Les secouristes accourus sur les lieux, dans les eaux territoriales libyennes, ont dû retourner les corps flottant pour distinguer les vivants des morts... Une trentaine de cadavres ont été récupéré, en plus des survivants. Dimanche soir, on espérait encore repêcher des survivants, surtout que l'eau en mer est moins glaciale en cette période de l'année. Selon les premiers témoignages recueillis, sur le chalutier en détresse — qui avait lancé un appel au secours à la marine italienne, dans la nuit de samedi à dimanche, grâce à un téléphone satellitaire qui a permis de localiser l'embarcation — voyageaient plus de 700 hommes et femmes érythréens et somaliens pour la majorité d'entre eux. Le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies a qualifié le drame d'«hécatombe sans précédent». La noyade aurait eu lieu lorsque le bateau, pour un motif inconnu, s'est penché sur son flanc, engendrant la glissade des passagers dans l'eau. Selon la reconstitution du premier navire marchand que la marine italienne a réquisitionné et envoyé sur les lieux — un bateau battant pavillon portugais, le King Jacob — les occupants du chalutier à la vue du navire providentiel se sont déplacés massivement, dans un mouvement de panique, vers un même côté, provoquant la tragédie. Les autorités italiennes alertées ont dépêché des navires de la marine et de la police des finances, et le gouvernement maltais a fait de même. Les patrouilles aériennes et maritimes se poursuivent encore, dans l'espoir de repérer des survivants. Le pape François, a commenté, durant la prière de l'Angelus dominicale, ce énième drame du désespoir. Avec une voix très émue, le souverain pontife a rappelé aux fidèles : «Ce sont des hommes et des femmes comme nous, nos frères, qui souffrent de la faim, la persécution, ils sont victimes des guerres, de l'exploitation et cherchent une vie meilleure !» Ridicule mission Triton L'événement tragique d'hier, évitable, a poussé le haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité à l'Union européenne, l'Italienne Federica Mogherini, à sortir de sa réserve de diplomate pour qualifier cette tragédie d'«inacceptable» et à inviter les 28 pays membres de l'UE à prendre leur responsabilités face à cette situation insoutenable. «C'est le moment de partager la responsabilité, sans tarder, pour affronter le problème jusque-là laissé aux seuls pays du Sud.» Le président du Conseil italien, Matteo Renzi, a aussi convoqué hier un Conseil des ministres extraordinaire et s'est entretenu avec le président français, François Hollande, pour demander son soutien au sein de l'Union des 28. Face aux flux très nourris et incessants qui se déversent quotidiennement sur les côtes italiennes, le gouvernement ne sait plus où donner de la tête. Critiqué par l'opposition d'extrême droite qui veut «une intervention militaire musclée pour bloquer les migrants avant leur départ des côtes nord-africaines», et la gauche et les organisations humanitaires qui lui reproche d'avoir réduit le budget mensuel alloué à l'opération Mare Nostrum, abandonnée en novembre dernier pour sa jumelle Triton, de 9,5 millions d'euros à 3 millions seulement et qui ne seront pas versés par la seule Italie, mais par l'UE, à travers Frontex, l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l'UE. L'Italie, à qui le reste de l'Europe a délégué le control des frontières maritimes du vieux continent, lasse de devoir quémander des ressources économiques supplémentaires pour pouvoir faire face au déferlement continu de candidats à l'immigration, a réduit les dépenses destinées aux opérations de sauvetage. Les experts jugent la mission Triton ridicule et absolument insuffisante pour faire face au phénomène. L'Europe du Sud est face à un grand défi ; faire fi de son devoir humanitaire traditionnel de prêter secours à qui se trouve en difficultés en Méditerranée ou suivre l'exemple barbare du régime égyptien, dont l'armée a dernièrement bombardé une embarcation d'immigrés qui avaient à peine quitté le littoral égyptien, dirigée vers le rêve européen.