Dévalué de 40,17% sur injonction du FMI le 10 avril 1994, la dérive du dinar algérien s'est poursuivie tout au long de cette dernière décennie à coups de «dépréciations» périodiques orchestrées par un marché interbancaire totalement assujetti à la Banque d'Algérie qui lui fournit la quasi-totalité de l'offre en devises échangeables. Alors qu'il ne fallait à la date de la dévaluation que 36 DA pour acheter un dollar, il en faut aujourd'hui pas moins de 92 lorsque le change est, évidemment, effectué au niveau d'une banque et non pas au marché parallèle où il était coté le 20 janvier à environ 110 DA. La monnaie unique européenne s'échangeait, quant à elle, à 144 DA pour 1 euro. Le marché interbancaire du change où s'opèrent les dépréciations (les appréciations sont très rares) n'est en effet qu'un espace artificiel inféodé à la Banque d'Algérie, elle-même soumise aux injonctions des autorités politiques qui décident de la parité du dinar. La toute récente dévaluation opérée au début du mois de janvier 2012 pour faire face à l'envolée spectaculaire des dépenses de fonctionnement de l'Etat en est la preuve concrète. La décision de dévaluer d'environ 10% la valeur du dinar par rapport au dollar et à l'euro (de 98 DA pour 1 euro la parité a subitement été portée à 107 DA pour le même euro) a, de toute évidence, été imposée par le ministère des Finances pour confectionner un budget de l'Etat capable de prendre en charge, même si c'est avec de la «monnaie de singe», les fortes hausses de salaire, indemnités consenties aux fonctionnaires durant les années 2011 et 2012. Un taux de change très éloigné du contexte économique mondial Le budget de l'Etat étant en bonne partie alimenté par les ventes d'hydrocarbures exprimées en dollars, leur conversion en dinars est, en effet, de nature à gonfler les recettes budgétaires lorsque le dinar est faible. L'Etat peut ainsi faire face aux augmentations des salaires des fonctionnaires émargeant sur son budget, en leur distribuant des dinars, dont le pouvoir d'achat s'est considérablement amenuisé. Les fonctionnaires bénéficieront certes de salaires plus conséquents, mais dont ils se rendront rapidement compte de la faiblesse dès qu'ils se rendront sur les marchés où ils constateront que les prix ont pris une envolée autrement plus importante que leurs gains salariaux. Cette dévaluation décidée en catimini en dépit des effets considérables qu'elle induit sur les citoyens et les entreprises subitement contraints de payer plus cher leurs approvisionnements a par ailleurs été prise dans un contexte qui ne semble pourtant pas le justifier. L'Algérie dispose, en effet, de confortables réserves de change estimées à environ 180 milliards de dollars. La monnaie européenne (euro) utilisée pour le paiement de plus de 60% de ses importations a, par ailleurs, perdu en 2011 pas moins de 15% de sa valeur par rapport aux dollars rapportés par les ventes d'hydrocarbures. L'Algérie est donc censée dépenser, à volume égal, moins de devises en importations. Une tendance à décaisser moins de devises du reste confortée par la forte baisse constatée sur les marchés internationaux, des prix du blé et certaines autres denrées, que l'Algérie est contrainte d'importer en masse. Le taux de change actuel paraît, de ce fait, très éloigné du contexte économique mondial (baisse de l'euro, remontée du dollar, forte hausse des prix du pétrole, baisse des prix à l'importation, etc.) ainsi que des réalités économiques et financières du pays (balances commerciales et des paiements largement excédentaires, importantes réserves de change, pas d'endettement extérieur, etc.) avec lesquelles, à l'évidence, il n'embraye pas du tout. La logique voudrait, en effet, que la valeur d'une monnaie traduise, aussi fidèlement que possible, l'état des lieux économique et financier d'un pays, la logique exigeant que mieux un pays se porte, mieux devrait se porter sa monnaie. Signe d'un malaise économique chronique Fidèle reflet de la santé économique d'un pays, la dépréciation d'une monnaie, notamment lorsqu'elle est, comme chez nous, continue, est en effet perçue par les hommes d'affaires comme un signe évident de malaise économique chronique auquel le gouvernement n'arrive pas à remédier. Le constat qu'on est, malheureusement forcé d'établir au regard de la réalité des faits, est qu'en Algérie ce lien de causalité quasi universel ne constitue nullement une préoccupation pour ses gouvernants qui ont, depuis 2003, conduit la valeur du dinar au paradoxe suivant : plus on se flatte de la bonne santé de l'économie algérienne et plus sa monnaie dégringole. C'est, en tout cas, ce que permet d'affirmer un examen rétrospectif des taux de change pratiqués au cours de ces 20 dernières années, mettant clairement en évidence que le dinar était mieux coté durant la pénible décennie 1990 durant laquelle le pays était surendetté, sans réserves de change et moins nanti par les recettes d'hydrocarbures, qu'au cours de ces dix dernières années d'embellie financière quasi permanente. A titre d'exemple, le dollar, qui valait à peine 36 DA