A l'image des deux grands procès précédents – Sonatrach et Khalifa Bank – le procès autoroute Est-Ouest laisse un goût d'inachevé, d'amertume et de colère. Amar Ghoul n'a pas jugé utile de se présenter devant le juge qui, au demeurant, ne l'a pas contraint à se présenter à la barre. Par le biais de l'astuce des réponses par écrit, le ministre des Transports s'est (évidemment) déchargé totalement sur l'Agence nationale des autoroutes (ANA), réalisatrice des projets. Il s'en sort indemne alors que tout son staff a été décapité. En 2003, une collusion entre la justice et le politique a eu pour effet le sauvetage de Sidi Saïd, alors président du conseil d'administration de la CNAS qui, pourtant, avait publiquement reconnu sa responsabilité dans le dépôt des fonds de la Caisse dans la banque Khalifa. Plusieurs ministres et hauts responsables éclaboussés par l'affaire sont, eux aussi, passés entre les mailles du filet, parmi eux Mourad Medelci, alors ministre des Finances, qui avait affirmé avoir «manqué d'intelligence» dans le suivi du dossier Khalifa. Enfin tout récemment lors du procès Sonatrach, l'ex-ministre de l'Energie, Chekib Khelil, a manqué à l'appel, bénéficiant de complicités en haut lieu pour son exfiltration vers l'étranger. Tous les procès Sonatrach ne peuvent qu'être frappés de nullité en son absence : unique donneur d'ordres stratégiques, il est légalement le principal responsable de la corruption dans le secteur de l'énergie. Et également en l'absence de Bedjaoui, l'ancien ministre des Affaires étrangères, dont le neveu (qu'il aurait introduit) a joué un rôle majeur en tant qu'intermédiaire dans les affaires de pots-de-vin. Nul doute que le même scénario se reproduira lors du prochain procès de Khalifa Moumen en personne, dont la tactique pour s'en sortir est limpide et il l'a annoncé publiquement : le grand déballage. Il table sur la hantise du pouvoir d'être mis en avant dans le scandale et sur sa capacité à peser sur les juges. On peut multiplier les exemples a volonté de la justice aux ordres, voire même méprisée. Le président Bouteflika n'a jamais digéré l'épisode pourtant lointain de son examen par la Cour des comptes. De manière générale, le pouvoir protège les siens tant de l'opinion publique que de la justice, méprisant la première, disqualifiant la seconde. Après les procès et même avant, en détention préventive abusive, les prisons ont vocation à s'ouvrir devant les seconds couteaux, parfois même des innocents, et à se refermer devant les ministres et les puissants. Si par carriérisme, des magistrats et des juges jouent sciemment le jeu avec les décideurs, nombre d'entre eux exposent quotidiennement au danger leur honnêteté et leur sens des responsabilités. Au procès de l'affaire autoroute Est-Ouest, le juge est allé jusqu'à se dévaloriser, affirmant «n'être rien» devant un ministre. La peur était si forte qu'il ignore être en mesure de convoquer n'importe qui, sauf le chef de l'Etat, ne serait-ce que comme témoin. Enfin, le pouvoir va plus loin que les dossiers de corruption. Il n'hésite pas à instrumentaliser la justice dans des affaires purement politiques. Au quotidien, il pèse sur les terrains des droits de l'homme, de la liberté de la presse, du mouvement associatif, des droits politiques (marches, rassemblements, sit-in)… L'interdiction faite à Benflis par la justice (de la nuit) en 2003 de la tenue du congrès extraordinaire du FLN reste un des plus célèbres points noirs…