
Comédien au théâtre national algérien de 1971 à 1980, Ziani Chérif Ayad a mis en scène de nombreux spectacles. De 1985 à 1988, il est directeur artistique du TNA. En 1987, il met en scène Les martyrs reviennent cette semaine, d'après la nouvelle de Tahar Ouattar. Adaptée par M'hamed Benguettaf, la pièce a obtenu le grand prix aux journées théâtrales de Carthage (Tunisie). En 1989, il démissionne du TNA et crée la compagnie indépendante Masrah El Kalaâ (théâtre de la Citadelle).
Il mettra en scène près de 10 pièces dont Al Ayta de M'hamed Benguettaf en 1989, Hafila Tassir (1991). En 2000,Théâtre national algérien et directeur du département théâtre et danse au commissariat général pour l'Année de l'Algérie en France. 2000-2001, il adapte et met en scène Un été de cendres, d'après le roman de A. Djemaï et un an après, Les martyrs reviennent cette semaine, d'après la nouvelle de Tahar Ouattar et Nedjma, d'après le roman de Kateb Yacine.
Déchu de ses fonctions de directeur du TNA, il n'en continue pas moins d'exercer son métier et faire montre de son talent ici et à l'étranger.
L'Expression: D'après vous, comment se porte aujourd'hui le théâtre algérien?
Ziani Chérif Ayad: (...) Je vais donner l'impression du disque rayé de dire toujours et répéter les mêmes problèmes et en plus, avec les retards accumulés, les problèmes s'amplifient. A mon avis, il faut faire une espèce de halte, et regarder dans le rétroviseur pour voir tout ce qui s'est passé jusqu'à présent.
En fin de compte, on n'a pas réussi à des moments donnés à mémoriser et capitaliser les expériences. Dans les expériences, il y a des réussites mais aussi des échecs. Il y a des réflexions artistiques non abouties qui méritent d'être encore fouillées davantage parce que ceux qui les ont initiées peut-être n'ont pas eu assez de temps ou les moyens et ils ont disparu entre-temps.
En fin de compte, c'est resté en état de chantier. Ce que je veux dire par là, c'est que le théâtre algérien a eu et a jusqu'à présent des potentialités énormes, malheureusement elles n'ont jamais été canalisées et rassemblées pour justement aller plus loin et faire évoluer l'art dramatique de manière générale. Donc, je pense qu'au-delà des malentendus, des problèmes et des polémiques, ça mériterait une vraie réflexion sereine des gens, des professionnels quels que soient leurs points de vue sur le théâtre.
Au contraire, plus il y en a, même s'ils sont contradictoires, mieux c'est et cela enrichit à la fois le débat mais en même temps cela permettrait d'arrêter de naviguer à vue en essayant toujours de travailler dans l'urgence, parce que le problème du théâtre algérien a été aussi de travailler dans l'urgence et selon les moyens.
Nous n'avons donc pas mené jusqu'au bout toutes les expériences qui ont été initiées depuis 40 ans. Je pense que ce serait pour le bien du théâtre algérien qu'il y ait une réflexion d'abord sur ce qui s'est fait jusqu'à présent, de prendre les expériences qui ont été le plus marquantes, celles qui pourraient éventuellement aider pour avancer et à ce moment-là, si la volonté politique bien sûr existe, pour essayer d'aller de l'avant et de travailler dans le sens de la profondeur et non de rester uniquement dans un esprit d'animation, d'activisme, de dire j'ai monté tant de pièces sans se demander si cela a plu au public, quelle est la place du théâtre dans une société comme la nôtre en pleine mutation, quel est le sens donné aujourd'hui à la parole théâtrale, quel est son point de vue sur ce qui se passe dans le monde, cette histoire de mondialisation, cette standardisation à l'américaine de la marchandisation du produit culturel... donc, il y a plein de choses à approfondir et je pense qu'il est temps, si on ne veut pas vraiment redémarrer mais disons remettre la locomotive sur les rails.
Justement, on parle de relance du théâtre depuis un certain moment, mais on ne voit pas de relève.
La relance est un tout. Je suis convaincu que la relance n'est pas uniquement une question de moyens. La relance est une affaire globale qui pose d'abord le problème de la formation que forme aujourd'hui l'Institut des arts dramatiques? Est-ce les comédiens qu'il faut pour le théâtre qu'il faut? Quelle est aussi la place du théâtre dans la cité? C'est tout ce qui fait partie de la relance.
