L'économiste et universitaire Belkacem Boukherouf nous livre, à travers ce bref entretien, son analyse sur la portée d'une éventuelle amnistie fiscale que le gouvernement envisagerait de mettre en place dans le cadre de la lutte contre l'économie informelle. - Une réflexion aurait été engagée par le gouvernement en vue de lancer une amnistie fiscale. Quelles peuvent être les véritables motivations d'une telle démarche ? Au stade embryonnaire, il est difficile de cerner les véritables motivations d'une telle action. Il reste que l'amnistie fiscale, définie comme l'instrument par lequel l'Etat exempt un certain nombre d'agents de tout ou partie de leurs arriérés d'impayés fiscaux non recouvrés, permet de réguler la question fiscale souvent mobilisée par des pays, dans des contextes exceptionnels et justifiés, pour chercher à endiguer des phénomènes d'évasion fiscale, de fuite de capitaux ou de commerce informel. Pour le cas de notre gouvernement, les visées peuvent être situées sur trois niveaux : un premier niveau d'ordre culturel, où l'Etat chercherait à inculquer aux sujets soumis à l'impôt une culture fiscale ; le deuxième niveau est économique où l'Etat formaliserait l'intégration des sujets évadés dans le circuit économique formel à travers leur identification et leur suivi rigoureux. Enfin, un niveau d'ordre sociopolitique où l'Etat anticipe sur d'éventuels mouvements sociaux revendiquant l'effacement des dettes et des crédits contractés. Sur ce plan, l'Etat, en faisant le compte, préfère une amnistie fiscale à une amnistie financière globale plus coûteuse. - L'amnistie fiscale peut-elle vraiment servir à canaliser les circuits informels vers l'économie légale ? Il y a du bon et du mauvais dans une telle démarche : en premier lieu, cette mesure réduit la pression fiscale sur les sujets qui voient, dans les impôts et les taxes, des outils répressifs et souvent injustifiés surtout lorsque sa collecte ne traduit pas une amélioration visible de leur cadre de vie. Secundo, une telle démarche autorise l'Etat à prendre et justifier, une fois le dispositif achevé, des mesures coercitives et plus répressives envers les sujets récalcitrants. Aussi, elle permet aux sujets fragiles une possibilité de reprendre une certaine santé financière et se réinstaller dans le circuit. Mais, il faut savoir que le degré d'acceptabilité d'une telle mesure est toujours réduit auprès des agents non concernés par la mesure, qui la considèrent comme une iniquité. Et cela peut conduire à une fronde qui laisserait supposer la structuration d'un rapport de défiance vis-à-vis de l'autorité fiscale et l'élargissement, par effet pervers, du nombre d'évadés. - Existe-t-il réellement des évaluations crédibles quant à l'ampleur de l'informel et des liquidités circulant hors circuit bancaire ? Je ne saurais répondre avec précision car les statistiques sur le sujet n'existent que de façon parcellisée et superficielle. Mais comme son nom l'indique, l'informel reste cette partie de l'action économique exécutée en dehors des circuits légaux et identifiés. Il y a, en Algérie, bien des secteurs où même le gouvernement ignore la dominance de l'action informelle. Mais pour ce qui est de la fiscalité, le législateur reconnaît, objectivement, la difficulté du recouvrement fiscal au niveau local et tente de corriger les effets par de telles mesures. En cela, il serait même préférable que le gouvernement mette en œuvre une grâce fiscale qu'une amnistie, dont les contours et l'étendue d'application seraient difficile à cerner. Il serait pertinent, pour le gouvernement, d'identifier les sujets fiscaux vulnérables susceptibles de bénéficier d'une telle mesure, de définir les moyens et outils à mobiliser et les procédures légales d'accompagnement. - L'amnistie fiscale constitue-t-elle une démarche économiquement efficiente ou s'agit-il tout simplement d'une mesure populiste vouée à l'échec ? Il faut attendre et voir venir. Pour l'instant, c'est juste un effet d'annonce qui est recherché par une telle déclaration d'intention. Donc je ne pourrais préjuger de la pertinence d'une telle mesure. Ce sont les objectifs qui lui seraient assignés, les natures des sujets bénéficiaires, les dispositifs légaux à mobiliser et les processus qui nous renseigneraient. Il reste, tout de même, que les expériences menées dans les pays européens et pays voisins, à l'image de la Tunisie, ont eu un effet limité sur la lutte contre le commerce informel et l'évasion fiscale. Il faut profondément mûrir une telle mesure avant de songer à la mettre en œuvre. Il y a un impératif de réforme fiscale puisque souvent une amnistie ou une grâce est un indicateur de l'échec des dispositifs déjà existants et leur effet limité sur le contribuable. Mais en plus de tous ses aspects législatifs et procéduraux, le gouvernement a l'obligation de pédagogie envers le contribuable chez qui il faut installer une culture.