L'année universitaire écoulée a été marquée par une série de conflits, ce qui compromet très sérieusement la rentrée universitaire 2006/07, d'autant plus que le taux de sucées au bac a atteint le record historique de 51%. Comment en est-on arrivé là et pourquoi ? Depuis sa constitution, dans les années 1990, le Syndicat autonome des enseignants, CNES, a toujours mis en avant le statut des enseignants du supérieur et, d'une manière générale, les conditions socio-économiques globales (salaires, logements). Le fait est qu'il n'est plus possible, à l'heure actuelle, devant les défis lancés au pays, de continuer à fonctionner avec une université au rabais, chargée uniquement de la gestion du flux des étudiants, avec des enseignants sous-payés et des étudiants sous-enseignés, dans des conditions matérielles précaires. Le problème est directement lié à la place et au statut de l'université dans notre société, et au rôle qui lui est assigné. Sur un autre plan, l'avènement d'un syndicat autonome, loin de toute tutelle administrative ou politique, pose un sérieux problème dans le mode de gestion des conflits sociaux en usage dans notre pays. En effet, le Cnes pose l'épineux problème de la gestion de l'université qui est, comme pour beaucoup d'autres structures, un système de cooptation à l'usage exclusif de candidats embusqués dans les couloirs abrupts et sinueux de la promotion sociale. Ce système a fait plusieurs fois la preuve de son inefficacité et de sa nuisance. Il marginalise les compétences et mène à la stagnation par le jeu des privilèges acquis, il est contre-productif et contraire aux intérêts de l'université et du pays.En prenant en charge ces deux problèmes, le CNES s'est, dès sa création, mis en danger. Il est clair que ses revendications sont en porte-à-faux avec certaines règles et lois non écrites, il fallait donc réagir. Dans le courant de l'année 2006, la riposte est venue de l'intérieur même du CNES ou plutôt de son sommet, le coordinateur national, nouvellement élu, interdit l'accès à la salle des actes (structure du CNES) au syndicat (non agréé) des enseignants du secondaire (Cnapest), mettant ainsi fin à tout un travail de coordination entre les syndicats autonomes dont le Cnes était pourtant partie prenante. Au cours de la même année, et dès l'annonce de la grève nationale, le ministère de tutelle remet en cause la représentativité des sections syndicales et demande la listes des enseignants syndiqués, ce qui n'est pas prévu par la loi. Enfin, une décision de justice rapidement rendue, suite à une plainte du ministère de tutelle, déclare la grève illégale. Cette décision, que l'on ne peut critiquer, selon la formule consacrée, permet au coordinateur national de rebondir, de se déclarer légaliste et d'appeler à l'annulation de la grève votée à la majorité des voix dans toutes les structures syndicales du pays. Depuis, le syndicat des enseignants est divisé, certaines sections sont entrées en grève, d'autres ont normalement assuré le déroulement des examens, ont bouclé l'année et se préparent à prendre un repos bien mérité. La gestion du conflit par la tutelle dans les universités en grève a donné lieu à des dérives inédites dans l'histoire de l'université algérienne : il a été mis fin, par le coordinateur national, au mandat de trois représentants syndicaux (ce qui est contraire au statuts du CNES) qui sont immédiatement traînés en justice par la tutelle. Cette division des tâches montre tout l'enjeu de la grève actuelle : il y a, d'une part, une demande « pédagogique » pour un certain type de syndicat et il y a, d'autre part, une offre de service tout aussi « pédagogique » du coordinateur national. Cela rappelle une triste époque où un coordinateur passé et oublié a accepté un poste de député (non élu), sans même en informer le syndicat ni démissionner de ses responsabilités. Il avait réalisé que sa promotion sociale ne passerait jamais par son mérite ou par ses efforts personnels, mais par le service qu'il peut rendre et l'opportunité du moment. Au niveau local, les moyens mis en œuvre par l'administration pour stopper la grève sont peu habituels ; passons sur la suspension totale du salaire des grévistes qui est en fait illégale, passons également sur l'ouverture de registres pour faire émarger contre versement du salaire, les enseignants non grévistes, pour ne retenir que le seul volet pédagogique. Le règlement précise que les examens doivent être tenus dans de bonnes conditions de programmation, de préparation et de transparence. comment alors valider les examens qui se déroulent dans des conditions obscures ? Les étudiants convoqués par voie de presse ou par affichage ne sont pas sûrs d'être examinés, et ils passent ainsi de report en report avec les déperditions et le stress que cela suppose. Sur un autre plan, la validation de l'année repose sur les délibérations de jury. Comment les jurys peuvent-ils siéger si tous les examens ne sont pas tenus ? Le problème, c'est qu'à force de vouloir faire passer à tout prix les examens, on en oublie forcément l'essentiel, c'est-à-dire la signification même de l'examen au sens de la pédagogie et de l'éthique. Le conflit entre les enseignants grévistes et la tutelle dépasse le simple cadre d'une revendication sociale. Trois syndicalistes sont déjà mis en examen (sans jeu de mots) et beaucoup d'autres risquent de suivre. Le ministre de tutelle menace, même par voie de presse, les grévistes de licenciement. Après cela, qui osera reprendre le flambeau et tenter de réorienter l'université algérienne vers son unique objectif : la formation des générations futures ? C'est, à mon avis, le sens du message que l'on veut faire passer à la communauté universitaire toute entière et, à travers elle, à tous les syndicats autonomes.