Ainsi donc, l'Europe a opté pour la manière forte afin d'empêcher l'immigration clandestine. Du moins l'espère-t-elle, ou encore le croit-elle, en raison des réserves, ou même des franches oppositions que son approche a suscitées. Effectivement, l'Union européenne (UE) a mis sur pied, lundi, une opération navale sans précédent, tendant à lutter contre ces fameux vendeurs de rêves, mais en réalité, des gens qui croient avoir trouvé le bon filon, et qui, doit-on souligner, constituent le dernier maillon d'une longue chaîne suscitée et alimentée par la détresse humaine. Là est le débat, même s'il ne s'agit en aucun cas d'absoudre ces organisateurs de voyages vers la mort. On ne connaîtra jamais le nombre exact de ceux qui ont pris un tel risque et n'ont jamais achevé leur traversée, mais on les compte par milliers. Et l'Europe a décidé de mettre le holà en ciblant les points de départ constitués aujourd'hui par des pays en guerre comme la Libye. L'opération militaire «doit rendre impossible, pour les organisations criminelles, de réemployer les instruments qu'elles utilisent pour faire mourir des personnes en mer», a martelé la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini. Cette mission, baptisée «EU Navfor Med», va déployer des bâtiments de guerre et des avions de surveillance des armées européennes au large de la Libye, devenue la principale plateforme du trafic. Elle requiert un accord des Nations unies, ce qui n'est pas acquis, le secrétaire général de cette organisation ayant déjà fait savoir, il y a un mois, que le recours à la force n'est pas une solution à cette tragédie, disant préférer un encouragement à l'immigration légale comme solution globale. Alors que l'UE avait chargé, dès le mois d'avril dernier, Mme Federica Mogherini de chercher un mandat de l'ONU, Ban Ki-moon affirmait qu'«une approche globale et cruciale qui prenne en compte les racines du problème, la sécurité et les droits humains des migrants et des réfugiés, comme avoir des canaux légaux et réguliers d'immigration». En quoi consiste cette approche globale pourtant esquissée il y a des décennies à travers cette aide au développement de l'Afrique notamment, et qui n'a jamais atteint le niveau souhaité, c'est-à-dire 1% du PIB qui aurait permis aux populations de se fixer localement ? Selon l'OCDE, cette fameuse aide n'a, en réalité, représenté que 0,29% de ce même PIB des pays riches. La crise obligera à resserrer davantage les cordons de la bourse, et revoir certains engagements, comme ce fameux partenariat qui aurait croyait-on, substitué le commerce à l'aide. Des économies ont été détruites, avec la politique des quotas et des subventions que seuls les pays riches pouvaient consentir. Ce qui se produit actuellement ne devrait pas étonner. C'est la conjonction de plusieurs facteurs, des guerres notamment, tous alimentant le désespoir. Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 34 500 migrants sont arrivés en Italie depuis le début de l'année et quelque 1770 sont morts ou ont disparu en mer, soit plus de la moitié des 3300 morts enregistrés en 2014. Des chiffres qui situent l'ampleur d'un phénomène sans jamais l'appréhender dans ses dimensions réelles, car la simple immigration est vécue comme une rupture. Qu'en est-il alors de celle qui ne l'est pas et expose conséquemment son auteur à des risques parfois majeurs, jusqu'au péril de sa vie ? Cibler les ports d'embarquement après avoir tenté d'en faire des postes avancés dans le contrôle de l'immigration clandestine, c'est véritablement le dernier maillon d'une longue chaîne. Et sans la moindre garantie, s'agissant d'une simple opération de police, alors que la solution est fondamentalement politique. Car il faut redonner espoir à ces populations.