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Enfant d'Aghribs, citoyen du monde...
Tazerout mohand (1893-1973). Philosophe, penseur polyglotte, traducteur, globe-trotter
Publié dans El Watan le 30 - 04 - 2015

Tant de choses sont occultées ou tues parce qu'elles ne vont pas dans le sens du poil de l'ordre établi. Le parcours singulier, atypique de Tazerout Mohand s'inscrit, hélas, dans cette funeste logique de rétention. Aussi, la tentation était indicible d'aller fouiner dans la trajectoire de ce penseur polyglotte, que les pouvoirs qui se sont succédé tout au long du siècle dernier ont carrément mis au placard.
De sa randonnée tourmentée et émouvante à travers le globe, Mohand nous est revenu avec une escarcelle pleine de pensées consignées dans des livres-références. Après l'Ecole normale de Bouzaréah et une éphémère période d'enseignement, Mohand s'en est allé à El Azhar, au Caire, où sa déception a été à la mesure de ses attentes. Il claque la porte en bourlinguant ici et là pour se découvrir et découvrir les autres. Sa folle curiosité ne s'est guère désaltérée au fil des pérégrinations et du temps.
1893 : la Kabylie dévastée
Nous essaierons, au cours de cette escapade, de vous faire connaître Mohand Tazrout.
Mohand a le visage de son fief, son terroir rude et austère de la Kabylie. Grand, fier et sec, ses lunettes à double foyer le trahissent comme un intellectuel à l'appétit vorace toujours inassouvi. Mohand Tazerout est né à la fin du XIXe siècle, à Ath Jennadh, près d'Azzefoun, aux Aghribs, dans cette région de Kabylie qui est une véritable pépinière d'intellectuels, d'artistes et chantres, de militants et de combattants. C'est, en effet, la région natale des Issiakhem, Iguerbouchen, Hadj El Anka, El Ankis, Tahar Djaout, le Dr Saïd Sadi…
«Assurément, Tazerout a eu une aventure très riche en enseignements, poursuivie attentivement par le lauréat de la promotion de 1912 à l'Ecole normale de Bouzaréah, au surplus issu d'une vieille famille maraboutique accrochée au Djurdjura, cette région qui au lendemain de l'insurrection de 1871 a été soumise gravement à d'incalculables conséquences imposées par l'ordre établi par le fer et le sang», avait écrit l'ami Djillali Sari, chercheur qui décrit avec force détails d'éclosion de ce «phénomène» qui a vu le jour à l'orée de la forêt des Beni Ghobri, non loin des célèbres boisements de Yakouren.
En effet, c'est aux Aghribs qu'il est né en 1893. Son père lui apprend patiemment le Saint Coran avec les rudiments de la langue arabe, avant même de l'inscrire à l'école publique.
C'était ainsi que les usages l'exigeaient. Tazerout lui-même le rappelait dans l'un de ses écrits : «L'usage faisait obligation stricte, sous peine d'amende, d'apprendre à lire à son fils un an au plus tard après que l'enfant ait changé de dents», selon le canon du village de Cherfa… Le cursus de Mohand fut classique.
Les succès se succèdent : inscription au cours complémentaire de l'école Montpensier à Alger, l'Ecole Sarouy, et enfin, bonheur suprême, réussite à l'examen d'admission à la prestigieuse Ecole normale de Bouzaréah, institution phare à laquelle rêve et prétend tout élève instituteur appliqué et se destinant au plus noble métier, selon l'écrivain Mouloud Feraoun, ancien pensionnaire de cette école. Nommé à Thénia, Mohand n'y fera pas de vieux os.
Une dispute avec le directeur de l'école qui avait montré des velléités racistes et peu d'égards à l'endroit du nouvel arrivant ont fini d'achever la belle idylle qui se dessinait. Un mal pour un bien ? Il faut bien le croire, car Mohand en larguant les amarres du côté de la rayonnante capitale de l'Egypte, creuset de savoir, ne perdit pas au change, surtout en rejoignant la célèbre université d'El Azhar, grand centre d'attraction de nombreux étudiants venus de partout.
