Quand je pense à lui, le premier mot qui me vient à l'esprit est : quelle perte ! Mais quelle perte ! Mourir à 46 ans à peine alors qu'on essaime la joie et le bien-être là où on passe, c'en est si injuste qu'on a envie de... de... ? Restons calmes. De se dire, faute de mieux, que c'est inhumain ! Oui, lecteurs sûrement on pense la même chose : il y a tant de crétins qui nous pourrissent la vie et qui sont, eux, plus forts que la mort, alors que lui, Lamine, la douceur même, la gentillesse même, l'amitié même, la fraternité même a été fauché en plein printemps. La mort s'amuse. Elle ne fait qu'à sa tête. Et comme elle n'a pas de tête, on imagine les dégâts. La douleur de la mort de Lamine est toujours là. Présente. Et croyez-moi, nul philosophe ne nous a consolé de sa perte. Ni Epictète, ni Marc Aurèle, ni même Sénèque. Ils nous ont juste rappelé, comme une piqûre, que tout est finitude. C'était un type bien, un homme qu'on était heureux d'avoir pour ami. Il appartenait à cette race si rare des vrais beaux parleurs qui ont des silences tout aussi beaux. Il savait d'une façon innée qu'il n'y a pas de belles paroles si elles ne sont pas partagées. C'est lui qui m'a fait connaître la chanson Elsa d'Aragon chantée par Léo Ferré : “Suffit-il donc que tu paraisses... Elsa mon amour, ma jeunesse" Cette chanson ferait aimer l'amour à un bourreau au cœur sec. C'est lui qui m'a fait découvrir Graeme Allwright et sa fameuse chanson : “Il faut que je m'en aille" Je l'entends me fredonner : “Le temps est loin de nos vingt ans... des coups de poings, des coups de sang, mais qu'à cela ne tienne ce n'est pas fini on peut chanter quand le verre est bien rempli...buvons encore une dernière fois à l'amitié, l'amour, la joie, on a fêté nos retrouvailles, ça me fait de la peine mais il faut que je m'en aille." J'avais alors vingt ans et cette ballade a été l'hymne de notre jeunesse. On la chantait sous Boumediène dans une Algérie fermée au bonheur. Et grâce à elle, on échappait à l'encerclement, on faisait le pied de nez à la répression. Lamine aimait tout : les hommes, les femmes, les animaux et même les poissons. Il les aimait tant et si bien qu'il a lancé avec quelques amis une revue dédiée aux poissons ! Et comme ce n'était pas assez pour assouvir sa passion, il s'est mis à fabriquer des aquariums, juste pour le plaisir. Vous imaginez les trésors de patience et d'adresse pour monter un aquarium ? Et quand il le terminait, le remplissait d'eau, arrive alors le plus beau moment : celui des petits poissons qu'il mettait un à un dans l'aquarium avec la tendresse d'une mère poule. J'ai toujours pensé que personne n'est irremplaçable. Depuis Lamine, je sais que c'est faux. J'ai envie de dire à la mort : “Rends-nous Lamine, juste quelques instants..." STP la mort, juste encore quelques instants de bonheur... H. G. [email protected]