L'affaire remonte à l'automne 2009, avec l'arrestation, par les officiers du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), de Mejdoub Chani, homme d'affaires algérien, patron d'une société fiduciaire domiciliée au Luxembourg. Les investigations ciblent les présumées commissions que des entreprises chinoises chargées de la réalisation de l'autoroute Est-Ouest auraient versées à cet homme d'affaires pour leur faire bénéficier de facilités administratives par le biais de cadres du ministère des Travaux publics, en contrepartie de pots-de-vin et de cadeaux. Au fur et à mesure que l'enquête avance, les révélations auxquelles parviennent les enquêteurs deviennent de plus en plus importantes. Le rapport préliminaire fait état d'une grande affaire d'«association de malfaiteurs, espionnage économique, corruption, blanchiment d'argent, trafic d'influence et dilapidation de deniers publics». Des faits pour lesquels 16 personnes – Mejdoub Chani (l'homme d'affaires en détention), Mohamed Bouchama (ex-secrétaire général du ministère des Travaux publics), Sid Ahmed Addou et Sid Ahmed Tadj Eddine Addou (en détention) les deux cousins qui servaient d'intermédiaires, Salim Rachid Hamdane (en détention) directeur des nouveaux projets au ministère des Transports, Naim et Madani Bouznacha, deux frères chargés d'effectuer les opérations de change et de transférer les devises vers l'étranger ; Belkacem Ferrach (ex-directeur de cabinet de Amar Ghoul, ancien ministre des Travaux publics) ; Ahmed Rafik Ghazali (ex-directeur de l'Agence de gestion des autoroutes) ; Mohamed Khelladi (en détention) ex-directeur des nouveaux programmes de l'Agence nationale des autoroutes, l'homme qui avait mis en cause Amar Ghoul ; Widad Ghrieb, épouse de Salim Hamdane (fille du sénateur et ancien ambassadeur d'Algérie au Mali) mais aussi sa sœur Fella, Mohamed Ouezzane dit colonel Khaled (conseiller de l'ex-ministre de la Justice Tayeb Belaïz) et les deux hommes d'affaires en fuite Tayeb Kouidri, El Kheir – ainsi que sept sociétés étrangères (en tant que personnes morales), à savoir la chinoise Citic-CRCC, la japonaise Cojaal, la canadienne SM Inc, l'espagnole Isolux Corsan, l'italienne Pizarotti, la suisse Garanventas et la portugaise Coba, sont inculpées par le juge du pôle pénal spécialisé de Sidi M'hamed, près la cour d'Alger. Qu'en est-il au juste ? Ce sont les aveux de Chani Mejdoub qui auraient permis de démêler cette affaire. Il aurait cité une longue liste de cadres supérieurs de l'Etat qu'il aurait corrompus pour obtenir d'eux des services facturés à la société chinoise dans le cadre de la réalisation de l'autoroute. D'abord Ouezzane, dit colonel Khaled, conseiller de l'ex-ministre de la Justice Tayeb Belaïz, qu'il a bien gâté en cadeaux, voyages et sommes d'argent en dinars et en devises pour services rendus, notamment pour l'avoir accompagné au bureau du secrétaire général du ministère des Travaux publics, Mohamed Bouchama, qu'il avait déjà rencontré grâce au directeur général de la résidence d'Etat de Club des Pins, Abdelhamid Melzi. Il cite aussi le nom de Sid Ahmed Tadj Eddine Addou, dont les révélations sur les faits de corruption vont permettre de faire la lumière sur d'autres marchés dans les secteurs des transports et de l'hydraulique, octroyés moyennant commissions. Tadj Eddine Addou va jusqu'à citer son neveu, Ahmed, présenté en tant qu'intermédiaire dans la passation de marchés publics favorisant ses propres entreprises et celles de ses relations, en contrepartie de pots-de-vin. Un vrai panier de crabes où se mêlent l'espionnage économique, la corruption et les passe-droits. Les premières personnes interrogées sont en réalité celles qui ont joué le rôle d'intermédiaires entre les sociétés corruptrices et les hauts fonctionnaires de l'Etat. C'est un certain Nasreddine Bousaïd dit Sacha, un Franco-Algérien établi en France, qui l'a initié à cet exercice de corruption. Il constituait un passage obligé vers l'Algérie pour toutes les sociétés chinoises, notamment Citic-CRCC, avant que Chani ne prenne le relais, avec lequel il devait partager les commissions. Mais Chani aurait décidé de travailler en solo, provoquant la colère aussi bien de Sacha que de Tadj Eddine Addou, lequel aurait fini par balancer les principaux bénéficiaires de commissions. Il aurait déclaré que dans le cadre de la réalisation du tramway de Constantine et celui d'Oran, il s'est rapproché du PDG de la société française Alstom, par l'intermédiaire d'un homme d'affaires, Hallab Khaier (en fuite), en lui promettant une commission de 15% sur celle qui lui sera versée. Il aurait évoqué Salim Hamdane, directeur des nouveaux projets au ministère des Transports, qui lui fournissait des informations sur les projets du tramway, des chemins de fer, de l'Entreprise de navigation aérienne (Enna) et de la ligne ferroviaire rapide (LGV 123). Une mine de renseignements qu'il aurait vendue à de nombreuses sociétés, en contrepartie, Hamdane recevait des commissions versées sur des comptes appartenant à son épouse Widad Ghreib et à sa sœur, domiciliés notamment en Espagne. Autant de révélations que le tribunal criminel devra élucider le 25 mars.