Cela était prévisible, nous l'avions annoncé dans ces mêmes colonnes. Le malaise latent dans lequel vivotent les enseignants universitaires commence à se faire entendre. Trois journées de protestation sont annoncées par le CNES en guise d' «avertissement adressé à la tutelle», avant d'aller éventuellement vers une «grève illimitée». Aujourd'hui, l'Université fait face à la colère des enseignants, restés «sages» depuis au moins sept ans. Mais alors, pourquoi le CNES, ce syndicat au passé historique exemplaire de crédibilité et de militantisme affranchi se révolte-t-il aujourd'hui ? La réponse à cette interrogation est double et doublement politique. Le premier volet est d'ordre interne au syndicat et à l'ensemble de la lutte syndicale. Depuis la promulgation du statut particulier de l'enseignant chercheur en 2008, le CNES est entré dans une léthargie que nombre d'observateurs ont qualifiée de «normalisation» avec la tutelle. Des années durant, et face à cet effacement, plusieurs de ses figures de proue, mais surtout de sa base, se sont retirés, mettant le Conseil en mal de représentativité. La nature ayant horreur du vide, de nouveaux syndicats ont tenté de s'organiser — sans avoir l'aval de la tutelle, à l'image du Syndicat des enseignants du supérieur solidaires (SESS) —, et des sections locales du CNES ont pris de court leur Bureau national (BN) pour brasser large dans son champ d'action. Ces dernières semaines, les mouvements de protestation impulsés par ces comités locaux ont fait du tapage. Devant ces bruits de bottes, le BN ne pouvait que réagir pour éviter son éviction ou même son éclatement. Selon Abdelmalek Rahmani, le coordinateur national, le long silence du CNES est plutôt un choix tactique favorisant le dialogue avec le ministère pour une amélioration sereine des conditions des enseignants. «Mais nous avons été surpris. Déçus !» affirme-t-il. Cette affirmation nous mène à nous demander pourquoi maintenant ? Second volet de la réponse : la relation entre le MESRS et les enseignants ou entre gouvernants et gouvernés. Après une année et demie de dialogue et de négociations sur le nouveau statut de l'enseignant-chercheur, la divulgation, mardi dernier, du projet de décret exécutif met le feu aux poudres. Les antagonistes (CNES et ministère) se confrontent et les premiers concernés, les enseignants, refusent le texte. Si ces derniers dénoncent leur éviction du processus d'élaboration du statut, M. Rahmani évoque presque une tromperie. «Notre projet a été vidé de sa substance», dénonce-t-il. Mais alors, que négociait le CNES avec le ministère ? Le ministère semble adopter la même politique de «concertation» rodée et érodée par le régime politique auquel il appartient. Phagocyter, puis décrédibiliser tout mouvement de lutte, se choisir des interlocuteurs faire-valoir, pour enfin sortir avec un texte préalablement établi et à sens unique : tel est le schéma. Ainsi en a-t-il été de la révision de toutes les lois, de celles relatives aux associations, au code de l'information, de la famille et ainsi en sera-t-il de la loi mère : la Constitution. Devant cette politique du fait accompli, les enseignants tentent de faire opposition là où le CNES essaye de se racheter une virginité. Et face à ce tumulte, le MESRS, dans un câble APS édité ce lundi, assure que «les revendications du Conseil national des enseignants du supérieur (CNES) sont examinées dans le cadre de sessions de dialogue». Et c'est reparti pour un tour de manège !