Mais ce n'était pas une fin en soi pour Mohand, soucieux de s'abreuver à toutes les sources. Ainsi, il prit la direction de l'Iran à la veille du déclenchement de la Première Guerre mondiale, se consacrant d'abord à étudier le persan avant de plonger dans la dure réalité des musulmans de ces contrées en tentant d'en expliquer leur déclin et leurs reculades par rapport aux autres civilisations.
Face à la passivité de ses pairs qui semblaient se complaire dans leur fatalisme, Mohand aura l'occasion de vivre des moments autrement plus enthousiasmants en côtoyant le mouvement révolutionnaire en Russie qui allait faire émerger les Bolcheviks. Pour mieux décortiquer cet état de fait, Tazerout apprit la langue. Ce qu'il fit aussi lorsqu'il posa ses bagages en Chin, où il put savourer les attraits de l'Extrême-Orient et ses cultures aussi riches que variées.
En fait, fidèle à ses principes et à ses idées, «Mohand dût se rappeler ce hadith appris dès sa prime enfance qui recommande la recherche du savoir, fût il en Chine», note Djillali Sari. Mais Mohand, curieux, aventurier, ne se lasse jamais de découvrir d'autres horizons, d'autres peuplades, d'autres civilisations... Il jettera son dévolu sur l'Italie, l'Allemagne, l'Espagne, le Maroc et le Mali.Mobilisé en 1917 et aussitôt envoyé sur le front oriental de la France, il est blessé en Belgique, et fait prisonnier en Allemagne.
C'est là qu'il apprendra l'allemand et rédigera des œuvres qui feront référence dans cette langue… Il se voue à l'enseignement secondaire en France, notamment au sein de l'un des prestigieux établissements parisiens, le lycée Charlemagne. Mohand soutient sa thèse à Strasbourg dans la langue de Gœthe en enchaînant par la traduction de deux immenses auteurs d'expression germanique : Le déclin de l'occident d'Oswald Spengler (1948) et L'histoire des peuples et des Etats islamiques, de C. Brocklemann (1949).
Mohand livrera des travaux couronnés par la publication d'ouvrages d'envergure : La métaphysique intellectuelle d'Extrême-Orient (1963) ; La philosophie amoureuse de l'Antiquité (1955), Le capitalisme occidental depuis le XIVe sicèle
(1959) ; Le communisme soviétique et la sociologie de la coexistence pacifique (1960) publiés aux éditions Subervie.
LES VOYAGES FORMENT LA jeunesse

«Profondément imprégné de culture arabo-islamique, Mohand Tazerout s'est appliqué à établir une sorte de théorie du progrès», fait savoir Sari, en appelant à une réouverture de l'Ijtihad «plus grande» à la lumière de l'avancée fulgurante des sciences et de la technologie. Dans son excellent article consacré à Tazerout, mon ami Kaddour M'hamsadji, auteur-chroniqueur, a relevé l'ostracisme et le parti pris de certains critiques français, dont Jean Dejeux qui a jugé que «les ouvrages de Tazerout tiennent beaucoup du discours d'idées, réflexe d'ordre philosophique sur les civilisations et les cultures, les religions et les idéologies.» Et pan ! sur l'itinéraire fabuleux de Tazerout, sur ses ouvrages éclairants et scientifiques.
«On ne pouvait s'attendre qu'à ça, résume M'hamsadji, surtout lorsque cela émane des auteurs de la colonisation s'instituant maîtres en la matière.» L'écrivain Abderrahmane Djelfaoui nous indique que Jean Fournier rencontre pour la première fois Mohand Tazerout en 1949, alors qu'il est fiancé à sa fille Jacqueline dont il deviendra le mari. Depuis, les deux hommes ont fait un long chemin ensemble.
«L'itinéraire de Mohand est unique et exceptionnellement foisonnant», signale Fournier qui consacre un chapitre entier de son livre Alliances Kabyles à son beau-père qui s'est attelé à un travail d'encyclopédiste sur l'histoire générale des civilisations d'Orient.
