Photo : S. Zoheïr Par Mekioussa Chekir Vert, rouge et blanc. C'est en ces tons que s'est paré depuis quelques jours le très populaire et populeux quartier de Bab El Oued pour marquer son osmose avec le seul événement qui fait parler et bouger les uns et les autres, le match opposant ce soir même l'équipe nationale de football à son adversaire égyptienne pour le compte des éliminatoires en perspective de la Coupe du monde qu'abritera en 2010 l'Afrique du Sud. A l'instar des autres quartiers de la capitale et d'autres villes du pays, les habitants de Bab El Oued vivent au rythme de l'attente des jours, puis des heures qui les séparent de la minute M marquant le coup d'envoi de cette rencontre sportive historique, sans doute de celles qui ont rarement suscité autant de suspense, de passions, d'espérances et d'agitation. Depuis le match disputé par l'équipe nationale qui avait fait les beaux jours du football algérien face à l'Allemagne, lors de la Coupe du monde de 1982, on ne se rappelle pas semblable ferveur et pareille communion avec l'événement. Mais il faut se faufiler dans les venelles de ce quartier particulier et mythique pour se rendre compte d'une effervescence à nulle autre pareille, d'une ambiance qui n'a pas son égale ailleurs tant l'animation y est sans cesse au rendez-vous, une fébrilité juvénile ininterrompue et que font des enfants, voire leurs parents et même parfois des personnes âgées. De la discussion qui anime les différents groupes aux signes ostentatoires en passant par les effusions de joie à quelques jours de la rencontre, tout a trait inévitablement au fameux match que doit abriter le Caire Stadium. Le quartier, au même titre que toute l'Algérie, est suspendu à cette confrontation qui s'annonce non sans risque de débordements tant elle est empreinte de tension en raison de l'énorme enjeu que son score suppose comme qualification ou élimination du rêve sud-africain. Aussi, à mesure que le jour du match approche, cette tension grandit visiblement parmi les fervents supporters que celui-ci a fait découvrir sous leur jour le plus passionné. Maaq ya l'khedra diri hala En ce jeudi, à J-2 du rendez-vous, Bab El Oued était plus «nationaliste» que jamais. Partout, les trois couleurs de l'emblème du pays sont arborées. «Maak ya lkhedra diri hala» est entonné partout et fuse de toutes parts. Des différentes boutiques, des tables installées anarchiquement à même le trottoir, des haut-parleurs dressés, des postes radio des voitures parées à l'occasion des drapeaux vendus sous toutes les dimensions. C'est en arpentant le très animé boulevard Colonel Lotfi que l'ambiance est la plus prenante. Les trottoirs, les vitrines et les murs sont squattés par les vendeurs occasionnels des articles liés à l'événement. Pulls, drapeaux, écharpes, joggings, bonnets, casquettes, posters… jusqu'aux objets les plus farfelus comme ces petits sombreros ou chapeaux Arlequin invariablement tricolores. Les jeunes vendeurs profitent du moindre petit espace qui se présente à eux pour étaler leurs marchandises. Comme ces articles accrochés sur les portes en grillage fermées de l'agence Casnos ou encore de l'Entreprise nationale des chaussures, l'héritière de l'ex-Bata. Dans ce boulevard qui ne se repose jamais des allers et retours de ceux qui battent à longueur de journée son pavé, une scène burlesque attire notre attention et celles des passants. Un adolescent exhibe comme un trophée un bébé, un garçon d'à peine quelques mois, blotti dans sa poussette et vêtu d'un maillot et d'un petit foulard aux motifs et aux couleurs du drapeau national. Une distraction presque qui était du goût de ceux qui s'arrêtaient un court laps de temps pour repartir ensuite non sans un sourire d'amusement. Conscient de l'effet qu'une telle mise en scène ne manquait pas de produire et voulant rajouter au comique de la situation, un autre adolescent sort d'une des ruelles menant vers le boulevard avec une poussette où un bébé, cette fois une fille du même âge environ, tout aussi vêtue des habits rouge, vert et blanc. Mis côte à côte, les deux bébés sont devenus les stars du moment. A quelques mètres, une vieille dame est interpellée par un jeune vendeur à la sauvette sur le match. Il se verra entendre toutes les prières qu'il aurait souhaiter voir se concrétiser le jour J, à savoir une victoire belle et écrasante des Verts. Il la remerciera tout aussi énergiquement pour ces vœux auxquels il croyait d'autant plus qu'ils émanaient d'une vieille dame dont il ne pouvait qu'espérer la baraka. Un peu plus loin au cœur de Bab El Oued, dans les fameuses «Trois Horloges», l'ambiance est encore plus communicative, elle est à son paroxysme. Le marché, d'habitude très bruyant et fréquenté, l'est encore davantage en raison des nouveaux étals fêtant déjà la victoire des Verts. Sur la grande vitrine de l'agence Mobilis est fixé un grand drapeau. On retrouvera le même décor sur les balcons des appartements, les édifices, les boutiques… Dans un magasin de chaussures, la discussion engagée entre le propriétaire et ses deux vendeuses finit par aborder inévitablement le sujet du «roi ballon rond». Le premier s'adressant en ces termes à ses employées : «Si l'équipe algérienne gagne le match, vous aurez un mois de repos payé.» Visiblement inspiré par l'idée du patron de Nedjma qui a décidé d'offrir la journée de dimanche à l'ensemble de ses employés en cas de victoire des Verts ; il a lancé cette idée en plaisantant mais ses collaboratrices voudraient bien y croire. «Si seulement ça pouvait être vrai», lui lancera l'une d'elles. Jusque tard dans la nuit, les klaxons des véhicules et les cris des supporters insomniaques se faisaient entendre. Les journées et les nuits qui vont suivre s'annoncent encore plus mouvementées et bruyantes. La soirée de samedi et la nuit de dimanche promettent d'être mémorables pour les habitants du quartier de Bab El Oued. Elles seront exceptionnellement joyeuses et festives grâce à la victoire des Verts contre les Pharaons. Car, pour Bab El Oued, comme pour le reste de l'Algérie, il ne saurait et il ne pourrait en être autrement.