Très serein, sûr de lui, l'ancien PDG de Saidal a créé la surprise lors des auditions de jeudi au tribunal criminel de Blida, où se déroule le procès El Khalifa Bank depuis deux semaines. Poursuivi pour «corruption», «trafic d'influence» et «perception d'indus cadeaux», il affirme avoir «reçu un blâme du fonds de participation» parce qu'il avait refusé de placer les fonds de Saidal à la banque Khalifa. Il affirme qu'à l'épqoue, des directives émanant de ce fonds incitaient les chefs d'entreprises publiques à confier leur trésorerie à la banque Khalifa. Le témoignage de Ali Aoun a duré plus d'une heure. Il commence par rappeler les circonstances de sa nomination à la tête de Saidal. En 1995, le fonds de participation le désigne pour mener la mission de liquidation de l'entreprise, qui était en train de faire face à d'énormes difficultés. «Comme tout gestionnaire, j'ai commencé par faire un audit et j'ai constaté que l'entreprise avait un marché de 800 millions de dollars et une usine d'antibiotiques à Médéa. Ses deux points faibles étaient le management et l'organisation. J'ai dit à un responsable qu'elle était viable. Il m'a répondu que j'ai été désigné pour la liquider. A peine j'ai quitté son bureau, qu'il me rappelle pour me dire : ‘j'espère que vous pouvez réaliser ce que vous avez dit.' L'usine était à l'arrêt, l'entreprise cumulait un déficit de 120 millions de dinars. J'ai promis au responsable de redresser la situation avant la fin de l'année. J'ai négocié avec le CPA un crédit de 30 millions de francs français, pour la matière première, et de 500 millions de dinars pour les salaires des travailleurs. En 6 mois, la situation a été redressée et l'entreprise a pu faire un chiffre d'affaires de 2 millions de dollars», relate-t-il. Le juge l'interroge sur la convention entre la filiale Pharmal de Saidal et KRG Pharma de Abdelmoumen Khalifa. «Elle entre dans le cadre du développement de l'opération de façonnage pour fabriquer des médicaments pour les autres. MM. Benhamdine et Bakhti, deux grands pharmaciens, ont proposé à Pharmal de façonner des produits génériques utilisés dans la trithérapie des malades du sida, mais dommage que nous ne l'avons pas fait.» Le juge lui demande pourquoi et Aoun répond : «Ce médicament coûte à l'Etat 250 000 DA, alors que s'il était produit en Algérie, son coût aurait été de 5000 DA. Ce n'était pas une priorité. Dommage.» Le juge : «Aviez-vous acquis la licence ?» L'accusé : «Il est tombé dans le domaine public et KRG Pharma a eu un dossier technique en béton. Elle voulait importer la matière première, et la remettre à Saidal pour fabriquer le produit et deux ans après, cela deviendrait la propriété de Saidal. La convention stipule que KRG ramène le produit de base, procède à l'aménagement des lieux, avec des équipements de stérilisation de l'air d'un montant de 52 millions de dinars. Les deux directeurs généraux de Pharmal et de KRG Pharma ont signé la convention, alors que je me trouvais dans mon bureau. Les filiales de Saidal ont toutes une autonomie de gestion. A la fin de la cérémonie, le directeur général de Pharmal m'a dit que les responsables de la KRG Pharma voulaient me voir. Par politesse, je suis descendu pour les saluer.» Le juge : «Abdelmoumen était-il parmi eux ?» L'accusé : «Bien sûr. Je le connaissais quand il était pharmacien, puisque je le croisais dans les séminaires et les rencontres. Mais je ne savais pas qu'El Khalifa Bank lui appartenait jusqu'au jour où j'ai vu sa photo à la une du quotidien El Moudjahid.» Aoun raconte que durant ces quelques minutes de salutations dans la cour de Saidal, Abdelmoumen l'a invité au dîner qu'il comptait organiser le soir, dans sa villa située non loin de la Cour suprême, à Ben Aknoun. «Ce soir-là, j'avais un vol à prendre en direction de l'Allemagne pour négocier la fabrication de l'insuline. Je n'avais pas beaucoup de temps. Mes gardes se sont déplacés sur les lieux pour un repérage de sécurité, en raison des menaces qui pesaient sur moi. J'ai fait l'objet d'un attentat terroriste et j'y ai survécu miraculeusement. Je garde encore les séquelles à ce jour. Raison pour laquelle ma sécurité a été renforcée. J'ai eu juste le temps d'aller saluer l'équipe.» Le juge : «Qu'en est-il du projet ?» Aoun déclare que l'usine a été achevée début 2003, mais rien de plus, en raison de la débâcle du groupe Khalifa. A la question de savoir si Saidal a fait des placements chez El Khalifa Bank, Aoun lance : «Jamais.» Et de préciser : «C'est uniquement les comptes d'exploitation des unités qui ont été domiciliés chez El Khalifa Bank. Pourquoi ? Parce que plus de 60% des grossistes privés avec lesquels nous travaillons ont des comptes à la banque Khalifa en raison des facilités de paiement que l'établissement leur accordait. En 2000, Saidal était dans une situation très difficile, parce que les paiements accusaient des retards énormes au niveau des banques publiques. Nous avions jugé plus rentable d'ouvrir des comptes à la banque Khalifa pour escompter plus rapidement nos comptes.» Très affecté, Aoun se laisse aller : «J'ai eu droit à un blâme du responsable du fonds de participation pour ne pas avoir déposé l'argent de Saidal. Il y a eu des directives du Fonds sommant les responsables