A 9h tapante, le président de la séance, le juge Antar Menaouar, accompagné de ses deux assesseurs (Boulahcen Belaïd et Naïma Ourab), entre dans la salle numéro 1. C'est la même salle qui a vu, pendant deux mois et demi, en 2007, se dérouler le procès de l'affaire Khalifa Bank, avant qu'il ne revienne après cassation devant la Cour suprême. A cette époque, Abdelmoumène Khalifa, le principal accusé, était en fuite à Londres et l'Algérie menait une bataille judiciaire pour son extradition. Ce qu'elle réussi à faire en décembre 2013, et hier celui qu'on surnommait le Golden boy était bel et bien présent au box des accusés. Dans un costume de couleur bleue, usé et froissé, Abdelmoumène Khalifa ne ressemblait plus à aucune de ses photographies, souvent publiées dans les médias. De ses joues bien remplies, il ne reste même plus les traces. Des yeux enfoncés et un teint assombri ont fait qu'il était difficile de reconnaitre l'homme par qui le plus grand scandale du siècle est arrivé. Si ce n'est ce sourire «narquois» qu'il a gardé au coin des lèvres, Moumène Khalifa, avec ses cinquante kilos à peine, ne ressemblait plus au «Golden Boy». En prenant place dans le box, au premier rang, Abdelmoumène prend la peine de saluer certains de ses codétenus. Il lance un regard à la salle et à ces milliers d'yeux qui le fixent. Doucement, il détourne la tête et donne cet air flegmatique et indifférent d'une personne qui n'est pas concernée par ce qui se déroule autour d'elle. Le juge Menouar ouvre la séance et commence par annoncer la décision du président du tribunal criminel de faire la jonction entre les deux affaires, expliquant que cette jonction se justifie dans le cadre de la loi, par les articles 276 et 277 du code de procédures pénales. Il prendra ensuite toute la matinée pour faire l'appel des accusés, des témoins, de la partie civile et des avocats. Et les trois heures consacrées ont à peine suffit en raison du nombre important des personnes concernées par ce dossier. Il est question, rappelons-le, dans ce dossier de 78 accusés, 21 sont en détention et 5 sont décédés à savoir Zerrouk Djamel, Thabet Habib, Bourayou Nadjib et Kheïrredine El Walid. En faisant l'appel, le juge qui savait déjà que trois accusés étaient décédés, apprendra le décès des deux autres. Il demandera alors au parquet de présenter avant l'ouverture effective du procès les attestations de décès. Quatre accusés n'ont pas répondu présents à l'appel et contre lesquels le juge risque de prendre des mesures dont Sedrati Masseoud. L'épouse de ce dernier appelée comme témoin informera le juge que son mari est en «mission», mais ce dernier lui réplique : «Il devra se présenter avant l'ouverture effective du procès au risque d'être considéré comme en fuite.» En faisant l'appel de la liste des témoins, le juge constatera un nombre important d'absents et à chaque fois que le nom d'une personnalité connue était appelée, il rassurait en disant «ces personnes se présenteront devant le tribunal le moment venu». Il s'agit notamment de l'actuel ministre des Finances, Djellab Mohamed, le président du Conseil Constitutionnel, Mourad Medelci, Djoudi Karim, ex ministre des Finances, Terbèche Mohamed, ex ministre délégué au Trésor, Abdelmadjid Sidi-Saïd, secrétaire général de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA), Bouterfa Nourredine, PDG de Sonelgaz, Bouguerra Soltani, ex ministre, Abdelmadjid Tebboun, l'actuel ministre de l'Habitat et Laksaci, l'actuel Gouverneur de la banque d'Algérie. Les Hamiani, Tahkout ou encore Idjerouiden ont également fait défaut hier. Du côté du monde sportif, Medouar et Serrar, respectivement présidents des clubs d'ASO Chlef et ES Sétif ne se sont également pas présentés devant le tribunal criminel près la Cour de Blida. C'est également le cas de Saïd Alligue et Mohamed Lefkir. Hannachi de la JSK ainsi que Messaoudi du MCA ont, quant à eux, répondus présents. Mohamed Raouraoua, le président de la Fédération algérienne de football (FAF) a, pour sa part, justifié son absence par son déplacement à l'étranger dans le cadre de son travail. A préciser que près d'une vingtaine d'accusés qui ont terminé de purger leur peine et qui n'ont pas interjeté appel devant la Cour suprême, ont été appelés comme témoins. C'est le cas notamment d'Akli Youcef, le trésorier de la banque Khalifa. Nekkache Hammou, l'un des deux comptables d'El khalifa Bank a également été appelé comme témoin avant qu'il ne soit précisé que ce dernier est décédé. La partie civile dont le nombre dépasse largement la centaine était représentée en force hier au procès. Après une pause d'une demi-heure, le