La violence dans les établissements scolaires prend des formes de plus en plus agressives et dangereuses. Les enseignants avouent leur désarroi et leur impuissance devant le phénomène et en appellent à une réaction appropriée des parents d'élèves et des autorités. Des petits truands sèment la panique dans nos écoles, s'alarme la communauté scolaire qui a du mal à assumer ce constat. Tabou ou indifférence, la violence déstabilise la scolarité de nos enfants. Les élèves et les enseignants qui subissent le diktat d'élèves violents et indisciplinés crient au secours. Les chefs des établissements scolaires ont du mal à relayer cet appel. Ce malaise vécu dans l'enceinte scolaire sera-t-il considéré encore longtemps comme étant des «cas isolés». Il y a quelques jours, un lycéen a été assassiné par un camarade de classe à Bousfer (Oran) pour une tenue de sport. Des établissements scolaires sont également saccagés par des jeunes qui sont censés former l'élite de demain ! Dans le moyen et le secondaire, les actes de violence sont souvent dénoncés. Les enseignants ne mâchent pas leurs mots. «Nous avons de plus en plus d'élèves difficiles à maîtriser. La situation est telle que même leurs parents n'y peuvent rien.» Comme Mme Zineb Belhamel, enseignante dans le secondaire, ils sont nombreux les enseignants qui ne savent plus comment s'y prendre avec des adolescents et des jeunes hommes (il y a même des élèves de 20 ans !) en constante «rébellion». La journée de l'enseignant se résume ainsi à essayer de faire cohabiter des enfants «sans aucun objectif», avec d'autres qui essayent de faire des efforts pour suivre les cours et obtenir de bons résultats. Parmi les «misères» faites aux enseignants, Mme Belhamel raconte le cas d'un groupe d'élèves qui «viennent tous les jours en classe complètement bourrés (drogués) après avoir passé les trois quarts de leurs nuits dehors. Ils arrivent en classe et exigent de ne pas être dérangés dans leur sommeil». Cette enseignante a essayé toutes les méthodes de dialogue, en vain, et les démarches auprès de l'administration n'aboutissent pas à grand-chose. «Les élèves haussent la voix, menacent et n'hésitent pas à passer à tabac leurs camarades ou casser du matériel en cas de résistance des élèves ou de leurs enseignants», expliquent d'autres enseignants ayant eu à subir ce genre de comportement. Si un enseignent tente de réagir en saisissant les responsables de l'administration, l'élève est, au mieux, traduit devant le conseil de discipline. A la fin de l'année, les élèves indisciplinés sont généralement exclus des établissements et repris par d'autres sur un simple coup de téléphone, et là, un enseignant est soulagé d'un fardeau et le martyre commence pour un autre dans un autre établissement. Les professeurs dénoncent à ce propos l'inertie des responsables des établissements scolaires «qui évitent à tout prix que la réputation de leur lycée soit entachée par un rapport accablant la discipline des élèves», dénoncent les éducateurs. Selon une enseignante de littérature arabe au lycée Abdallah Ibn Abbès a Alger, «un élève ayant failli rendre aveugle sa camarade de classe et ayant brisé une fenêtre risque, au pire, d'être traîné devant le conseil de discipline. Les responsables du lycée estiment qu'il vaut mieux patienter. C'est presque la fin de l'année et de toutes les façons cet élève n'ira pas loin après la délivrance des résultats du dernier trimestre». A en croire les enseignants, la pression que font peser ces élèves violents est vécue exclusivement par les professeurs et les autres élèves qui veulent travailler. Certains se transforment en «petits monstres», formant ainsi de véritables gangs à l'intérieur des lycées. Les membres de ces gangs sont très solidaires et le montrent dès que l'un des leurs est inquiété par l'administration. Les élèves assidus qui ne veulent pas entrer dans cette organisation deviennent ainsi les souffre-douleur de ces camarades violents. Certains résistent, mais d'autres craquent et abandonnent, nous explique-t-on également. «Un élève qui courtisait une camarade du lycée n'a pas hésité à faire appel à ses copains tous armés de couteaux pour effrayer la jeune fille. Cela s'est déroulé dans un établissement de la capitale», assure une enseignant qui relate également les déboires d'une jeune judokate qui a brisé le bras à plusieurs de ses camarades… par plaisanterie. 1000 cas d'agressions Après le décès du jeune lycéen à Oran et les cas de lycées saccagés, le Conseil des lycées d'Algérie (CLA) a rendu publique une étude sur le phénomène. «55% des cas de violences physiques ou verbales sont enregistrés au sein-même des établissements, contre 45% dans l'espace immédiat des écoles», estiment les auteurs de cette étude. 74% des cas ont été enregistrés en milieu urbain, contre 26% en milieu rural. «Une tendance qui serait notamment liée à l'environnement social, à la situation démographique, ainsi qu'aux contextes économique et culturel dans lesquels évoluent ces élèves et professionnels de l'enseignement. Face à un tel constat, nul ne sera surpris d'apprendre qu'Alger et Oran détiennent le pourcentage le plus important de violences scolaires, avec 20% des cas enregistrés», note l'analyse du CLA, qui révèle qu'au total 1000 cas d'agressions verbales ou physiques ayant entraîné des blessures, voire même la mort, ont été enregistrés entre septembre 2014 et mai 2015. Selon cette étude, l'école publique se présente comme étant «dépréciée par les parents, contestée par les élèves, critiquée même par les enseignants, dénigrée par la société, mise sur la sellette par les médias». L'environnement immédiat du lycée est investi par les dealers, s'alarme le CLA, qui dénonce l'attitude des parents démissionnaires de leur rôle réclamant uniquement de bons résultats. Le syndicat note également que c'est en période d'examen que la violence bat son plein. La fraude est ainsi devenue le chemin le plus court vers la réussite. «Avec un programme chargé et face à des modes d'examen qui favorisent plutôt la mémorisation, et ce, dans une société qui ne récompense pas le mérite et les méritants, les élèves recourent à la triche.» Les enseignants et les surveillants sont souvent victimes de leurs «prises». A la fin des épreuves, ils se font agresser à la sortie des établissements par les élèves qu'ils ont dénoncés. L'école publique cesse alors non seulement d'exercer ses effets éducatifs, cognitifs, psychopédagogiques et civiques, mais elle renonce aussi à son rôle. Adieu l'égalité des chances : «La production, ou plutôt la reproduction de l'élite se fait en tout cas ailleurs», préviennent les auteurs de cette étude.