59 ans après la grève des étudiants du 19 mai 1956, du mythe révolutionnaire à la démission collective de la communauté universitaire d'aujourd'hui. 19 mai 1956-19 mai 2015. L'Algérie, notamment la communauté universitaire, fêtera, aujourd'hui, une date historique : le 59e anniversaire de la grève illimitée lancée par l'Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugéma) en réponse à un appel du Front de libération nationale (FLN) pour lutter contre l'ordre colonial. Des étudiants et des lycéens, engagés politiquement, ont répondu massivement à l'appel de l'Ugéma à déserter les bancs des universités et à rejoindre les rangs de l'ALN et sa structure politique, le FLN. Conscients de la justesse de la guerre de Libération nationale et refusant d'être «complices des accusations ignobles dont était l'objet l'ALN», les jeunes étudiants de l'époque ont démontré qu'ils avaient un degré élevé de conscience politique et d'engagement nationaliste. Ils savaient que les diplômes ne valent rien sans la liberté. Ils étaient conscients aussi qu'abandonner les leurs en se soumettant à l'ordre colonial serait une lâcheté. Une prise de conscience bien résumée dans l'appel à la grève lancé par l'Ugéma : «Effectivement, avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres ! A quoi donc serviraient-ils ces diplômes qu'on continue à nous offrir, pendant que notre peuple lutte héroïquement... Pour le monde qui nous observe, pour la nation qui nous appelle, pour le destin historique de notre pays, serions-nous des renégats ?» Ils ont choisi la bravoure aux diplômes que l'administration coloniale distribuait au compte-gouttes aux «indigènes». Avec ce geste, les étudiants de l'époque ont donné l'exemple à la génération post-indépendance. Cet héritage a longtemps été entretenu par la communauté universitaire algérienne. Au temps du parti unique, l'université a été un vivier du savoir et un lieu où s'affrontaient les idées et les projets de société. Les universitaires étaient, de longues années après l'indépendance, des guides et des meneurs de la société. Hier berceau des idées progressistes Engagés dans l'édification du pays, les étudiants étaient toujours à l'avant-garde pour mener «les différentes révolutions» lancées durant les années 1960 et 1970 par le pouvoir. Mais pas seulement. L'université a été aussi le berceau des idées progressistes, gauchistes et même islamistes. Malgré la répression et la censure imposée par le parti unique, les étudiants imposaient, à partir des franchises universitaires, des revendications de liberté, de droits de l'homme et d'identité. C'est d'ailleurs depuis l'université qu'a commencé, en avril 1980, le premier «printemps algérien» : le printemps berbère en l'occurrence, qui a été violemment réprimé. Mais il fut le premier sillon de la lutte démocratique tracé par l'université. D'autres mouvements ont également éclaté durant les années 1980. L'université formait aussi des élites politiques et des intellectuels qui encadraient la société et ont contribué aux changements du système après les événements d'Octobre 1988. Mais la décennie noire est passée par là. Et le déclin de l'université commence à partir des années 1990. Plusieurs facteurs, dont la mauvaise qualité des réformes engagées, ont accompagné cette chute libre qui se termine, aujourd'hui, par sa dévitalisation totale. Le constat est amer. Actuellement, l'étudiant, à quelques exceptions près, n'est plus engagé politiquement et ne reconnaît même plus l'héritage que lui ont légué ses aînés. Occupé par autre chose, dont le souci du chômage qui le guette à la sortie de l'université, l'étudiant n'occupe plus aucun rôle dans son environnement immédiat. Et l'université n'influence guère la société, mais subit ses mutations…