Voici une grande ville africaine Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, qui ne ressemble plus à sa réputation de ville paisible et intacte. Deux cinéastes burkinabés ont présenté à Namur deux documentaires très dissemblables mais avec des preuves à l'appui que Ouaga n'est plus Ouaga. Ouaga Saga, de Dani Kouyaté, nous amène dans un quartier démuni où un pourcentage assez élevé de délinquants se livre sans scrupules à des arnaques, des rapines, des astuces et font régner le désordre pour ramasser de l'argent à tout prix. Qui ne rêve pas à Ouaga d'avoir une mobylette, alors qu'une marque japonaise étale ses produits au coin de la rue ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, Dani Kouyaté, fils du grand acteur shakespearien Sotigui Kouyaté, ne se prive pas de filmer des portraits plutôt joyeux de ces gens et de la situation. Il a l'air de dire : on n'y peut rien, c'est la lutte pour la survie. Ce ne sont pas ces malfrats qu'il faut dénoncer, mais c'est la société qui est mal faite. Il y a trop de tentations et leurs poches sont vides... Tout autre chose, Borry Bana, le destin fatal, de Norbert Zongo, présenté par son coréalisateur Abdoulaye Diallo, rapporte un autre fait gravissime qui s'est déroulé à Ouaga. Ce long documentaire, interdit au Burkina, évoque le meurtre du journaliste Norbert Zongo au mois de décembre 1998. Les enquêtes, commissions, expertises et contre-expertises se sont succédé depuis plus de cinq ans. Les amis et proches de Norbert Zongo donnent des preuves dans le film que c'est un assassinat politique. La police prétend que c'est un accident de la route. Au cours d'une cérémonie de la fête nationale, le chef de l'Etat Blaise Compaoré a demandé pardon à la famille et offert de l'argent pour acheter son oubli. La famille du journaliste, directeur du quotidien d'opposition L'Indépendant, a refusé à la fois le pardon et l'argent. Tout comme les innombrables associations de la société civile, profondément traumatisées par la brutale disparition de Zongo, les proches de Zongo veulent savoir la vérité. On en est là pour le moment. La parole de la police contre la parole des amis de Zongo, tous unanimement convaincus par la thèse de l'assassinat politique. Norbert Zongo, peu de temps avant sa mort, avait révélé dans son journal que c'est le propre frère du président qui était à l'origine d'un autre assassinat, celui du cuisiner de la présidence, accusé de vol. Ce documentaire, qui sera interdit aussi au prochain Fespaco, laisse en tout cas une impression de grande tristesse. Le Burkina aurait-il franchi une nouvelle étape vers un irrémédiable déchirement, comme la Côte d'Ivoire voisine ?