juge délibère pour le cas des accusés décédés et annonce l'extinction des poursuites contre eux comme le prévoit la loi. Il ouvre ensuite la voie à la bataille des procédures. C'est Me Lezzar qui ouvre le bal. Il commence par demander au juge de bien éviter de qualifier son client du «principal accusé» ou encore de qualifier l'affaire d'El Khalifa Bank. Le juge Menouar calmement répond : «Il s'agit de l'accusé Abdelmoumène Khalifa et de l'affaire de la banque El Khalifa et nous sommes d'accord pour cette terminologie.» Une fois cette question réglée, Me Lezzar revient aux questions préjudicielles : «Mon client n'a pas été entendu par un juge d'instruction et c'est une violation de la procédure car un juge d'instruction doit instruire à charge et à décharge. Il a été entendu par le président du tribunal criminel en date du 6 avril 2013 dernier dans un PV d'audition complémentaire. Je me demande comment il peut y avoir un procès verbal d'une audition complémentaire sans un procès verbal préliminaire. Sinon le PV est complémentaire à quoi ? A cela j'ajoute que le juge du tribunal criminel que vous représentez Monsieur le président a entendu mon client dans une audition en première comparution alors que la loi est claire, cette audition relève uniquement des prérogatives du juge d'instruction. Monsieur le président, il y a des principes fondamentaux qui nous obligent à séparer la partie accusatrice de celle qui doit juger. Alors je me demande, Monsieur le président, puisque le 6 avril dernier vous avez utilisé votre qualité de juge d'instruction, est-ce que vous pouvez aujourd'hui juger mon client ? Vous ne pouvez pas être juge et partie ? Je tiens enfin à vous faire savoir que nous rejetons la jonction des deux affaires. Nous demandons la nullité des procédures et d'ordonner une instruction complémentaire pour entendre mon client. Enfin nous demandons le renvoi de cette affaire.» Dans sa réponse, le procureur général Zergaras est revenu sur les procédures en pénale expliquant que si un contumax qui était en fuite est entendu par un juge d'instruction «ce sera une première ! La loi est claire et c'est une demande basée et bizarre. Nous demandons son rejet. Je rappelle par ailleurs que le juge, et par la force de la loi, peut avoir qualité de juge d'instruction». Sur la jonction des deux affaires, le procureur général a rappelé les articles 276, 277 du code de procédures pénales qui permettent la jonction de plusieurs arrêts de renvoi pour un même accusé, «c'est évident lorsqu'il est question d'un même arrêt de renvoi». Le juge délibère et décide : «Dans la forme, votre requête est acceptée, mais dans le fond, elle est rejetée.» Une dernière requête est présentée au juge Menaouar de la part de l'avocat de Chachoua Ahmed. Selon la défense, la prise de corps est effectuée sur son client avec l'ouverture du procès mais ce dernier nécessite un accompagnateur en prison. Le juge fera remarquer à l'avocat que cette demande ne relève pas de ses prérogatives. Le Juge Menouar constitue son tribunal et demande la lecture de l'arrêt de renvoi. Il est à rappeler que la Cour suprême s'est prononcée, le 19 janvier 2012, sur les pourvois en cassation introduits par la défense et le ministère public dans l'affaire de la banque El Khalifa et a décidé de les accepter. Cinquante quatre pourvois en cassation introduits par le ministère public et vingt quatre autres introduits par la défense, soit un total de 78 pourvois en cassation, ont été acceptés par cette instance. Dix-sept autres accusés se sont désistés de leurs pourvois en cassation. Ils sont donc considérés comme témoins dans ce procès. Pour les soixante dix huit accusés (des 104 personnes jugées en 2007) dont le pourvoi en cassation a été accepté, même ceux qui ont purgé leur peine ou ont été relaxés, ils passent aujourd'hui devant le juge Menouar. Rappelons que l'accusé principal, Abdelmoumène Rafik Khelifa, a été condamné par contumace à perpétuité par le tribunal criminel près de la Cour de Blida notamment pour faillite frauduleuse, association de malfaiteurs, vol qualifié, détournement de fonds et faux et usage de faux. Ce dernier, auteur du plus grand scandale financier en Algérie, aurait causé un préjudice de plus de 7 000 milliards de centimes au trésor public. Rappelons enfin qu'en mars 2007, le tribunal criminel près la Cour de Blida, qui a rendu son verdict pour les 94 accusés présents dans la salle, avait prononcé des peines d'un an à 20 ans de prison et une cinquantaine de relaxes. Le tribunal avait décidé d'un mandat de dépôt à l'audience contre certains accusés qui avaient comparu librement. H. Y.