Triplement des moyens de l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l'Union européenne (Frontex) dans le cadre de l'opération Triton, et demande du feu vert de l'ONU qui devrait ouvrir la voie à des actions militaires contre les réseaux de trafiquants de migrants en Libye, telle était la réponse de l'Europe à la nouvelle hécatombe migratoire d'il y a une semaine, ayant eu pour théâtre les côtes libyennes. Ainsi, le service Centralized records of available technical equipment (CRATE), chargé de gérer les équipements techniques mis à la disposition de Frontex par ses «associés» européens, aura du pain sur la planche : Les quelque 25 hélicoptères, 21 avions et 113 bateaux, sans compter plus de 475 unités d'équipement (radars, sondes, senseurs, caméras...) dont elle dispose devraient passer au triple. Partant, la gestion à l'«orwellienne» de l'immigration par la plus nantie des agences de l'Europe est appelée à gagner en dimension au regard des pouvoirs de plus en plus étendus qu'elle se voit octroyer par les instances européennes. Mieux, fonctionnant sur le principe du prêt, il est prévu que l'agence sera dotée à l'avenir son propre équipement pour ne plus dépendre des Etats membres. A moyen terme, est également prévu pour, soi-disant «enrayer les hécatombes dans la méditerranée», de doter en moyens financiers plus conséquents le service «Recherche et Développement» du redoutable «Trust» Frontex. En effet, le budget de 1,6 million d'euros déjà débloqué devrait être revu à la hausse, pour les besoins de la mise au point de nouvelles technologies pour rendre le contrôle et la surveillance plus effectifs. Dans ce domaine, les Etats de l'UE font preuve de magnanimité, faisant partager leurs expériences. Jusqu'alors, les polices aux frontières nationales faisaient usage de sondes de détection de CO2 et de battements cardiaques, de caméras thermiques et infrarouges, ainsi que de radars nouvelle génération pour la détection d'embarcations engagées sur la Méditerranée, tels que le Système intégré de vigilance extérieure (SIVE). Ce radar, déployé par la police espagnole dans le détroit de Gibraltar, permet de repérer à plusieurs dizaines de kilomètres de distance toute masse en mouvement sur la surface de la mer. Un renfort technologique que l'UE, qui affirme ne plus pouvoir «tolérer de voir mourir en masse, à ses portes et dans des conditions épouvantables, des gens fuyant la misère ou les guerres», considère comme acte de générosité envers ses partenaires africains dont sont originaires les migrants. En témoigne cette déclaration : «Si l'Union européenne aide les personnes qui se noient en mer, elle n'a pas de mandat pour le faire. Nous mettons à disposition nos moyens, mais le droit international ne donne aucune compétence à l'Union pour le faire. Par conséquent, l'agence Frontex ne peut pas avoir un mandat de recherche en mer», s'était, en effet, empressé de justifier, au lendemain de la tragédie qui a coûté la vie à pas moins de 800 hommes, femmes et enfants, Fabrice Leggeri, le directeur exécutif de son agence mirador Frontex. Si d'aucuns ont jugé la réponse de Bruxelles comme étant «loin du compte», les propos du patron de Frontex ont, quant à eux, suscité une vague d'indignation auprès de nombre d'organisations, réseaux et associations de défense des droits de l'homme, des migrants, demandeurs d'asile et des réfugiés dans le monde. A mesure que les naufrages en Méditerranée se multiplient et que les budgets de Frontex s'accroissent, les deux «coalisés» se défendent en brandissant le nom du véritable coupable derrière l'«extermination» de cet ennemi qu'elles se sont inventé, le migrant. Et, pour bien «surveiller» ses frontières de l'«invasion» migratoire en provenance de son voisin du Sud où elle veille, en revanche, sur ses intérêts économiques et géostratégiques, l'Europe ne lésine pas sur les moyens malgré la crise : le budget de Frontex a été revu à la hausse : plus de 114 millions d'euros pour 2015. Maintenant que la question des moyens, matériels et financiers, est réglée, il ne reste à l'Europe que de trouver comment s'arranger avec le principal pourvoyeur de migrants : la Libye. Et là, c'est la situation pré- et post-El Gueddafi qui se projette au-devant de la scène : le récent drame au large de la Libye a ravivé des regrets parmi plus d'un politique européen. D'autant que, faut-il le rappeler, bien qu'elle soit moins meurtrière (400 morts) que celle survenue un an et demi après (800 morts), la tragédie de Lampedusa d'octobre 2013 avait fait avouer à Philippe Marini, ancien sénateur français (UMP) : «L'afflux des réfugiés africains à Lampedusa et bientôt chez nous me fait regretter la disparition du régime d'El Gueddafi en Libye !». Car, abonde dans ce sens Mounira Haddad, présidente de l'Association Haddad et membre de réseau africain Cimade, la situation post-El Gueddafi est encore pire pour les migrants vivant ou transitant par la Libye : «Les migrants sont désormais soumis à l'arbitraire de milices armées, emprisonnés, subissent des menaces, le racisme». Dénonçant l'hypocrisie révoltante de l'Europe qui a fait de la mer méditerranée un cimetière glacial où viennent s'échouer des milliers de rêves et d'espoirs pour une vie meilleure de ces naufragés rejetés par les flots, Mme Haddad tient à rappeler «quelques années après le traité d'amitié, de partenariat et de collaboration scellé par l'accord italo-libyen du 30 août 2008 quand l'Italie, soit l'Europe, avait sous-traité la lutte contre l'immigration pour plus de 5 milliards de dollars, le CNT libyen fut sollicité pour signer de nouveaux accords, dont celui de 2012 incluant la formation des policiers libyens, le renforcement des camps d'enfermement, l'engagement par l'Italie de fournir des moyens techniques à la Libye pour renforcer les contrôles. Et ce, en plus d'autres accords entre l'Europe et la Libye conclus sous le nom d'Euromed-migration III». Et, combattre activement les passeurs à la source, c'est-à-dire en Libye, ne peut être possible sans la conclusion de nouveaux accords dont la nature et la contrepartie ne seront plus les mêmes vu que la donne politique n'est plus ce qu'elle était du temps d'El Gueddafi ou de l'ère du CNT, soutient Mme Haddad. Car «Bruxelles a toujours montré que rien ne bouge s'il n'y a pas d'enjeux économiques». C'est dire en fin de compte qu'en baptisant les dernières opérations d'intervention de Frontex en Méditerranée, Poséidon, Mare Nostrum puis Triton, l'UE cherchait vainement à «sauver des vies» et à stopper les afflux migratoires en Méditerranée. Vainement, car malgré les efforts de «Triton», fils de «Poseidon», dieu des mers et des océans en furie, rares, très rares, furent les vaisseaux échoués qui ont pu être sauvés. Mieux, «Poseidon» a emporté dans son palais d'or, au fond de l'océan, des milliers de personnes. Et l'instauration d'une thalassocratie italienne sur la mer «Mare Nostrum (Notre mer), la Méditerranée, dont l'idée remonte, comme par hasard, à avril 1926, lorsque Mussolini l'eut avancée dans un discours à Tripoli, s'est matérialisée en avril 2015. Mieux, cette thalassocratie, ce sont des organisations criminelles de trafic de migrants basées en Libye qui l'ont érigée en Méditerranée. Ironie du sort !