Le dernier document produit par la Cour des comptes a eu le mérite de susciter un important débat sur un phénomène des plus dommageables pour l'économie nationale, en l'occurrence l'évasion fiscale. Au-delà des évaluations alarmantes de «restes à recouvrer» (RAR), sur pratiquement toutes les catégories de taxes non retenues à la source, la Cour des comptes a surtout tenté de mettre en évidence les failles et les insuffisances de l'administration fiscale dans sa mission de collecte et de recouvrement des impôts.En ceci, cette institution adopte une approche pragmatique pour appréhender la problématique de l'évasion fiscale, car il n'est guère besoin d'entendre grand-chose à la fiscalité pour savoir qu'il ne suffit pas de décrier l'incivisme fiscal de telle ou telle catégorie de contribuables pour recouvrer d'immenses recettes qui échappent illégalement au Trésor. L'efficacité des services fiscaux, nous révèle surtout la Cour des comptes, est en défaut, faute de moyens humains et matériels, d'une organisation plus efficiente, mais aussi de cohérence dans les procédures de collecte d'impôts. Loin d'être alarmiste, le diagnostic ainsi posé rend à peu près compte d'une triste réalité que nul ne peut ignorer, dans un pays où les circuits de l'économie souterraine font allégrement concurrence à ceux officiels. Ce même diagnostic peut aussi ouvrir la voie à des ajustements urgents que les décideurs économiques pourraient mettre en place, pour au moins empêcher l'accumulation de nouveaux «RAR» et permettre une meilleure collecte de l'impôt. Sauf que les responsables économiques ne semblent pas en prendre la mesure. Relayant un récent discours du ministre des Finances, qui s'est contenté d'expliquer que les effarants RAR révélés par la Cour des comptes, soit un total de 8000 milliards de dinars, sont surtout issus de créances pendantes sur des entreprises dissoutes ou liquidées, le directeur général des impôts (DGI), indiquait avant-hier à l'APS que le montant des RAR concernant les produits purement fiscaux est de l'ordre de seulement 2000 milliards de dinars, cumulé depuis plus de 25 ans. Ainsi, à écouter les discours du premier argentier du pays et de son DGI, le fort montant de restes à recouvrer, dont s'est alarmé la Cour des comptes, ne seraient en fait qu'une simple ardoise occasionnelle due à une conjoncture économique passée, où des entreprises publiques avaient été dissoutes et une banque privée, la BCIA, mise en faillite. Or, le rapport de la Cour des comptes sur l'exécution du budget de l'Etat laisse entendre tout autre chose. Il y est fait état, en effet, de graves faiblesses dans les recouvrements fiscaux, d'un manque de suivi des déclarations fiscales, d'une insuffisance des interventions sur le terrain, d'un manque de personnel qualifié, mais aussi de l'absence de mécanismes rigoureux pour le contrôle d'avantages fiscaux accordés dans le cadre des dispositifs Ansej et ANDI. Autant de défaillances, en somme, qui génèrent et continuent sans doute de générer de très inquiétants RAR ; tandis que les décideurs s'évertuent à en atténuer la gravité, sans jamais proposer de quelconques mesures pour combler les failles des services fiscaux dans leur mission de collecte d'impôts et de lutte contre l'évasion fiscale.