Le secrétaire général du ministère des Finances et les membres de la commission bancaire se sont succédé hier, devant le tribunal criminel de Blida, pour revenir sur les raisons et les circonstances de la mise en liquidation d'El Khalifa Bank. L'absence de sanction en dépit des graves violations de la loi dès 2000 est expliquée tantôt par la non-habilitation des inspecteurs de la Banque d'Algérie, dans les constats des infractions, tantôt par la vacance de certains sièges de la commission bancaire. Tous les témoins s'accordent à dire que la liquidation était inévitable vu l'ampleur du déséquilibre financier d'El Khalifa Bank, qualifié de véritable tsunami. Ils ont fait état de dissimulation de données comptables et de la fuite de capitaux. Ancien secrétaire général du ministère des Finances, Abdelkrim Lekhal comparaissait hier comme témoin, devant le tribunal criminel près la cour de Blida dans le cadre du procès El Khalifa Bank. Il affirme avoir reçu le rapport de la commission bancaire transmis par le vice-gouverneur, M. Touati, qu'il a remis au ministre, Mourad Medelci. «Pouvez-vous savoir s'il s'agit d'un rapport d'information ou s'il nécessite une prise en charge ?» lui demande le juge. «Le rapport devait être lu par le ministre, le seul habilité à dire s'il faut une prise en charge ou non», dit-il. Selon lui, ce rapport comportait en objet, la mention «Pour suites à prendre», alors que son contenu ne faisait pas référence aux infractions relatives au contrôle de change, et n'était pas accompagné des procès-verbaux y afférents. Lorsque Medelci a été remplacé par Terbeche, ce dernier a été interpellé par le chef de gouvernement sur ce dossier. «Il n'a pas retrouvé la copie du rapport au niveau de son cabinet. Il m'a demandé des informations avant de réclamer une autre copie au vice-gouverneur de la Banque d'Algérie.» M. Lakhel relève que le ministre a repris le dossier soumis d'ailleurs à l'étude par une commission composée de l'Inspection générale des finances (IGF) et des membres de la commission bancaire. «Il faut savoir qu'en matière de contrôle des banques, seules les infractions relatives au contrôle des changes sont constatées par des personnes dûment habilitées et la plainte n'est déposée que par le ministre des Finances. Comme les inspecteurs de la Banque d'Algérie n'étaient pas assermentés et désignés par arrêtés du ministère de la Justice, il a été fait appel aux inspecteurs de l'IGF, pour constater les faits et établir les PV d'infraction au contrôle de change, en attendant que la qualité soit obtenue par leurs collègues de la Banque d'Algérie.» Le juge : «Comment une telle défaillance leur a-t-elle échappé ?» Le témoin : «Je ne sais pas. Mais, il est certain que cette disposition se trouve dans la loi. Le ministre des Finances était le seul habilité à déposer une plainte même pour un simple constat de détention de devises à l'aéroport constaté par les douaniers.» Me Lezzar, avocat de Abdelmoumen Khalifa : «Vous aviez déclaré n'avoir pas reçu les PV de constat. Voulez-vous dire qu'il n'y a pas eu d'infraction ?» Le témoin : «Nous n'avions pas dit qu'il n'y a pas eu d'infraction, mais juste qu'il n'y avait pas les procès-verbaux de constat de celles-ci.» L'avocat affirme au témoin que la Banque d'Algérie ne réagit qu'après catastrophe, et lui demande si d'autres banques privées ont été épinglées pour les mêmes motifs. «Je ne me rappelle pas.» Me Lezzar : «Pourquoi le rapport évoque-t-il Khalifa Airways, alors que le contrôle concernait El Khalifa Bank ?» Le témoin : «Il est vrai que sur les 14 pages du rapport, 8 sont consacrées à Khalifa Airways. Les contrôleurs ont trouvé des factures de 45 millions de dollars, liées aux contrats de leasing qui n'étaient pas légaux, parce que non autorisés par la Banque d'Algérie. Les agents auraient saisi Khalifa par la suite, et celui-ci aurait remis quelques autorisations seulement, mais pas toutes. Mais sachez que la Banque d'Algérie est concernée par tout ce qui a trait au contrôle de change. Les dispositions de la monnaie et du crédit lui confèrent le droit de contrôler toutes les banques et prendre les mesures nécessaires.» «Khalifa a été reçu par le gouverneur et s'est engagé à redresser la situation» Le juge appelle Djamel Akhrouf, secrétaire général de la commission bancaire, dont le rôle est de veiller au respect de la réglementation bancaire. Le juge l'interroge sur les suites pénales qui auraient dû être prises dès les premiers rapports faisant état d'infractions. Akhrouf indique que la commission bancaire a informé, par un rapport détaillé, le parquet de Blida en juillet 2004, et précise qu'à propos des changements de statut faits par Khalifa sans autorisation de la Banque d'Algérie, ce «manquement» a été relevé par les inspecteurs. «Quelque temps après, Khalifa a été reçu par le gouverneur et s'est engagé à redresser la situation. Il l'a fait mais bien après les délais», précise-t-il. Le juge insiste pour comprendre pourquoi les mesures disciplinaires n'ont pas été prises en dépit des faits délictuels constatés. «En