Très fortement dépendant d'une rente d'hydrocarbures en déclin, le gouvernement algérien a de quoi s'inquiéter des toutes récentes données démographiques que vient de livrer l'Office national des statistiques (ONS). Comment, en effet, s'y prendre pour employer, nourrir, loger, scolariser, soigner et équiper une population qui vient d'atteindre 40 millions d'habitants et qui compte exclusivement sur l'Etat pour pourvoir à cette demande sociale. Le budget de l'Etat qui se rétrécit au gré du déclin permanent des recettes pétrolières et de l'explosion des dépenses publiques, ne pourra, à l'évidence, jamais subvenir aux besoins d'une population déjà suffisamment pléthorique et qui, de surcroît, enregistre un peu plus d'un million de nouvelles naissances chaque année. Il n'y aurait certainement pas eu d'inquiétudes à se faire si l'Algérie avait assis son développement sur une industrie émergente, une agriculture intensive et un tourisme florissant. Ces nouvelles naissances seraient autant de bras au service du développement du pays. Ce qui n'est à l'évidence pas le cas, notre industrie étant en pleine phase de désertification, l'agriculture à l'abandon et le tourisme encore à l'état de jachère. Plus grave encore, la population ayant tourné le dos à l'Algérie profonde, ce sont les villes côtières qui supporteront, en plus de l'exode rural qui s'accélère, le plus gros des nouvelles naissances. Le surpeuplement de ces villes, avec tous les risques sociaux, sécuritaires et sanitaires qu'il comporte s'inscrit parfaitement dans la logique de ce bouleversement démographique largement entamé. C'est un problème national majeur dont devrait d'ores et déjà se préoccuper le gouvernement s'il tient vraiment à éviter à son pays l'irréparable. Il faut en effet que nos gouvernants prennent bien conscience que si le taux de croissance démographique se maintient à son très bas niveau actuel (2,15%) mais, pire encore, s'il venait, comme il est sérieusement à craindre, à augmenter, la population algérienne qui s'élevait déjà à 39,5 millions d'habitants en janvier 2015 dépassera allègrement les 50 millions à l'horizon, pas très lointain, de 2025. Près de 70% de cette population sera en âge de travailler, ce qui, à l'évidence, posera problème pour un pays qui n'a, pour l'instant, pris aucune mesure forte de nature à garantir des emplois et des conditions de vie décentes, ne serait-ce qu'à une part significative des personnes en âge de travailler. Sans mesures fortes de nature à mettre fin à la désertification industrielle et agricole qui lamine l'économie algérienne, le pari sera à l'évidence impossible à tenir dans les conditions de gouvernance actuelles. Les résultats mitigés de la croissance (à peine 3%), l'absence d'offensives en matière de réformes, la gestion des affaires publiques sans vision prospective, l'exclusion du privé du financement des équipements collectifs, et la régression continue de l'activité industrielle ne poussent effectivement pas à l'optimisme. Pour faire face à l'explosion de la demande sociale que cette très forte poussée démographique va engendrer, il faudrait en effet créer pas moins de 12 millions d'emplois nouveaux, construire des centaines de milliers de logements dotés d'équipements collectifs, assurer la formation de plus de 12 millions d'élèves et étudiants, et garantir les soins et la sécurité sociale à une population de plus en plus nombreuse et vulnérable (3,3 millions de personnes âgées de plus de 60 ans, 12 millions d'enfants de moins de 15 ans, 1 million de femmes accouchant chaque année. Le pari d'une prise en charge correcte de la demande sociale sera d'autant plus difficile à tenir qu'il faudra opérer dans un contexte de forte érosion des recettes d'hydrocarbures et, plus largement, de la rentabilité fiscale que les niveaux de croissances industrielle et agricole risquent de compromettre. L'avenir économique pour un pays qui a lié son sort à celui de la rente pétrolière sans se soucier de la mutation à tous points dangereuse de sa démographie paraît, de ce fait, sombre et porteur de graves périls pour la cohésion sociale et la stabilité politique. Si rien de sérieux n'est entrepris pour prendre en charge cette demande sociale additionnelle, de graves troubles politiques et sociaux pourraient en être les conséquences logiques. Il est, par conséquent, temps de passer dès à présent à un nouveau modèle de croissance qui ne sera plus, comme c'est actuellement le cas, porté exclusivement par l'Etat, mais par toutes les forces vives de la nation. L'Algérie ayant aujourd'hui la chance de disposer de dizaines de milliers d'entrepreneurs et hommes d'affaires disposant, pour certains, d'énormes fortunes, la sagesse politique recommanderait de les impliquer dans le financement d'une part significative des infrastructures et équipements publics à réaliser. Nous demeurons toutefois convaincus que ce nouveau régime de croissance auquel l'Algérie aspire reste tributaire de l'avènement d'un nouveau régime politique porteur d'une tout autre approche du développement économique et social que celle qui a de tout temps prévalu en Algérie (développement au seul moyen de la rente pétrolière). Les réformes à entreprendre étant longues et particulièrement difficiles à mettre en œuvre, il est indispensable que ceux qui seront chargés de conduire le changement disposent d'une légitimité politique sans faille, ne serait-ce que pour développer un discours favorable au planning familial et à un aménagement du territoire plus harmonieux. A défaut, les mutations systémiques espérées risqueraient d'être compromises par l'hostilité de certaines forces politiques et sociales qui craindraient de perdre des rentes de situations et des privilèges.