La valeur de la monnaie nationale a amorcé, depuis quelques mois déjà, une tendance baissière par rapport aux monnaies étrangères, essentiellement le dollar et, à un degré moindre, la monnaie unique. Selon vous, s'agit-il d'une dépréciation ou bien d'une dévaluation qui obéit à un acte administratif de la Banque d'Algérie ? Qu'est-ce qui explique la chute de la valeur du dinar ? Effectivement, le dinar baisse, mais encore faut-il le prouver car, au moment où le cours officiel de notre monnaie baisse par rapport au dollar, depuis quelques mois, il s'apprécie par rapport à l'euro. Si nous prenons la période du 12 décembre 2014 au 17 mars 2015, nous constatons en effet que le dinar a évolué de manière paradoxale. Pendant cette période, en effet, nous constatons que le cours du dollar s'est fortement apprécié par rapport à l'euro (+35%) et de seulement 11,50% par rapport au dinar, tandis que l'euro contre le dinar baissait de 4,6%. Techniquement parlant, il y a une anomalie qui ne saurait se justifier par le seul jeu de la méthode de cotation du dinar, qui atténue l'impact des fluctuations des devises sur notre monnaie nationale. Si les paramètres de cotation n'avaient pas été changés, à la faveur de la flambée du dollar, le dinar aurait dû s'apprécier dans une proportion plus grande par rapport à l'euro. J'en conclus que la parité moyenne du dinar a bel et bien été dévaluée dans une proportion de 10 à 15%. A charge pour la Banque d'Algérie de me contredire. Notre régime de change, déclaré au FMI, celui du «flottement dirigé», permet, au demeurant, de tels ajustements. Tout ce que l'on peut reprocher aux autorités et à la Banque d'Algérie est de ne pas assumer publiquement de tels ajustements. Mais le faire serait se contredire puisque le gouvernement a minimisé l'impact de la baisse actuelle des prix du pétrole sur l'économie nationale. Comme en 1986-87 ! La dévaluation du dinar par rapport au dollar n'est-elle pas faite sciemment afin de pénaliser la «zone dollar» (Chine, Turquie, Dubaï…) et tenter, une fois de plus, de faire baisser la facture salée des importations ? Cette dévaluation n'a-t-elle pas comme objectif aussi de contrebalancer l'effet de la baisse des revenus d'exportation en dollars sur les recettes budgétaires libellées en dinars ? Dans une interview au journal électronique algerienetwork.com datée de décembre dernier, au moment où les marchés pétroliers amorçaient un net déclin, j'avais prévu un tel ajustement monétaire, que je décrivais comme la seule façon pour les autorités de réagir à l'aggravation annoncée des équilibres financiers du pays. J'avais dit aussi que cette dévaluation servirait à restreindre, de façon discrète, le niveau des importations. Une restriction qui ne manquerait pas de frapper indistinctement tous les biens importés et toutes les couches de la population, afin de rétablir les équilibres financiers internes (pour pallier à la chute des recettes budgétaires) et externes (pour pallier à la chute des recettes d'exportation). Une révision du projet de loi des finances pour 2015 n'est pas à exclure dans les sens d'une diminution des dépenses d'investissement (notamment d'infrastructures), sans toucher directement aux dépenses de fonctionnement et au système de subventionspour ne pas embraser le front social. Et c'est ce qui s'est réalisé. Mais ce ne serait qu'une fuite en avant de plus, car la dévaluation du dinar aura tôt fait de réduire le pouvoir d'achat des citoyens. Et qu'enfin, à moins d'une remontée significative des prix du pétrole, peu réaliste à court terme, d'autres dévaluations s'ensuivront, qui mettront à nu une cruelle réalité : la dépendance excessive vis à vis des exportations d'hydrocarbures, qui représentent 50% du PIB et plus de 90% de nos exportations, qui financent de manière directe et indirecte les trois quarts de notre budget. Quelle serait la conséquence de la chute de la valeur de la monnaie nationale sur l'économie ? Quelle marge de manœuvre, dès lors, pour un pouvoir autiste, qui n'écoute ni ses citoyens ni ses experts ? L'avenir est sombre tant que notre système de gouvernance ne change pas. Ce que la Banque d'Algérie fait aujourd'hui, c'est ce que le FMI nous dictera un jour. Il nous dira que nous vivons au dessus de nos moyens. Mais alors, la correction du pouvoir d'achat accumulée au fil des ans et les ajustements douloureux auxquels nous serons contraints de procéder seront d'une ampleur telle que le pays se retrouvera non pas 20, mais 50 ans en arrière. On peut sans peine imaginer les conséquences tragiques d'un tel scénario.