Mourad Boudjellal est d'origine algérienne. En quelques années, il est devenu un des patrons les plus en vue en France. Dans son autobiographie intitulée, Ma mauvaise réputation, qu'il a coécrite avec le journaliste Arnaud Ramsay, il livre aux lecteurs une trajectoire digne des légendes urbaines. Son parcours est une suite de conquêtes, les unes plus étonnantes que les autres. La dernière, celle où il a pris la présidence du club de rugby de Toulon, le RCT. Quand on connaît les préjugés qui sévissent dans ce milieu, Mourad Boudjellal fait figure d'une sorte d'ovni, dérangeant un ordre des choses immuable. En fait, un Maghrébin est destiné, selon les normes établies, au football et puis pas dans une ville qui dans un passé récent a été l'un des fiefs électoraux du Front national. Mourad Boudjellal, qui adore les défis, se retrouve toujours dans les lieux où il est le moins attendu. Dans sa manière d'être, voilà comment il se définit : «Il y a la forme et le fond. Je ne cherche pas à provoquer, je ne joue pas un rôle. J'assume d'être un président-supporter. Cela ne me dérange pas de parler comme si j'étais au bar avec nos fans». Mais avant de gagner la prestigieuse coupe d'Europe face à Clermont en 2013, il est intéressant de retracer son parcours. Mourad Boudjellal est né le 5 juin 1960 à Toulon. Il est de père et de mère algériens arrivés en France pendant la guerre d'Algérie. Le père était un bricoleur hors pair, capable de réparer tout l'électro-ménager, jusqu'aux horloges. La famille habitait un quartier chaud, car il était fréquenté par les marins de passage et les immigrés venus d'horizons divers. Mourad Boudjellal reconnaît qu'il n'avait jamais souffert du racisme dans son enfance à cause (ou grâce) à ses cheveux lisses. C'est dans une atmosphère familiale où le silence était prédominant qu'il a grandi avec son frère aîné, créateur bien connu de BD, et ses deux sœurs, car le père ne disait pas grand-chose : «Nos rapports étaient limités, nous ne nous sommes quasiment pas parlé. Il savait pourtant se montrer affectueux. J'écoutais les matchs de l'OM avec lui à la radio. D'une certaine façon, j'étais son chouchou.» Mourad Boudjellal s'en sortait pas mal à l'école en réussissant à être parmi les élèves moyens avec une prédilection pour la lecture des bandes dessinées. Il a pu déjouer la vigilance de ses parents qui éteignaient la lumière à vingt-deux heures pour permettre aux enfants de se reposer. «Ainsi, pour les BD, j'avais trouvé un stratagème avec une petite lampe afin de pouvoir les lire au fond de mon lit, sans que personne ne me repère.» Cet amour pour le neuvième art lui a permis de devenir un débrouillard ressemblant aux personnages qui habitaient les albums. Grâce à sa perspicacité, il a pu monter un petit business dans le domaine de la BD. Il se levait très tôt et allait au marché acheter des albums très recherchés. Il les lisait, puis les revendait en fin de matinée aux lève-tard. Cela lui rapportait beaucoup et il gagnait des fois plus que le salaire mensuel de son père. Mourad Boudjellal ne concevait plus à partir de là sa vie en dehors du circuit de la bande dessinée. Il ne cessait d'inventer des histoires, des personnages et une maison d'édition pour rendre disponibles les albums de son imagination. Ces éditions s'appelaient «Mourad éditions». Avec un culot hors du commun, il a pu organiser à l'âge de quinze ans «le festival de la BD de la ville de Toulon» avec des participants célèbres. Il a pu ensuite délocaliser ce festival dans la ville de Hyères pour lui donner une dimension internationale. Et c'est dans la logique des choses qu'il loue un local commercial pour installer une boutique spécialisée en BD à Toulon baptisée «Bédule». Ce premier pas dans le commerce va le propulser dans le monde de l'édition. Il fonde la maison «Soleil». Mourad Boudjellal commence son travail d'éditeur en rééditant le héros de la revue Pif Gadget, à savoir Rahan, le fils des âges farouches. Cet homme à la chevelure blonde qui nous vient des ères lointaines va être le coup médiatique par excellence. Cette BD était libre de droit et Mourad Boudjellal a su en tirer profit pour en faire des dizaines d'albums qui vont se vendre à des millions d'exemplaires. Cela va assurer la prospérité de sa maison d'édition. Au bout de quelques années de persévérance dans l'édition, Mourad Boudjellal fait le bilan suivant : «A raison de trois cent cinquante livres par an, j'ai dû en éditer pas loin de dix mille, vendre plus de cinquante millions d'exemplaires, soit cinq-six millions par an. Plus de quatre cents auteurs ont collaboré chez Soleil. Mais le passé ne m'intéresse pas.» C'est cette dernière phrase qui sera le déclic pour lui afin de passer à autre chose et connaître d'autres sensations. Toulon, qui est une ville moyenne en France, était célèbre pour son club de football, mais Mourad Boudjellal veut propulser l'équipe de rugby qui vient de connaître la relégation en Pro-D2. Comme il ne fait pas toujours les choses à moitié, Mourad Boudjellal va investir toute sa fortune dans le club pour le ramener parmi l'élite. Le Racing Club de Toulon va connaître sous la présidence de Boudjellal une véritable métamorphose. Il recrute les meilleurs joueurs de la planète pour offrir du spectacle et se montre très sulfureux par ses déclarations. Il réussit à faire de son club un attrait et une machine à remporter des matchs. Un parcours bien singulier. Mourad Boudjellal, «Ma mauvaise réputation», Editions de la Martinière, 2013.