en 1994 en vaut aujourd'hui près de 100, alors que le pays a soldé pratiquement toute sa dette extérieure et dispose, de surcroît, de réserves de change encore plus importantes. Une amélioration aussi significative des indicateurs macro-économiques aurait dû, au minimum, empêcher le dinar de glisser, ce qu'à l'évidence, la Banque d'Algérie n'a, pas voulu prendre en considération. Pour quelles raisons, cette dernière tient-elle à maintenir à coups de «glissements» et «dépréciations» périodiques le dinar en situation de faiblesse, autrement dit, à le sous-coter par rapport aux devises, notamment les plus fortes d'entre elles, l'euro et le dollar ? Alors qu'il s'agit d'authentiques opérations de dévaluation qui ont durablement fait perdre plus de 150% de sa valeur au dinar par rapport au dollar, on remarque que le gouvernement tout comme la Banque d'Algérie évitent d'utiliser le concept de dévaluation très mal perçu par les citoyens du fait des sinistres connotations auxquelles il renvoie. La principale raison que la Banque d'Algérie et son marché interbancaire du change semblent appliquer comme un dogme a trait à la politique monétaire imposée par le Fonds monétaire international à la faveur des ajustements structurels de 1995, recommandant entre autres à l'Algérie un dinar faible pour inciter les sociétés étrangères à investir en Algérie, stimuler les exportations hors hydrocarbures et doper le budget de l'Etat par simple conversion en dinars des recettes de la fiscalité pétrolière. Il s'explique également par la crainte, pas du tout fondée, mais sciemment entretenue, qu'un dinar fort exacerbe nécessairement les importations et pénalise les exportations. Une affirmation largement contredite par la persistance de la faiblesse de nos exportations (à peine 800 millions de dollars en 2010 et sans doute moins en 2011) en dépit d'un dinar maintenu depuis plus d'une décennie à des niveaux exagérément bas. Les importations n'ont par contre jamais connu une aussi forte augmentation que durant ces dix dernières années passant de 22 milliards de dollars en 2000 à environ 50 milliards de dollars en 2011. Ingérence de la sphère politique L'absence de marché du change, l'interventionnisme de la Banque d'Algérie et les injonctions des autorités politiques (notamment depuis la révision de la loi sur la monnaie et le crédit) ont fait de la cotation du dinar un acte beaucoup plus administratif qu'économique. C'est cette ingérence de la sphère politique qui a, de l'avis de nombreux observateurs, perverti le marché interbancaire du change, au point qu'il n'est reconnu que par les opérateurs, notamment publics, qui n'ont pas d'autre choix que de passer par cette voie officielle. De nombreux demandeurs et offreurs de devises préfèrent, en effet, aujourd'hui encore s'adresser au marché parallèle de la devise qui n'arrête, de ce fait, pas de prospérer en dépit des coups de buttoirs qui lui sont périodiquement donnés par les agents de répression. La Banque d'Algérie avait, on s'en souvient, en projet un certain nombre d'actions déterminantes pour la mise en place progressive d'un authentique marché des changes. Sans doute parce qu'elle ne veut pas que ce marché transparent prenne de l'ampleur, cette dernière ne mettra en œuvre aucune des actions projetées, à commencer par l'ouverture de simples guichets publics et privés de change courants, dont la réglementation avait pourtant été promulguée en 1998. Actuellement, tout semble être fait pour encourager les demandeurs de devises (entrepreneurs et simples citoyens) à s'adresser au marché parallèle aujourd'hui très sollicité par ceux, de plus en plus nombreux, qui souhaitent placer leurs avoirs à l'étranger, voyager ou se soigner. Il est aujourd'hui quasi certain que si les autorités en charge des questions monétaires persistent dans cette manière de gérer la parité du dinar, il est bien évident que notre monnaie n'a aucune chance de se redresser, quand bien même, l'économie du pays enregistrerait de meilleures performances. Pour que la valeur d'échange du dinar soit effectivement le reflet de la situation économique du pays, il faudrait que la Banque d'Algérie rompe avec la logique bureaucratique dans laquelle elle a enfermé la cotation de notre monnaie et aille résolument vers la mise en place d'un authentique marché des changes. S'il venait à être constitué, ce marché offrirait de nombreux avantages parmi lesquels on peut citer : la disparition du marché parallèle de la devise avec toutes les nuisances qui le caractérisent, la possibilité pour les entreprises de se financer directement sur ce marché, le raffermissement du dinar du fait d'une plus grande disponibilité des devises, un regain de pouvoir d'achat du fait de la baisse des prix des produits importés, etc. Le gouverneur de la Banque d'Algérie a estimé, lors d'un de ses derniers passages à l'APN, être satisfait de ce mode de cotation. Il y a malheureusement peu de chances de voir émerger à brève échéance cet authentique marché des changes auquel les opérateurs économiques, tout comme les simples citoyens, aspirent.