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Bonnes feuilles : Témoignages inédits sur le 8 Mai
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Publié dans El Watan le 08 - 05 - 2015

Notre journaliste à Sétif, Kamel Beniaiche, prépare un livre sur le 8 Mai 1945. Il y donne la parole à de nombreux témoins directs et, pour la première fois, à des collégiens exclus de leur établissement pour avoir participé à la marche. Il promet également des révélations sur l'origine des événements. Voici quelques extraits.
Quand les fantômes parlent
Le 8 mai 1945, alors que le monde libre scelle la capitulation des armées nazies, se déroule à Sétif, Guelma et Kherrata des échauffourées suivies d'une fusillade qui fera date. La colère des indigènes fera 103 victimes et 110 blessés européens. Si le nombre des victimes européennes est connu avec précision, la France coloniale n'a pas jugé utile d'établir un fichier pour les morts indigènes. La crainte du bilan macabre a probablement fait réfléchir les signataires du carnage. Depuis soixante-dix ans, les indigènes tués, blessés, achevés ou détenus dans d'atroces conditions n'étaient que des fantômes.
Dans cette enquête bouclant sa dixième année, ces fantômes ont désormais des noms. La navrante vérité de cette sombre page est mise au jour par des acteurs directs. Ils dévoilent ainsi l'histoire des milices, des exactions sommaires, des fosses communes, du supplice des élèves du collège Eugène Albertini (actuellement lycée Mohamed Kerouani), et d'autres faits gravissimes. Leur occultation a porté un grave préjudice à l'historiographie de douloureux événements qui ne divulgueront jamais tous leurs secrets. En prenant la parole pour la première fois, de nombreux témoins et acteurs remettent les pendules à l'heure…
La presse aveugle
La presse coloniale s'est interdit tout commentaire objectif. Le martyre des Français musulmans est un tabou pour les «censeurs» qui affichent un niet catégorique. Décrété en loi, le silence masque tant de vérités, pas toujours agréables à connaître. Une revue de presse fait clairement apparaître le parti pris des journaux d'Algérie et de Métropole. Le récit du reporter américain, Landrum Bolling, désavoue la thèse des collègues français qui n'ont rien vu et rien entendu. (En mai 1945, je roulais sur cette route venant d'Alger vers Sétif.
Je venais de la côte, je remontais ces gorges et le long de la route j'ai vu les premiers effets de ces terribles événements qui avaient eu lieu autour de Sétif. Des villages brûlés. Quelque part sur cette route, sur le côté droit, je me souviens d'un village où les maisons fumaient encore. Elles étaient sous la garde des troupes coloniales françaises noires. Des Sénégalais, je crois. Ils gardaient ces villages en ruine. De là, j'ai rejoint les hauts-Plateaux de Sétif. J'ai pris un hôtel dans la rue principale de Sétif.
Et des gens ont commencé à me raconter les faits. J'ai eu la chance de rencontrer un officier britannique de la Royal Air Force qui s'avéra être le chef des services secrets d'Afrique du Nord. Il venait d'Alger afin de découvrir ce qui se passait. Il était bouleversé par ce qu'il avait appris. Il m'a dit : ‘‘Je vous raconterai toute l'affaire, je vous montrerai les dossiers des services britanniques''. Alors, j'ai repris la route pour Alger avec lui.
Il a ouvert ses dossiers, je suis resté deux heures dans son bureau à prendre des notes sur ce qui était arrivé à Sétif. Ensuite, je suis allé voir le service de liaison américain afin qu'il me donne leurs informations. Je n'ai d'abord rien pu obtenir. Mais quand j'y suis retourné avec le contenu des fichiers britanniques, ils ne pouvaient cacher la vérité plus longtemps. Ils m'ont ouvert les fichiers des services américains. J'ai pu obtenir les rapports des services secrets sur ce qui s'était passé.
Et je me rappelle du major, le responsable du bureau. Il m'a dit : ‘‘Je vais vous montrer nos photos aériennes''. Il était énervé car les Français avaient utilisé des bombardiers B25 américains pour bombarder les villages. J'ai donc eu ces informations secrètes des services secrets américains et britanniques. C'est ainsi que j'ai eu toute l'histoire). L'omerta contamina même les cantonnements militaires. Le témoignage de Mouloud Mammeri qui se trouvait à la même période avec son bataillon en Allemagne vaincue par les armées alliées, montre la gêne de la France coloniale, faisant tout pour cacher une bavure qui se répand telle une traînée de poudre.
