La mésaventure du géant ex-premier pétrolier russe, dont le patron était Mikhaïl Khodorkovski prend tristement fin : le tribunal de première instance de Moscou vient de prononcer la liquidation de Ioukous, faisant ainsi droit à la demande de ses créanciers et de l'administrateur judiciaire. Il est attendu de cette procédure, l'une des formes privées, si ce n'est la plus importante du secteur pétrolier, qu'elle ouvre la voie au partage des immenses actifs « de l'ancien groupe de l'oligarchie Khodorkovski » qui, il y a à peine trois ans, constituait l'un des fleurons du secteur énergétique du pays avec une valeur boursière de 45 milliards de dollars, réduite aujourd'hui à peine à… 1,5 milliard. Tout avait commencé par l'acquisition dans le cadre de la privatisation de la société en 1995, moyennant 470 millions de dollars. S'imaginant alors tout à fait libre d'exercer tout mouvement de partenariat externe, le patron a eu l'outrecuidance d'ouvrir le capital de Ioukos à… Exxon, sans avoir, au préalable, sollicité l'accord des pouvoirs publics. Il a, ensuite, négocié, le 3 octobre, l'achat du pétrolier Sibneft, prenant ainsi la quatrième place dans le classement pétrolier mondial. De plus, ambitionnant d'entrer en politique, il s'est mis à faire preuve de largesses financières au profit des partis libéraux opposés au président Vladimir Poutine. Se doutant d'une mauvaise tournure à intervenir, Romand Abramovitch, le vendeur de Sibneft s'est ravisé, sans doute, sous la pression d'amis qui lui voulaient du bien ; il a fait subitement volte-face et a annoncé, le 28 novembre, l'annulation de la fusion envisagée et le divorce a été contractuellement constaté en février 2004. Premier arrêt à l'appétit expansionniste de Khodorkovski. Et, la coupe devenant pleine, le « politique » se devait de réagir, d'où son arrestation pure et simple pour fraude… fiscale sur la base d'une notification de redressement portant sur 33 milliards de dollars, suivie de la mise en vente aux enchères (que l'on dit truquées) de sa filiale de production. Suit après toute une batterie de procédures, comme le gel des actions Ioukos, perquisitions fiscales quasi-permanentes, débouchant sur des compléments de redressements légalement exécutoires, etc. Se trouvant dans l'impossibilité physique et matérielle de faire face au financement de ses passifs ainsi créés, Khodorkovski est dépossédé de sa principale filiale de production, Iougansneftagaz, cédée par voie de vente aux enchères, le 24 décembre 2004, à un mystérieux acheteur, le seul candidat à la reprise, moyennant la modique somme de 9 milliards de dollars, alors que les analystes avaient fait une évaluation objective, à l'époque, de 18 milliards. Aujourd'hui, il y a unanimité pour une estimation à plus de 33 milliards... En raison de l'insuffisance du comblement du passif, surtout fiscal, le 25 juillet 2006, la masse des créanciers du groupe, évaluant leurs droits à 18 milliards de dollars au total, dont 13 milliards pour le fisc, a demandé la transformation du règlement judiciaire en liquidation. Quant à Khodorkovski, dont la fortune personnelle, qui se situait autour d'une quinzaine de milliards de dollars à l'époque où il était libre et à la tête de ses affaires, fond à coup sûr : il purge sa peine d'emprisonnement de 8 ans en... Sibérie. Selon son épouse, elle s'attendait à être expulsée avec ses trois enfants de leur appartement de Moscou, la faillite ayant été étendue à la personne même de son mari. On devine l'impatience des candidats à la reprise des actifs du groupe Ioukos sous forme de vente judiciaire (il faut quand même respecter les formes) et ce sont évidemment des firmes étatiques et/ou semi-étatiques, comme Gazprom Rosneft, Gaz-Promneft et TMK-BP qui font montre d'intérêt pour les enchères à venir. Il est de plus en plus question, ces temps-ci, d'une organisation dont on ignore le nom et l'origine, qui serait prête à honorer toutes les dettes de Ioukos pour en devenir propriétaire. En cette éventualité, il y aurait juridiquement exigence de l'accord des propriétaires quasiment impossible à réunir. Au plan judiciaire, on parle d'un éventuel recours devant la Cour européenne des droits de l'homme : peine perdue puisque la machine à broyer est pratiquement mise en route.