Ce 8 mai 1945, à Sétif, commence une répression coloniale d'une férocité atterrante qui fit de 40 à 45 000 victimes. Durant les jours qui suivront ce jour tragique, les massacres commis par la police, la gendarmerie, l'armée et les milices civiles atteignirent le niveau de la sauvagerie. On tire à vue, on exécute à la mitrailleuse... et l'aviation bombarde. Qui a donné les ordres ? Parce que Charles Tillon, dirigeant du Parti communiste français (PCF), était alors ministre de l'Air, on lie son nom aux bombardements quand on ne l'accuse pas directement. Tillon, dans ses mémoires, démentira clairement toute responsabilité. Mais soyons plus précis : le ministère de l'Air est un ministère civil dans une liaison obligatoire avec l'armée en ce temps de guerre finissante. Le ministère de Tillon s'occupe des transports aériens, de la reconstruction des usines d'aviation... mais il n'a pas de compétences militaires opérationnelles. Celles-ci dépendent clairement du ministère de la Guerre. Dans La guerre d'Algérie, Henri Alleg cite le général Weiss, commandant de l'aviation à Alger à cette date (interview à Liberté du 30 mai 1946) : « M. Tillon n'a jamais donné cet ordre - dit le Général - puisqu'il était à Paris et ignorait le début des événements. A aucun moment le ministre de l'Air n'est intervenu pour ordonner les opérations ni pour donner des directives tactiques à l'aviation que je commandais. Ce n'était pas d'ailleurs le rôle du ministre (...). L'emploi tactique des troupes relève du chef d'état-major général de la Défense nationale. Le ministre de l'Air n'a rien à voir dans cette question. Supposer que M. Tillon a donné des ordres d'emploi comme ministre de l'Air, c'est à la fois une absurdité et une impossibilité. Ceux qui prétendent le contraire ne connaissent rien à la question. » En fait, les responsables de l'Etat français qui ont pris la responsabilité politique d'ordonner et assumer les massacres de Sétif et du Constantinois sont probablement d'autant mieux identifiables que le crime colonial - malgré ou à cause de son ampleur - doit alors rester le plus confidentiel possible. Dans son livre Echos d'Alger-1940-1945, Alain de Sérigny, chaud partisan de l'Algérie française, cite Pierre Gazagne, secrétaire général du gouvernement d'Algérie qui déclare au soir du 8 mai 1945 : « Gardons-nous d'affoler les populations. Continuons comme si rien ne se passait. Mais instaurons une censure absolument complète qui n'épargnera même pas les télégrammes diplomatiques. Surveillons les téléphones ; coupons les communications ou brouillons-les lorsque ce sera nécessaire. » C'est édifiant. En reconnaissant les faits et en les qualifiant de « tragédie inexcusable », les autorités françaises, par la voix de Hubert Colin de Verdière, ambassadeur de France à Alger, ont levé un tabou sur un crime colonial et sur la responsabilité de l'Etat français à l'époque. C'est un premier pas officiel positif qu'il fallait faire. Il faudra maintenant que la France reconnaisse solennellement le tort fait à la nation algérienne par le colonialisme, la répression et la guerre. Il est temps, pour tout le monde, de traiter du colonialisme pour ce qu'il fut. Sans rien masquer de sa violence intrinsèque et de son inhumanité. Le PCF regarde aujourd'hui certains aspects de son combat anticolonial avec un œil critique. Tous les courants politiques français devraient interroger leurs responsabilités. La mémoire et le jugement ne peuvent se passer de la vérité. Jacques Fath Secrétaire de la commission des relations internationales du PCF