Ferhat Abbas, l'«agitateur»
Pour lui avoir donné du fil à retordre des décennies durant, la France fait du pharmacien de Sétif le bouc émissaire tout trouvé. Attendu au tournant, l'homme des AML est non seulement taxé d'agitateur, mais accusé de la mort des 103 Français d'Algérie. Homme politique d'envergure, Ferhat Abbas, qui ne supporte pas l'injustice subie par son peuple, ne peut le pousser à un suicide collectif. Ainsi, au moment où se déroule le sinistre 8 Mai 1945 à Sétif, en homme de bonne foi et de grande droiture, ce pacifiste, qui ne veut pas se contenter d'un message laconique, tient à présenter personnellement ses félicitations au gouverneur général d'Alger.
Félicitations auxquelles répond ce dernier en lui offrant un «séjour» dans les geôles d'Alger et de Constantine où il croupit jusqu'au 16 mars 1946, juste après l'adoption par la première Assemblée constituante de la loi d'amnistie. «J'ai été arrêté avec le docteur Saâdane dans le salon d'attente du gouverneur général d'Alger, le 8 mai 1945 à 10h30. Nous étions là au nom des AML pour féliciter le représentant de la France de la victoire des Alliés. Mis au secret, je n'ai appris les événements du Constantinois que deux semaines après. Auparavant, le juge d'instruction militaire m'avait notifié que j'étais inculpé d'atteinte à la souveraineté française (décret Régnier). Puis, une seconde inculpation d'atteinte à la souveraineté intérieure de l'Etat me fut notifiée.
Enfin, je devais répondre à une troisième inculpation, celle ‘‘d'atteinte à la souveraineté extérieure de l'Etat''. Je suis passé entre les mains de trois juges d'instruction militaires, et j'ai été interné dans quatre prisons. Mon interrogatoire a consisté surtout à répondre aux objections que les autorités judiciaires faisaient au programme des AML. J'ai été assisté par Me Guinand ; malgré l'interdiction faite aux avocats par le bâtonnier Groslière, du barreau d'Alger, de se constituer pour les Algériens, cet ami fidèle tint à assurer ma défense. Il m'a été aisé de défendre les AML et la conception d'un Etat algérien fédéré… Pendant ma captivité, nombre de mes amis personnels avaient été torturés, fusillés, leurs biens pillés.
De jeunes militants avaient été lâchement et froidement assassinés», a écrit Ferhat Abbas. Appréhendant les provocations et les pièges tendus à son peuple meurtri, le pharmacien est injustement qualifié d'agitateur. Preuve à l'appui, l'accusé, tout comme de nombreux survivants et témoins de ces violences indescriptibles, dément formellement : «J'affirme sur l'honneur, je jure devant Dieu que les Amis du Manifeste sont étrangers aux émeutes de Sétif et que nous avons les mains nettes de tout sang humain.» Mieux encore, il tient à exprimer sa sympathie à des amis français : «Il ose célébrer ses amis français, le docteur Calbois, le colon Gaston Lleu qui sut éviter l'affrontement à Bordj Bou Arréridj le 8 mai. Il dit sa sympathie à son ‘‘admirable et regretté ami Deluca'', le maire socialiste de Sétif, un ami des indigènes» assassiné le 8 mai, écrira-t-il plus tard.
Les 17 proscrits du collège
Surprise par l'implication des enfants indigènes dans un tel mouvement politique, l'administration coloniale, ne voulant sans nul doute pas que la «gangrène» nationaliste atteigne la forteresse (L'ex-collège Eugene Albertini - actuellement lycée Mohamed Kerouani), prononce des décisions radicales à l'encontre de 17 élèves, priés de quitter les bancs du collège.
Ainsi, Maïza Mohamed-Tahar, Benmahmoud Mahmoud, Torche Mohamed-Kamel, Kateb Yacine et leurs camarades Lamri Abderhmane (1re M) Keddad Bakhouche (2e M), Lamriben Nasredine (3e B), Djemame Abderezak (3e M), Ferrani Ouamar (3e M), Cherfaoui Mohamed (4e A), Khaled Khodja (2e A), Abdeslam Belaïd (4e M) et Yanat Boualem (4e M) sont ainsi rayés des effectifs le 15 mai 1945 (décision n°3819- 3821). Dix jours après, Mostefai Seghir est prié de quitter les lieux. Taklit Tayeb (martyr de la guerre de Libération nationale) et Abdelhamid Benzine sont exclus le 30 mai 1945, soit vingt jours après l'éclatement des hostilités.
Croyant naïvement qu'il était «exempté» de l'exclusion, Abdelkader Zeraïti n'échappe pas à la terrible sentence ; 44 jours après, l'élève de 4e M doit déguerpir. Le 20 juin 1945, la porte de la «pépinière» se ferme derrière Abdelkader. Les garçons qui n'ont été mêlés ni de près ni de loin au bain de sang paient chèrement leur engagement politique. Comme un malheur n'arrive jamais seul, les «proscrits» ne sont pas au bout de leurs peines.
