Le procès Khalifa Bank s'est ouvert hier au tribunal criminel près la cour d'Alger. Pour la première fois, Abdelmoumen Khalifa comparaît parmi les 73 accusés déférés pour plusieurs chefs d'accusation : «association de malfaiteurs», «blanchiment d'argent», «trafic d'influence», «faux en écritures publiques» et «escroquerie». Neuf heures tapantes. Vingt accusés entrent dans le box ; le vingt et unième, Abdelmoumen Rafik Khalifa, les rejoint quelques minutes après en costume bleu et chemise blanche. Assis à la première rangée, complètement à gauche, il n'a gardé de son image que le large sourire qui ne le quitte jamais. Moumen apparaît le teint foncé et le corps réduit à quelque 50 ou 60 kg. Il est entouré par les directeurs d'agence avec lesquels il échange, de temps à autre, quelques propos et des sourires. 9h15. Le juge Antar Mnaouer, assisté les conseillers Belaïd Oulahcène et Naima Amraoui, entre dans la salle. Celle-là même qui a abrité le premier procès en 2007, durant deux mois et demi. Depuis, beaucoup de choses ont changé ; cinq accusés et une juge assesseur sont décédés, plus d'une dizaine d'accusés ont un statut de témoins après avoir purgé leurs peines. Le juge annonce la jonction des deux affaires : la 47 liée à Khalifa Bank, revenue après cassation, et la 48 de Abdelmoumen Khalifa en tant que contumax. «L'accusé s'est rendu après que le verdict de l'affaire Khalifa Bank a été cassé par la Cour suprême. Etant donné qu'il s'agit d'un contumax, il n'y a pas d'opposition, y compris lorsque nous sommes devant des faits délictuels jugés par un tribunal criminel.» Le juge se réfère à l'article 277 du code de procédure pénale pour justifier sa décision, ajoutant que les deux affaires ont un seul arrêt d'envoi et donc les mêmes faits. Le magistrat passe à la vérification de la liste des accusés ; cinq sont absents, contre lesquels il décide des mesures. Puis c'est au tour de la partie civile, représentée par une cinquantaine de personnes et autant de sociétés, notamment les OPGI des 48 wilayas ainsi que des mutuelles et les caisses de Sécurité sociale et de retraite. Le président fait remarquer que les parties qui ne se sont pas faites connaître avant la fin du dernier procès n'ont pas le droit de se constituer partie civile. Puis il entame la lecture de la liste des témoins. Là aussi, ce sont les mêmes noms entendus durant le premier procès. Mourad Medelci ancien ministre des Finances, absent, Bouguerra Soltani, absent, Mohamed Djellab, ancien administrateur de Khalifa Bank et actuel ministre des Finances, présent dès l'ouverture de l'audience mais absent à l'appel, Karim Djoudi, absent, Abdelmadjid Tebboune, absent, Abdelmadjid Sidi Saïd, absent, Mohamed Terbèche, absent, Mohamed Laksaci, gouverneur de la Banque d'Algérie, absent, Mohamed Raouraoua, absent etc. En fait, la plupart des témoins ont fait défection. «Je vous informe que les personnalités citées et qui occupent des responsabilités, nous allons les convoquer au moment opportun. Le procès va durer, il n'est pas nécessaire d'avoir tout le monde aujourd'hui», déclare le juge. D'autres, comme les présidents de club sportif dont Mohand Cherif Hanachi, Messaoudi du MCA, sont là. Le procureur général Zergaras présente les certificats de décès des accusés Berber, Thabet, Bourayou et Zerrouk Khireddine Walid. L'appel se termine, maître Nasreddine Lezzar, avocat de Abdelmoumen Khalifa s'avance et demande au président d'éviter de présenter son mandat comme principal accusé. Apeine a-t-il commencé à faire sa demande que le magistrat lui précise : «Les demandes orales ne seront pas prises en compte. Il faut qu'elles soient écrites.» L'avocat affirme avoir entre les mains les demandes écrites mais veut les reprendre avant, et se déclare contre la jonction des deux affaires que le président du tribunal a annoncée. Le président répond : «Nous nous sommes référés à l'article 277 du code de procédure pénale, parce que nous sommes devant une unité des parties et des faits. La défense peut faire des demandes sur les questions préjudicielles.» Me Lezzar conteste. Pour lui, l'affaire Khalifa Bank n'est pas celle de Abdelmoumen Khalifa. Le président ne partage pas son avis. «Nous sommes là pour les mêmes faits. Il y a encore Khalifa Airways, mais elle ne concerne pas cette affaire», dit-il. L'avocat revient à la charge et explique que «Abdelmoumen Khalifa n'était pas en fuite, mais était en détention. Il n'a jamais été auditionné par un magistrat instructeur ; il a été entendu par le président du tribunal criminel le 6 avril 2013. Cet acte d'instruction a un statut ambigu parce celui qui l'a entendu se trouve être en même temps président du tribunal. Or, celui qui doit l'entendre est un juge autre que celui qui préside le tribunal criminel. Il s'agit là d'une violation de la procédure. De plus, l'accusé a été entendu sur procès-verbal de première comparution qui ne peut être établi que par un magistrat instructeur. En outre nous sommes devant un magistrat qui instruit une affaire et qui va la juger. Il s'agit d'une violation flagrante et gravissime d'un principe procédural selon lequel un juge qui a instruit un dossier ne peut siéger dans une juridiction pour le juger. C'est une des garanties fondamentales d'un procès équitable». Le procureur général affirme pour sa part que «Rafik Abdelmoumen a choisi la fuite donc il n'a pas la possibilité d'aller vers une instruction. C'est une étrange demande. La procédure doit revenir à l'arrêt de renvoi et non au juge d'instruction». Me Lezzar répond : «On revient à l'ordonnance de contumace et non à l'arrêt de renvoi.» Le juge se retire pour délibérer ; une demi-heure plus tard, il rejette la demande dans le fond, mais l'accepte dans la forme. La défense se retirera-t-elle ? Le juge demande la lecture de l'arrêt de renvoi. A 17h30, l'audience est levée pour reprendre aujourd'hui avec la poursuite de la lecture de l'arrêt de renvoi.