fait, c'est vrai qu'il y a eu des constats de violation de la loi et des règlements, mais la décision qui a été prise est d'aller encore dans le fond pour mieux préparer le dossier. D'ailleurs dès septembre 2002, les inspecteurs n'ont plus quitté la banque. De plus des dirigeants s'étaient engagés à prendre des mesures.» Le juge : «Ne pensez-vous pas que si des mesures disciplinaires avaient été prises dès les premiers rapports des inspecteurs, nous aurions évité la catastrophe ?» Le témoin ne trouve pas de réponse. Aux questions du procureur général sur les rapports d'inspection, il déclare : «Trois rapports sur les dix n'ont pas été adressés à la commission bancaire. Mais, le premier a été récupéré par la suite lors d'un état des lieux général, et les deux autres, ceux de l'agence de Blida et de Khalifa Airways, ne la concernaient pas.» Il explique que, légalement, la commission ne pouvait pas prendre de décision, en raison de la vacance de certains de ses membres. «Raison pour laquelle le dossier a été remis à l'inspection générale», révèle le témoin. Il confirme qu'aucune mesure disciplinaire prise par la commission bancaire n'a fait l'objet d'une plainte de Khalifa, auprès de la chambre administrative. Me Lezzar lui demande si la décision de retrait d'agrément a été notifiée à Khalifa. «La notification a été faite par l'huissier de justice qui s'est déplacé chez Khalifa. C'est Mme Khalifa Lakhdar Abdelaziz qui a accusé réception. Sa signature et la copie de sa carte d'identité se trouvent dans le dossier», répond Djamel Akhrouf. Me Lezzar : «Y a-t-il eu une demande de régularisation des modifications du statut, par les dirigeants de Khalifa ?» Le témoin : «La demande a été déposée bien après. Elle concernait une cession d'action, après le décès de Mme Khalifa.» Le juge lui précise qu'il s'agit des changements de dirigeants et non pas la cession des parts. Le témoin est formel. Il n'y a pas eu de demande. A propos du retrait éventuel d'agrément à une banque étrangère par la commission bancaire, l'ex-secrétaire général déclare : «Oui, il y en a eu une. Rayan Bank», précisant qu'elle a été épinglée pour des infractions de change. «La réalité comptable et juridique d'El Khalifa Bank était antiréglementaire» Le juge appelle le témoin Benomar Maachou, magistrat à la Cour suprême, membre de la commission bancaire. En parfait connaisseur de la procédure, il pèse à chaque fois les mots qu'il utilise et déclare au président qui l'interroge sur les réunions de la commission qu'il faut «différencier les réunions de travail et les sessions plénières de la commission qui doivent être présidées par le gouverneur ; celles dites disciplinaires se tiennent sous la présidence du vice-gouverneur». A l'époque, rappelle-t-il, les banques privées et les établissements financiers vivaient de grandes difficultés, citant Union Bank, CA Bank, BCIA. «Les contrôles se faisaient sur pièces à travers les déclarations des banques et sur place à travers des éléments de l'inspection générale de la Banque d'Algérie qui se déplaçaient au niveau des banques», précise-t-il. «Avez-vous reçu des cas de violation de la loi ?» demande le juge. «Il y a eu des écarts et des lettres de suite adressées à l'inspection générale. Le contrôle sur place suit généralement le contrôle sur pièces pour confirmer ou infirmer les déclarations de la banque. L'inspection était pratiquement tout le temps sur le terrain, parce qu'il y avait non seulement de fausses déclarations, mais aussi des transmission de données en retard», révèle le témoin. Le juge lui rappelle les propos qu'il a tenus lors de l'instruction, relatifs aux retards enregistrés dans la transmission des bilans par El Khalifa Bank. «Ces déclarations s'arrêtaient au niveau de l'inspection, mais vers la moitié de l'année 2002, nous avions été informés des retards et des violations de la réglementation. Lors de la première composante de la commission, le membre rapporteur travaillait directement avec l'inspection générale. Ces manquements et ces retards s'arrêtaient au niveau de cette direction, mais après, lorsqu'il y a eu la seconde composition, nous avons commencé à recevoir toutes les informations. Par exemple, les rapports des commissaires aux comptes parvenaient très en retard et les réunions des actionnaires faisaient l'objet de nombreux reports», répond Benomar Maachou. Le juge : «A quel moment les commissaires aux comptes doivent informer le procureur lorsqu'ils constatent des délits ?» Le témoin : «Du point de vue comptable, les commissaires aux comptes doivent retracer la véracité des bilans, qui doivent refléter le patrimoine. S'il y a des vérités comptables qui n'apparaissent pas dans ces bilans, qualifiées comme une dissimulation, ils doivent demander des explications aux dirigeants. Ces derniers sont sommés de donner la vérité aux actionnaires et à l'opinion. S'il n' y a pas de réponse, ils doivent rendre compte au ministère public.» «Est-ce qu'ils y a eu des cas de violations», demande le juge. Le témoin : «Il y a eu plusieurs types de