Cela ne suffit pas de se dire pour relancer le théâtre : demain, je vais donner de l'argent et des gens vont monter des pièces de théâtre ! La relance, comme je disais tout à l'heure, c'est d'abord porter une vraie réflexion sur le théâtre, faire un travail de mémoire, capitaliser les expériences et à partir de là, établir des pistes de travail, que les théâtres ne soient pas tous gérés dans le contenu et tous dans le même sens, mais qu'il y ait des originalités, d'un théâtre par rapport à un autre et que ces théâtres reposent sur les expériences des artistes. En effet, le théâtre n'est pas uniquement le bâtiment, c'est aussi le projet que propose l'artiste dans une institution. Il faut qu'on se mette en tête qu'un théâtre c'est pas uniquement nommer un directeur mais cela suppose et sous-entend d'abord un projet d'un artiste au sein d'une institution qui peut se quantifier sur 2 ou 3 ans pour faire le bilan de son projet et avancer par la suite.
Justement, Slimane Benaïssa a déclaré récemment lors d'une conférence de presse qu'il a dû d'abord tâter le terrain quand il était en France, avant de proposer un projet, c'est-à-dire situer d'abord l'environnement dans lequel il était et pouvoir s'acclimater avec, par la suite... Chez nous, est-ce que le théâtre répond à une exigence sociale ou reflète-t-il sincèrement l'image de la société algérienne?
A mon avis, en tout cas, aujourd'hui non. Hier, oui. Notre théâtre ne reflète rien du tout aujourd'hui. Je n'aime pas ce mot, mais je dirais qu'il n'est pas le porte-parole d'une majorité de gens. Le théâtre, c'est un point de vue subjectif d'un artiste par rapport à une société. Il interpelle la société.
Il peut être à contre-courant par moment, par rapport à un état d'esprit mais pour faire justement évoluer les choses, l'artiste peut être par moment en porte-à-faux par rapport à ce qui est convenu, à ce qui est majoritairement admis, etc... Cela aussi fait partie des questions qu'on doit se poser.
Quelle est la parole du théâtre aujourd'hui dans une société comme la nôtre, quand on sait que les attentes du public d'aujourd'hui ne sont pas les mêmes que celle d'un public d'il y a 10 ou 15 ans.
Celui d'aujourd'hui ne connaît peut-être même pas le théâtre. Les salles sont désertées. Donc, il faut faire un travail à destination du public et discuter avec lui, le sensibiliser. C'est aussi le rôle de la presse, les comptes rendus et évaluations des travaux des uns et des autres. La confrontation de notre travail par rapport à ce qui se fait dans le monde et se demander où en est-on dans la création théâtrale contemporaine, etc.
On arrive aux raisons internes de la crise du théâtre algérien. Est-ce dû au manque d'auteurs ou au manque de textes?
Quand j'étais directeur au TNA, j'ai soulevé déjà ce premier point essentiel qui est celui de l'écriture théâtrale, c'est quoi aujourd'hui un auteur et une écriture théâtrale ? En plus, on ne peut pas s'improviser spontanément comme ça, auteur de théâtre. Celui-ci est aussi le résultat de tout un environnement culturel.
C'est un apprentissage, c'est une confrontation à d'autres écritures, quand on sait ou pas ce qui se fait dans le théâtre contemporain aujourd'hui dans le monde et les préoccupations que traitent chacune. La dynamique ne peut pas provenir d'une autarcie.
Il n'y a pas de recette miracle pour relancer le théâtre. Encore une fois, je dirais cela ne suffit pas de donner des milliards si au départ, on ne sait pas sur quoi investir. Sur le bâtiment ? le comédien? le métier de la scène? Nous n'avons à ce titre rien fait pour former dans ce sens. Il y a des régisseurs dans l'éclairage, d'autres du son, un chargé de production... Qu'avons-nous fait pour ces métiers depuis 40 ans?
Dernière question: quelle est l'actualité ou projets en perspective de M.Ziani Chérif Ayad?
Je continue à faire du théâtre. Là, je suis sur deux spectacles en France. Je travaille sur un auteur qui est Alloula. Mes projets consistent à travailler sur plusieurs auteurs à la fois : algériens et arabes, d'une manière générale.
Je considère aussi que la présence du théâtre arabe en France ou en Europe est nécessaire pour nous aussi.
Je m'aperçois qu'en Europe, on connaît le dynamisme d'un théâtre africain, tunisien et pas du tout algérien et en plus, quand on sait que maintenant la population d'origine maghrébine et algérienne est très importante, lui présenter le théâtre de ses origines, des auteurs de son pays c'est quelque part la valoriser et valoriser la culture d'origine.
Donc, actuellement, je travaille sur des auteurs algériens en ciblant à la fois un public d'origine française ou immigré d'origine maghrébine et arabe d'une manière générale et en même temps un public plus large, c'est-à-dire français ou européen.


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