Les vexations et brimades sont au menu de certains d'entre eux. Agés d'à peine 15 à 16 ans, ces élèves croupissent des mois dans les geôles où ils subissent des sévices. A ce propos, Benzine dira : «J'étais en cours de français. Le professeur commentait et donnait les résultats de la composition mensuelle de dissertation. Dans le couloir, des pas précipités et des éclats de voix se font entendre, laissant croire à une altercation. Le professeur, agacé, demande à un élève de fermer la porte… Des hommes, étrangers à l'établissement, discutaient bruyamment avec le principal.
C'étaient des policiers. Ils étaient là pour m'arrêter, alors que je venais d'être classé premier en dissertation… Je n'avais jamais imaginé quitter un jour le collège définitivement entre quatre gaillards armés, les mains ligotées par des menottes. Quand nous arrivâmes au commissariat, Yacine y était déjà. Nous étions parqués comme des animaux dans un espace aussi étroit qu'insalubre. Comme il faisait chaud et que nous étouffions, ils nous arrosaient avec d'eau puante…»
L'implication du général De Gaulle
Je dois également mentionner les témoignages inédits de trois ministres du gouvernement français de l'époque. Les déclarations de Charles Tillon (ministre de l'Air), Pierre Henri Teitgen (ministre de l'Information) et Francois Billoux (ministre de la santé) lèvent le voile sur bon nombre de points. Selon eux, le gouvernement était tenu à l'écart : «Jamais le Conseil des ministres n'a été informé du bombardement de Sétif ni par le général De Gaulle ni par aucun ministre.» Et d'ajouter : «Je n'ai appris le drame que plusieurs mois plus tard. L'événement a été noyé dans la grande affaire du 8 Mai, la défaite de l'Allemagne nazie. Je ne sais rien de plus», dira Pierre-Henri Teitgen, le ministre de l'Information qui sera garde des Sceaux dès le 30 mai 1945.
Pointé du doigt, Charles Tillon (ministre de l'Air) réfute carrément, expliquant qu'il n'a «aucune responsabilité dans la répression de ces émeutes» et qu'elle fut «une machination fomentée par des nostalgiques du régime de Vichy». Il se défend, malgré les accusations dont il fait l'objet, d'être en cause dans le massacre du Constantinois : «On a dit : ‘‘le ministre de l'Aviation a fait tirer sur l'Algérie''. Or, je n'ai connu les événements qu'après, le lendemain. Je pensais toujours que dans l'état-major de Juin (général, chef d'état-major de la défense nationale,) des gens étaient au courant, même si je ne peux affirmer que Juin lui-même le savait.»…
Un mouvement insurrectionnel virtuel
La qualification de ces «faits» sera abordée, d'autant plus que la thèse du «mouvement insurrectionnel» est récusée par de nombreux acteurs qui parlent de «complot», «guet-apens» : «Pour que le crime soit parfait, la date du 8 mai 1945 était tout indiquée pour perpétuer la tragédie. Les initiateurs de la machination ont profité de ce jour précis, car l'opinion publique à Paris, Londres, Moscou et Washington fêtait la victoire tant attendue.
Au lieu de célébrer avec eux la défaite du nazisme, les comploteurs ont contraint le peuple algérien à pleurer ses victimes. Les algériens qui ont participé à la libération de la France sont récompensés par un autre bain de sang. L'histoire du mouvement insurrectionnel n'est ni plus ni moins qu'une invention de l'administration coloniale dans l'obligation de trouver un subterfuge pour justifier le carnage. Une insurrection est proclamée. Une insurrection est encadrée par un chef et une direction. Une insurrection exige une logistique, des armes, une préparation.
Une insurrection est surtout une lutte armée n'épargnant pas le moindre millimètre du territoire national. Alors que la manifestation du 8 Mai n'avait, à l'instar de la marche du 1e mai qu'un caractère politique, elle tendait à réclamer pacifiquement la libération de Messali et l'indépendance de l'Algérie. Contrairement aux assertions de certains auteurs de la casse, il n'y avait aucun plan de révolte armée. Pour preuve, les instructions du parti interdisaient le port d'arme. Les directives étaient très strictes à ce sujet. Les gens qui l'ont fait ont agi à l'insu des organisateurs.
Cette histoire d'insurrection est un faux-fuyant», diront de nombreux témoins et acteurs.Tout au long de l'enquête, des témoignages bruts. Sans haine ou passion, mes interlocuteurs, qui n'éprouvent aucune animosité envers leurs tortionnaires, racontent le plus souvent avec une extraordinaire précision. Ce que je voulais raconter est avant tout cette folie meurtrière exécutée sous le sceau du «maintien de l'ordre» ou d'«opération de nettoyage».


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