de placer leur trésorerie à El Khalifa Bank. J'ai répondu à ce responsable, par écrit, que je ne pouvais pas transférer un dépôt, bien rémunéré au CPA, qui nous a aidés durant les moments de crise, pour aller le placer ailleurs. Pourquoi changer ? »«Et la convention ?» lui demande le juge. L'accusé affirme l'avoir fait dans l'intérêt de l'Algérie : «J'ai été rappelé à l'ordre par le président du holding, et qualifié de rebelle, mais j'ai dit non.» Le responsable visé par Aoun est Abdelmadjid Attar, qui avait occupé, note Aoun, le poste de ministre de l'Hydraulique, mais aussi celui de PDG de Sonatrach. Le juge se sent obligé d'apporter la précision : «Il n'est pas dit dans la directive qu'il faut placer l'argent chez El Khalifa Bank, mais de varier les dépôts…» Très convaincant, Aoune répond : «Nous étions 3 sur les 25 entreprises qui dépendaient du holding à avoir refusé de placer les fonds des entreprises chez El Khalifa Bank. Les fonds de Saidal qui étaient dans les comptes d'exploitation ont tous été récupérés par un transfert de créance, d'un montant de 59 millions de dinars. A la fin de 2004, j'ai demandé au directeur des finances et de la comptabilité et aux directeurs des unités d'exiger de tous les clients le paiement sous peine de suspension des contrats. Résultat : ils ont tous payé.» Le juge : «Khalifa vous a envoyé une Citroën, C5.» Et l'accusé de lancer : «L'énigme» et de poursuivre : «Oui, elle a été envoyée à mon nom, mais elle est sortie de la maison Citroën, au nom de Khalifa Bank, le jour même, elle a été mise au nom de Aoun Saidal.» Le juge lui demande ce qu'il pense de ce qui est présenté comme «mesure d'accompagnement» et Aoun souligne qu'il ne l'a su que 6 mois après : «J'avais deux voitures à ma disposition. Je n'avais pas besoin d'une autre. Ils l'ont envoyée comme mesure d'accompagnement.» Le juge : «Mais cette clause n'est pas mentionnée dans la convention de partenariat…» L'accusé : «Je ne l'ai su que 6 mois après. Cela fait partie des problèmes liés à ce que je fais à Saidal. Après la tentative d'attentat, les grèves, c'était au tour de la C5. Un ministre m'a même dit : ‘Que faites-vous à Saidal ?' Six mois après, le chef de parc m'a demandé une photo pour établir la carte grise, Il m'a dit qu'elle était à mon nom et j'ai compris que c'était un piège. Je l'ai laissée au parc de l'unité.» Le juge : «N'avez-vous jamais su qu'elle était à votre nom ?» L'accusé : «Je n'étais pas le chef de parc pour le savoir.» Le juge : «S'ils avaient voulu vous acheter, ils vous auraient remis le véhicule le jour même… » L'accusé : «Ils ne voulaient pas me corrompre. C'est un groupe de Saidal, qui a dû le faire avec la complicité de certains. Mon poste était très convoité. En février 2003, j'en avais parlé à M. Djellab et il m'a dit que je pouvais régler le problème avec le liquidateur.» Le juge : «Pourquoi avoir attendu 2 ans après ?» L'accusé : «Après Khalifa est partie et Djellab aussi.» Aoun est persuadé que cette voiture lui a été envoyée pour le pousser vers la porte de sortie : «C'est après le procès de 2007 que j'ai compris. Le groupe dont j'ai parlé a poussé le conseil d'administration à me faire un retrait de confiance à cause de cette affaire….» En ce qui concerne l'usine avec KRG Pharma, Aoun affirme que Saidal l'a «gagnée» et que l'histoire de la C5 a été peut-être une erreur, qui a entaché sa réputation. Il l'a néanmoins remboursée auprès du liquidateur, en payant cash 1,4 million de dinars plus les intérêts : «J'ai dû brader ma BMW pour me débarrasser de cette affaire ; après ils nous ont demandé de rembourser l'usine, mais je m'y suis opposé. En 2008, je suis parti, pour rejoindre le groupe Cevital, et actuellement je suis avec le groupe Haddad.» Le juge : «Une personnalité telle que vous peut-elle être achetée avec une C5 ? » Aoun : «Vous avez dû remarquer que je ne coûte pas cher. A l'époque, j'étais occupé par l'usine d'insuline. Je ne voyais rien d'autre. Et que pourrais-je donner à Khalifa en contrepartie ? Ce sont eux qui ont profité de la réputation de Saidal.» Interrogé sur la carte magnétique MasterCard, Aoun déclare : «C'est ma carte. J'ai un compte devise de 8000 dollars, provenant de mes frais de mission à l'étranger, qui ont été d'ailleurs convertis et remboursés en dinars, par le liquidateur et que je n'ai même pas voulu prendre.» Lorsque le juge lui parle de la carte de soins au Centre de thalassothérapie de Sidi Fredj, Aoun s'offusque : «Pensez-vous qu'à l'époque, l'hôtel était fréquentable ? Je préfère aller à Hammam Salhine, que d'aller la-bas.» Et lorsque le procureur général lui demande pourquoi n'être pas passé par le conseil d'administration, l'ancien PDG de Saidal lance : «Ce conseil était une catastrophe. 36 ans de carrière entachés par une histoire de voiture.» Me Lezzar, avocat de Abdelmoumen Khalifa, lui demande si en tant que gestionnaire, il avait eu à gérer la situation d'El Khalifa Bank à la place de Djellab, qu'aurait-il fait ? Le procureur général : «Votre question est hors sujet». Le président demande à l'accusé de répondre. «Ce n'est pas la même activité, mais j'aurais peut- être pris plus de temps.» Le procureur général réagit : «Abdelmoumen est poursuivi pour banqueroute frauduleuse …»