«Demandons-nous seulement, écrit Fournier, ce qui s'est réellement passé plus tard dans son village, en 1954, où Tazerout n'était pas retourné depuis quarante ans et qu'il quitte pour ne plus jamais y revenir ? Nous n'avons jamais eu de sa part, avec Jacqueline, un compte rendu précis. Mais le sentiment que nous en avons gardé est celui d'un relatif échec. Sans doute s'attendait-il a être mieux reconnu lors de ce périple qui le conduira aussi dans le Sud de l'Algérie.
C'est pour cela que Tazerout décide de finir ses jours à Tanger.» Notre confrère Slimane Benaziez donne un autre éclairage à travers une conférence donnée il y a quelques jours, en expliquant que jusqu'à la guerre de libération, Tazerout semblait s'en tenir à une attitude assimilationniste, désapprouvant des injustices qui, lui semblait-il, avaient eu leurs équivalents en France même et auxquelles il était donc possible de remédier. Mais, en suivant de près la «guerre totale» menée par la puissance coloniale et son armée en Algérie, Tazerout a fait un revirement radical à cent-quatre-vingt degrés.
Ainsi, il écrivait Les troubles actuels sont d'ordre politique. A partir de là, il n'avait aucune hésitation à recourir à la terminologie habituellement réservée à caractériser les méthodes nazies et du fascisme pour qualifier la répression féroce menée par la France en Algérie. Aux objections sur les méthode des combattants algériens, il répondait que «le FLN était acculé à la nécessité de se défendre depuis sept ans contre l'extermination lente du peuple algérien», et qu'il est «toujours vain d'accuser les autres des crimes qu'on commet soi-même au centuple.»
UN ERUDIT GERMANOPHOBE
Cette sentence est à rapprocher de celle de Ben M'hidi quand il répondait à un journaliste qui lui faisait remarquer que des innocents peuvent être atteints par les attentats à la bombe par le FLN.
Dans son livre L'Islam et les Musulmans de France, l'islamologue et historien Sadek Sellam dresse un portrait de Tazerout qui a tenté d'établir une sorte de théorie du progrès des anciennes peuplades des steppes de l'Asie centrale à la coexistence pacifique des deux blocs. Tazerout oppose à la constante violence de l'Occident qui utilise la poussée vers l'extérieur (croisades, expansion coloniale), pour maintenir ses exploitations, la constante d'assimilation de l'Orient. «L'Islam a intégré de nombreux apports étrangers et constitue de nouvelles communautés avec les peuples convertis.
Tazerout souhaite que l'Islam moderne accepte au niveau de la philosophie et du droit des révisions, ce qui l'enrichirait en l'assouplissant.» Car, selon notre philosophe, «le message coranique dépasse en largeur de vue toute l'histoire musulmane et son culte religieux ou sa législation sociale.»
Voilà un appel à l'Ijtihad, à l'ouverture de l'Islam à l'universel pour mieux maintenir son originalité. C'est sans doute pourquoi, à l'issue d'une interview et à la question posée par le chercheur Rachid Benaïssa relative au message que Tazerout voudrait passer aux jeunes, celui-ci répondit spontanément : «Ne rougissez pas d'être Musulmans…». Tazerout décédera le vendredi 23 novembre 1973 à Tanger, ville où il a élu domicile pour sa retraite…
Pourquoi ce choix ? Est-ce seulement pour apaiser l'exil en éprouvant une curieuse solitude ? Où est-ce un moyen de se ramasser pour tenter d'effacer les vieilles douleurs ? Pourtant, Tazerout avait habitude de dire : «Là où on est capable d'aimer et d'être émerveillé, là est notre lieu.» Et Tanger, ville internationale cosmopolite, multiculturelle, plurielle, foyer du nationalisme qui a accueilli Chakib Arslan, Delacroix, Kessel, Dumas, Churchill et Tahar Bendjelloun n'est-elle pas toutindiquée ? D'autant que c'est d'ici que commença la conquête d'El Andalous par Okba Ibn Nafaâ et Tarik Ibn Ziad. Et puis, n'est-ce pas dans ces lieux, dans ce paradis perdu irréversible qu'est né un des personnages les plus célèbres de la ville, le grand voyageur Ibn Batouta ? C'est peut-être pour toutes ces raisons que Tazerout a posé ses bagages ici : pour l'éternité…


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