Exclus de l'école, montré du doigt ou moqués dans la rue, marginalisés parfois au sein même de leurs familles, les enfants porteurs d'une trisomie 21 suscitent un malaise, quand ce n'est pas un rejet sans concession. Une anecdote pour en prendre conscience. «En septembre 2011, dans une école primaire d'El Biar, un sit in a été tenu par des parents d'élèves pour refuser l'ouverture d'une classe consacrée aux trisomiques dans l'école que fréquentaient leurs enfants. C'est le directeur de l'école qui les a encouragés à manifester pour empêcher leurs enfants d'être mêlés à des enfants trisomiques», se souvient M. Amourra, membre actif de l'Association nationale pour l'insertion scolaire et professionnelle des trisomiques (ANIT). «Ce n'est qu'une anecdote parmi tant d'autres», précise-t-il. Elle en dit long sur la stigmatisation dont ils sont victimes. «C'est scandaleux, il faut travailler sur la mentalités des Algériens pour que cesse la stigmatisation de ces personnes vulnérables», s'emportait Youcef Chibani, président de l'ANIT, qui observait une halte lors d'une conférence tenue mardi dernier au forum du journal de Liberté, à j-5 de la Journée mondiale de la trisomie 21 célébrée hier. Au sein de l'ANIT — majoritairement composée de parents d'enfants trisomiques — on sait toute l'étendue des peines qu'engendre la stigmatisation. Ils la combattent ensemble depuis 23 ans (l'association a été créée en 1992). Mais pas seulement. La bataille pour une place à l'école L'association s'est également battue, pendant dix ans avant de voir, en 2004, le premier enfant trisomique rejoindre les bancs de l'école. Depuis, du chemin a été parcouru. Près de 700 enfants ont été scolarisés grâce à l'argent récolté et aux enseignants formés par l'ANIT…puisque le ministère de l'Education nationale, comme pour conforter la société dans sa volonté de marginaliser ces enfants, refuse de les prendre en charge. Trois cents enfants en contact avec l'ANIT attendent une éventuelle scolarisation. Combien d'autres restent enfermés chez eux sans même que leurs parents pensent à leur offrir une scolarité adaptée à leur maladie ? «Il y a une véritable méconnaissance de la trisomie», note Ratiba Aberkane qui y a consacré, avec son époux Abès Aberkane, un livre sur le sujet : Trisomiques, ils ont quelque chose en plus, paru en 2010 aux éditions Dalimen. L'ignorance alimentant le rejet, les personnes atteintes de trisomie sont perçues comme une tare, voire une honte, sans que la majorité ne sache ce qu'est réellement cette maladie. La trisomie 21, une anomalie chromosomique congénitale, est la première cause du handicap mental qui expose à une déficience intellectuelle quasi constante et à des problèmes de santé récurrents. Ils n'ont pas besoin de charité ! Chaque année, près de 800 enfants porteurs d'une trisomie 21 naissent en Algérie, soit deux naissances par jour. Ces enfants exposés au retard mental peuvent développer de réelles compétences pour peu qu'on leur en donne la chance.Un enfant trisomique est-il capable d'avoir une scolarité ? Youcef Chibane, président de l'ANIT, répond sans équivoque : «Si l'enfant est accompagné, il peut suivre une scolarisation adaptée, il absorbe toutes les informations, il a juste besoin de temps pour les restituer.» Et d'ajouter : «Les enfants trisomiques n'ont pas besoin de charité ni de pitié, ils ont besoin de considération et de soutien. Ils ont une capacité d'apprentissage, nous devons juste les accompagner et les mêler aux autres enfants, notamment pour le bien des autres enfants non atteints de trisomie qui auront à leur contact l'occasion de développer leurs tolérances et briser les différences.» Pourtant, le ministère de l'Education nationale ne prend pas en charge leur scolarisation. Le ministère de la Solidarité pense, pour sa part, que la scolarisation ne relève pas de ses prérogatives. Il a tout de même pris la peine d'envoyer un représentant à la conférence, tenue hier, en vue d'impliquer l'Agence nationale du développement social (ADS) dans la prise en charge des enfants trisomiques. Abid Ahmed, conseiller et chargé de communication à l'ADS, pense justement que la trisomie pose un problème d'acceptation dans la société et qu'il y a plusieurs programmes de l'ADS dans lesquels les actions de l'ANIT peuvent s'inscrire. Le ministère de la Solidarité promet donc de s'impliquer. Le ministère de l'Education n'a pas, pour sa part, répondu présent. De l'avis de M. Amourra, membre actif de l'association, il faut que la question cesse de n'être que l'affaire des parents des enfants trisomiques. «Leur prise en charge doit devenir une affaire nationale, puisque ça peut arriver à n'importe qui.»