En réfutant la date du 19 Mars 1962 comme marqueur historique de la fin programmée de la colonisation, la commune de Béziers ouvre une nouvelle brèche au révisionnisme historique. Depuis que le Parlement français a entériné, en novembre 2012, la date du 19 Mars comme «souvenir à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie», les levées de boucliers se sont multipliées. Si beaucoup de communes respectent la loi républicaine et fleurissent les monuments ce jour-là, les associations d'anciens combattants sont divisées pour y participer. La Fnaca et l'ARAC, plus à gauche, y sont favorables depuis des années et vont jusqu'à prôner l'établissement de relations avec les anciens combattants algériens de l'ALN, pour créer des liens et jeter à la poubelle de l'histoire un conflit qui a meurtri contre son gré la jeunesse française pendant sept ans, de 1956 à 1962. Par contre, l'Union nationale des anciens combattants d'Indochine des territoires d'outre-mer et d'Afrique du Nord (Unacita) n'en démord pas. Ne se joignant pas aux commémorations, elle continue d'avoir des positions vivement anti-algériennes.Sans parler des mouvements d'extrême droite et des associations qui font revivre encore aujourd'hui, 53 ans après, les thèses assassines de l'OAS. Des pages et des pages sur internet libèrent quotidiennement cette logorrhée nostalgique de «l'Algérie française», estimant que le cessez-le-feu a été un cadeau aux Algériens alors que la France avait gagné la guerre. Ce n'est pas le lieu, ici, de commenter ce non-sens et cette contre-vérité historique. La mémoire à effacer C'est dans cet esprit que Robert Ménard, maire d'extrême droite, fils d'un partisan de l'OAS, a débaptisé samedi dernier la rue du 19 Mars 1962, la rebaptisant du nom d'un officier putschiste d'avril 1961 à Alger, Hélie de Saint-Marc. Tout a été écrit dans ces colonnes sur le formidable élan de protestation qui s'est manifesté sur les lieux de cet événement funeste samedi. Par contre, on est resté médusés par les propos haineux qu'a proférés le maire, dans la lignée des factieux de «l'Algérie française», lui qui a terminé son discours en demandant d'entonner le chant des Africains, cher aux premiers colons de notre pays. Toujours la même chanson, dix-huit décennies après la spoliation. Il a osé s'arroger un titre de propriété sur l'Algérie : «C'est notre paradis à nous, ce paradis qu'on nous a enlevé, ce paradis qui hante toujours, plus de cinquante ans plus tard, nos cœurs et nos mémoires…» «Et nous faire croire que les combats ont cessé le jour où des traîtres signaient un cessez-le-feu, qui n'était rien d'autre qu'un lâche abandon, un vil renoncement.» La forfaiture est plus grande encore lorsque Ménard insulte les Algériens dans leur ensemble, sur les deux rives de la Méditerranée et particulièrement en France. Pourquoi vitupère-t-il contre la population algérienne déjà durement éprouvée par les difficultés économiques et visée par le racisme antimusulman qui se développe ici et là, lui qui dénonce la haine antijuive ? Pourquoi met-il en parallèle le sort des pieds-noirs et celui des émigrés ? «Tout simplement, alors qu'on obligeait un million de Français à quitter leur Algérie natale, on ouvrait la France, quasi simultanément, à des millions d'immigrés bien décidés pour certains à ne jamais se sentir, à ne jamais devenir des Français à part entière.» La justice devra-t-elle se prononcer sur cet excès, passible du tribunal ? «Immigration de peuplement» vs «colonisation de peuplement» D'autant qu'il va plus loin en reprenant les thèses de la droite extrême au sujet du «grand remplacement» : «Colonisation de peuplement, disait-on de la présence française en Algérie. Il faut parler aujourd'hui, en France, d'immigration de peuplement, d'immigration de remplacement.» Il persiste et signe en demandant qu'on dise : «Non à cette France métissée qu'on nous promet, qu'on nous annonce, qu'on nous vante. Dire non à cette France multiculturelle qu'on nous impose. Mais dire oui à une France fière d'elle-même, de son histoire, de ses racines judéo-chrétiennes.» Le pouvoir français, en acceptant que cette plaque du 19 Mars 1962 soit remplacée par le nom d'un officier pro-Algérie française, a ouvert l'antre du diable. Alors que dimanche prochain, le Front national risque de remporter plusieurs conseils départementaux du sud de la France, dont le Vaucluse ou le Var, il y a des raisons d'être inquiets sur les Algériens pris ainsi comme des boucs émissaires.