Tunis, sixième jour après l'attaque du musée du Bardo. Un important dispositif de sécurité quadrillait le périmètre du musée ce mardi, et pour cause, ce sanctuaire de la culture tunisois a rouvert officiellement ses portes hier. Un geste fort et solennel pour dire la détermination des autorités tunisiennes à ne pas céder à la terreur. Et pendant que les voitures officielles défilaient sous haute escorte rue Mongi Slim, devant le musée, des centaines de manifestants, massés devant le Bardo sous une pluie battante, scandaient : «Tounès horra, irhab barra !» (Tunisie libre, terrorisme dégage !). Le drapeau tunisien se déclinait sous toutes les coutures : en cape, en fanion, en casquette, en écharpe… Le Bardo était le point de chute d'une imposante marche contre le terrorisme qui s'était ébranlée depuis Bab Saâdoune, à environ deux kilomètres du musée, dans la banlieue de Tunis. La marche porte l'estampe du Forum social mondial, large rassemblement altermondialiste et antilibéral qu'abrite la Tunisie pour la seconde fois, après celui de 2013, et qui se déroule du 24 au 28 mars au campus universitaire Farhat Hached d'El Manar. Par cette marche, les organisateurs voulaient dire leur solidarité avec le peuple tunisien après l'attaque terroriste de mercredi dernier qui a fait 23 morts et 47 blessés. «La marche avait été programmée bien avant l'attentat du Bardo. Il y a juste l'itinéraire qui a été modifié en raison du contexte», précise Sanhadja Akrouf, membre du comité d'organisation au titre du Forum social maghrébin (FSM). La très grande majorité des participants étrangers ont répondu présent, à l'exception de la délégation belge. «Les Belges ont annulé leur participation à la dernière minute suite aux événements du Bardo», indique Sanhadja Akrouf. Kamel Jendoubi, ministre chargé des Relations avec la société civile, a annoncé lundi, en conférence de presse, que quelque 10 000 participants issus de 120 pays prendraient part à ce forum, dont 1800 Algériens. Le FSM a étrenné ses travaux dans la matinée d'hier par une assemblée générale des femmes et une autre dédiée à la jeunesse. Ambiance survoltée où se déployaient des drapeaux multicolores, dont l'emblème national porté par des militantes du Snapap. C'est Halima Jouini, grande militante féministe tunisienne, qui ouvre le bal : «Nous sommes avec les familles des martyrs, leurs mamans au cœur meurtri… Nous, femmes du monde entier, sommes réunies ici pour exprimer depuis Tunis notre rejet du terrorisme (…). Nous sommes ici pour dire que la volonté des peuples est invincible et que la volonté des femmes, c'est la vie !» «One, two, three, vive la Tunisie !» Et c'est dans le prolongement, justement, de cet élan solidaire que les participants au FSM se sont donné rendez-vous à Bab Saâdoune, à quelques encablures du campus, pour cette marche en direction du Bardo. Vers 15h, une foule compacte s'est ébranlée aux cris de «Ya irhabi ya djabane, chaâb tounès la youhane !» (Terroriste lâche, le peuple tunisien ne se fera pas humilier), «La irhab, la khartouche, chaâb tounès ma yekhafouche» (le peuple tunisien ne craint pas vos balles), «Birouh, bidem, nefdik ya chahid»… La foule est grossie par les centaines de sigles polyglottes prenant part au Forum, mais aussi par les citoyens tunisiens à qui il tenait à cœur d'exprimer leur rejet massif du terrorisme comme ils l'avaient fait, du reste, le soir même de l'attaque. «Nous sommes ici pour exprimer notre rejet viscéral de la violence. Le terrorisme est complètement étranger à notre culture. Le peuple tunisien est fondamentalement pacifique, bon vivant. Le terrorisme ne prendra pas chez nous», lance Marwan, militant de l'UGTT. Marwa, étudiante en psychologie, explique : «Je marche pour dire que nous sommes tous unis contre le terrorisme, que nous faisons front, que le terrorisme ne vaincra pas.» Dans la procession, on pouvait distinguer des familles entières bravant la météo pour marteler l'asphalte inondé. «Nous avons toujours manifesté en famille», confie une maman drapée de l'emblème tunisien en même temps que sa fille de 8 ans et son fils de 14 ans. Présent à leur côté, le papa dira : «Nous avons toujours veillé à inculquer à nos enfants les valeurs patriotiques. Ce ne sont pas quelques balles qui vont nous impressionner. Vous, les Algériens, vous en savez quelque chose et c'est ensemble, la main dans la main, que nous triompherons de la terreur.» Les drapeaux algériens flottaient ostensiblement sous le ciel gris de Tunis et on pouvait même entendre des «One, two, three, viva l'Algérie» s'élever de la foule des marcheurs brandissant l'emblème national. Les mêmes répétaient, ensuite, en adaptant notre slogan fétiche aux circonstances : «One, two, three, vive la Tunisie !». «Il était important pour nous d'accompagner le combat des femmes et de la société tunisiennes contre l'intégrisme», dit Ourida Chouaki de l'association Tharwa Fadhma N'soumer. «Nous sommes tout indiqués à exprimer notre solidarité pour avoir connu les affres du terrorisme, sauf que nous, nous avons affronté le terrorisme seuls», poursuit-elle. Présent à cette marche, le professeur Madjid Bencheikh, ancien président d'Amnesty International-Algérie, nous dit : «Avant tout, je suis ici par solidarité avec les Tunisiens qui ont commencé une expérience de démocratisation dans des conditions qui ne sont pas faciles sur le plan économique. Ils ont également les reliquats de la dictature de Ben Ali qui sont encore très vivaces. Et ils sont voisins de pays qui connaissent encore le terrorisme. Ils subissent donc les conséquences de tous ces éléments. Nous manifestons notre solidarité à ce peuple en espérant qu'il trouvera suffisamment d'énergie et de force en son sein d'abord pour dépasser ces obstacles, ensuite pour maintenir le processus de démocratisation.»