Même dans ses aspects les plus banals, sinon les plus dérisoires, la vie est toujours pleine d'enseignements. Mais elle n'est jamais plus magistrale que dans la confrontation avec sa négation suprême, soit la mort. Même lorsque l'on est préparé à son inéluctable avènement – et on doit l'être –, elle demeure toujours surprenante, étonnante et finalement brusque. C'est ce qui a sans doute fait écrire au grand poète Paul Valéry cette pensée : «La mort est une surprise que fait l'inconcevable au concevable». Toute l'expression littéraire et artistique de tous les temps et de tous les lieux porte en creux cette question et il n'est pas d'écrivain, de peintre ou de musicien digne de ce nom qui ne l'ait abordée, d'une manière ou d'une autre, souvent ou parfois. Le père génial de Don Quichotte de la Manche, Miguel de Cervantès, que les épreuves avaient endurci au point de l'armer d'un enthousiasme justement à toute épreuve, affirmait : «Tout est bon dans la vie, même la mort». Il y a dans sa formulation très sérieuse une pointe de plaisanterie qui vient nous rappeler combien «l'humour» est, du point de vue de sa construction consonantique, ressemblant à ces deux extrêmes que sont «l'amour» et «la mort». Depuis l'Antiquité l'homme a construit sa culture par rapport à sa finitude. Le grand philosophe grec, Epictète, qui fut fils d'esclave et lui-même esclave, avait rejeté l'asservissement funèbre, écrivant dans ses fameux Entretiens : «Ne sais-tu pas que la source de toutes les misères de l'homme, ce n'est pas la mort, mais la crainte de la mort ?». A cette crainte, sans doute injustifiée mais réelle, les grandes religions ont apporté la réponse d'une nouvelle vie dans l'au-delà et quoi de plus fort en la matière que le hadith prophétique qui professe : «Œuvre dans ta vie comme si tu vivras éternellement, et œuvre pour l'au-delà comme si tu devais mourir demain». C'est donc le sens et la qualité que l'on donnerait à sa vie qui permettrait à l'homme de se réaliser et de dépasser son angoisse existentielle. Abraham Lincoln, qui mourut assassiné, avait eu le temps d'y penser, laissant cette phrase édifiante : «Ce qui compte, ce ne sont pas les années qu'il y a eu dans la vie mais la vie qu'il y a eu dans les années». Quant à l'adage (en fait un écrit de l'écrivain Edmond Haraucourt) qui veut que «partir, c'est mourir un peu», il nous signifie a contrario que mourir, ce n'est que partir un peu. En effet, chaque disparu se prolonge à travers les vivants par son souvenir et la portée de ses actes et l'on ne disparaît vraiment qu'en étant privé de cet écho dans la vie. Dans cette chronique imposée par des circonstances personnelles, j'ai pensé à cette phrase de Roland Barthes, ce maître des signes qui affirmait que «tout refus du langage est une mort». Oui, il y a pires morts que la mort physique : celles de la liberté, de l'émotion, de l'intelligence, du rire et de l'étonnement... Allez, la vie continue !