Dégradation, délinquance, insalubrité, chômage et pollution font le quotidien des habitants de Bab El Oued. Les rues de Bab El Oued grouillaient de monde. Il est presque midi. Heureux de quitter les bancs de l'école, des enfants courent dans tous les sens. Certains rejoignent leurs maisons pour la pause déjeuner, au moment où d'autres préfèrent prendre un bon sandwich karantita, ou une tranche de pizza chez Omar. Des hommes, baguettes de pain en main et un couffin à moitié vide, pressent le pas pour rentrer manger chez eux. Des jeunes filles accompagnées de leurs amies, sœurs et parfois même leurs mères font, par lassitude, du lèche-vitrine pour rentrer le soir les mains vides. Celles qui veulent faire de bonnes affaires, rien de mieux que le marché parallèle des trois horloges. De cet amas de personnes, de marchandises et d'ordures, des voix s'élèvent dans l'espoir d'attirer de nouveaux clients. Les ruelles de Bab El Oued sont aussi le théâtre d'une symphonie de klaxons. Des voitures, plein de voitures, passent par ce quartier populaire et peinent à trouver une issue pour en sortir rapidement. Au milieu de tout ce vacarme fait de cris d'enfants, de voix de commerçants et de klaxons de chauffeurs pressés, un simple regard vers les fameuses trois horloges, souvent en panne, suffit pour arrêter le temps ! Dans cette halte horaire où les pendules de l'heure ont étrangement suivi celles des trois horloges, Bab El Oued se dévoile. Lorsque le temps prend une pause ! La population paraît excédée, fatiguée et surtout exaspérée par l'inertie générale dans leur vieille «houma». Ancré dans la mémoire collective, le spectre des inondations de 2001 est toujours présent. Les traces du niveau des eaux présentes sur certains murs qui refusent d'oublier réduisent tous les efforts fournis par les autorités à néant. La crainte d'une reproduction du même scénario n'a jamais disparu. Dans les différents boulevards de Bab El Oued, entre autres celui portant le nom du Colonel Lotfi, les immeubles à l'architecture coloniale sont sales. Désirant un peu d'intimité, les habitants de ces immeubles prennent de l'ombre à l'aide de rideaux souvent bleus pour cacher des persiennes de la même couleur et aussi sales les uns que les autres. Même si l'on habite au dernier étage, les odeurs des détritus sont insupportables. Vu l'importance de la population, le passage des éboueurs reste aléatoire. Bab El Oued, qui représente toute l'histoire de l'Algérie, pue. Chômage et délinquance, un couple hideux Si le terme hittiste (terme désignant une personne qui par paresse s'adosse à un mur) a été créé à Bab El Oued, ce n'est pas pour rien. Il fait référence au taux important de chômage dans ce quartier antique de la capitale. La paresse et le besoin de ressources ont fait apparaître plusieurs phénomènes. Ces jeunes hittistes peuvent passer du statut du brave «Khou» (Frère) au jeune délinquant épris par une rage folle provoquée par des psychotropes ou du kif. A la tombée de la nuit, ces kiffeurs oublient leurs souffrances, se regroupent au bas des immeubles et consomment tous types de substances. Consciemment ou inconsciemment, ces jeunes, sous l'effet de la drogue et des boissons alcoolisées, représentent un danger et une éternelle crainte pour les habitants de Bab El Oued. Certains ont même «évolué» pour passer du statut de consommateur à celui de trafiquant. L'informel du 3e âge Pour ne pas entrer dans le gouffre de la délinquance, plusieurs jeunes ont intégré le monde du commerce. Un choix légitime, mais loin de toute légalité. Un millier de revendeurs squattent la place des Trois Horloges et les rues adjacentes. Tout se vend et tout s'achète sur ces tables de fortune placées partout et même devant les portes d'entrée des magasins. L'année dernière, des rassemblements ont été organisés et des pétitions ont été signées et adressées au autorités locales et surtout à la direction générale de la sûreté nationale (DGSN), dont le siège n'est pas si loin. Une mobilisation qui n'a malheureusement apporté aucun fruit. La voie publique est devenue la propriété de ces jeunes, qui pour protéger leur territoire dont ils se sont accaparés, n'hésitent pas à recourir à la violence dans toutes ses formes. Des mots vulgaires et des armes blanches qui peuvent aller du simple couteau à l'épée sont les munitions de ces intervenants informels. Avec l'arrivée du mois de ramadhan, l'ambiance sera encore plus infernale qu'elle ne l'est. A quelques pas, Aïcha, une vieille septuagénaire, a, elle aussi, intégré l'informel. Dans le besoin après la mort de son mari, cette dame dont la dureté de la vie a laissé des traces sur son visage, a étalé sur un bout de nylon un bric-à-brac de choses complètement usées et que les passants achètent souvent pas solidarité. Aïcha n'est pas la seule, mais devant ce petit jardin clôturé, plusieurs autres femmes du troisième âge se sont rassemblées et vendent la même qualité de produits. «Lorsqu'on n'a pas de quoi se nourrir, tout est permis, déclare l'une d'elles à sa collègue de misère. Je n'ai aucune ressource et au lieu de quémander, je préfère vendre le peu de choses que je possède encore.» La tristesse dans les yeux des deux dames est fatale. Un peu de silence SVP ! Tous les jours le boulevard colonel Lotfi est noyé dans un bain de nuisances sonores. En plus des voix des marchands informels, les klaxons des voitures font vraiment leur show. L'étroitesse des ruelles et l'absence de parkings surveillés y sont pour beaucoup. Azzedine, un quinquagénaire qui semble souffrir d'une migraine vu l'intensité des klaxons, s'emporte à la vue de l'atrocité de l'anarchie du stationnement. «Tu vois, ils stationnent partout. Même en double position», s'emporte-il en s'adressant à son voisin pharmacien. En effet, aux alentours de la place des trois horloges et tout au long du boulevard Colonel Lotfi, les voitures sont garées des deux côtés, rendant la circulation routière presque impossible. Ce qui est encore aberrant, c'est la permission non prononcée à un malade mental de gérer la circulation routière au vu et au su des agents de la sûreté nationale. Tous ceux qui sont passés par ce quartier antique peuvent le confirmer. Ce pauvre malheureux, qui devrait être interné, gère la circulation routière comme bon lui semble, faisant un show amusant face aux policiers de la DGSN qui le regardent sans bouger le petit doigt. Quel monde de fous ! Si les agents de l'ordre ont laissé faire ce malade mental, il est impossible de leur demander de libérer la voie publique. Malgré tout ce marasme, le temps reprend son cours et les pendules des trois horloges fonctionnent de nouveau, et rien que le sourire d'un enfant qui passait par cette placette redonne espoir d'un avenir meilleur à ce quartier populaire et chaleureux.