qualifications, cela va de l'insuffisance à l'irrégularité, de l'anomalie jusqu'aux infractions. Les commissaires aux comptes avaient la possibilité de faire des réserves tout court ou suspensives.» Pour ce qui est des décisions prises par la commission bancaire, Benomar Maachou cite la suspension des transferts vers l'étranger, plus la délibération sur un contrôle intégrale de la banque. Il précise néanmoins qu'«il y a eu une période non couverte par la commission bancaire. C'était au moment où le mandat de 5 ans de cette commission avait expiré et la nouvelle composante, pour un nouveau mandat, n'avait pas été désignée. A cette période, il y a eu de sévères critiques à l'égard de cette situation. La désignation de l'administrateur n'était pas une mesure disciplinaire. Sa mission était de gérer la banque et de tenter de la remettre sur rails. A l'époque, aucun dirigeant n'était capable de venir avec des documents pour poursuivre la gestion de la banque, alors que les commissaires aux comptes avaient démissionné. La commission bancaire était saisie dès le moment où la direction des changes a fait état de nombreuses infractions, même si légalement la commission bancaire, ne pouvait pas se substituer aux autorités judiciaires». Le juge lui demande pourquoi la mission de l'administrateur n'a pas été limitée dans le temps. «Nous aurions pu le faire. Mais nous ne l'avons pas fait, y compris pour les autres établissements financiers, il fallait avoir une situation plus claire. Les choses étaient dans une confusions telles que nous ne pouvions pas imposer un délai», dit le témoin. «Pourquoi deux mois et demi ?» demande le magistrat. Le témoin : «Lorsque la situation réelle est apparue, la protection des déposants et la stabilité du système financier ne pouvaient être perdues de vue. Djellab a été installé dans un contexte d'émeute et d'atteinte à l'ordre public créées par les déposants et les créanciers d'El Khalifa Bank. Au vu de cela et au vu de ce que nous avons eu comme informations sur les filiales et participations, l'insolvabilité était devenue une réalité amère.» Le juge lui demande s'il y avait à l'époque une autre solution que la liquidation. Le témoin affirme : «Lorsque nous avons constaté la cessation de paiement, il y a eu la proposition de recapitalisation de cette banque qui n'a pas respecté les deux ratios de division de risque et de solvabilité. Nous avions convoqué les actionnaires pour demander de ramener des fonds pour refinancer la banque et redresser le compte d'ordre, mais ils n'étaient pas en mesure de le faire. Nous l'avions déjà fait avec d'autres dirigeants de banques qui étaient plus disponibles.» A la question de savoir pourquoi il n'y a pas eu le concours de l'Etat pour sauver la banque, Maachou a été catégorique : «Le gouverneur aurait pu faire un appel à la solidarité de place pour sauver la banque. Mais de ce point de vue, lorsque vous voulez aider quelqu'un, il faut qu'il vous présente sa situation de manière transparente afin que vous puissiez répondre à sa demande. Or, la réalité comptable et juridique d'El Khalifa Bank était complètement antiréglementaire. Si le gouverneur avait demandé aux banques de l'aider à recapitaliser une Khalifa, qui a des contentieux avec certaines d'entre elles, cela aurait été vraiment mal vu. Si un banquier prête à un commerçant pour résoudre une situation donnée et que ce dernier ne rembourse pas le crédit et ne règle rien, le banquier devient l'unique responsable. C'est ce qu'on appelle un crédit fautif. Nous étions dans le même cas. La situation d'El Khalifa Bank ne favorisait pas la solidarité bancaire. Cette solidarité ne peut être activée pour une banque qui a accordé des crédits sans dossier, sans garantie et sans respect du ratio de la division de risque. Le faire aurait été de l'irresponsabilité…» «La situation d'El Khalifa Bank ne favorisait pas la solidarité bancaire» Le juge : «Avant le retrait de l'agrément, les actionnaires ont-ils eu une possibilité de se défendre ?» Le témoin : «Il y a le principe du contradictoire et du droit de la défense. L'acte de grief est notifié par un huissier de justice et il est demandé des réponses, en tant que membre ou collectivement. Lorsqu'une procédure disciplinaire est déclenchée, nous prenons toutes les décisions pour que la procédure soit respectée. Nous avons attendu la réponse. Mais lorsque celle-ci n'a pas été envoyée, il y a eu la citation à comparaître. Il y a eu un dossier de base, dont une copie est remise à l'avocat pour répondre. L'audience se passe à huis clos. Maître Bergheul est venu pour défendre Omar Guellimi, nous demandant un report pour permettre à Khalifa d'y assister. Lorsque nous lui avons demandé s'il avait une procuration de Moumen, il a dit non. Nous avons refusé la demande sur la forme. L'audience s'est poursuivie, en présence de Lakhdar Khalifa et Omar Guellimi. Me Bergheul a dit que la décision n'avait pas été notifiée à son client, mais nous lui avons montré les accusés réception d'un des associés. Lors des débats, ils ont été confrontés aux actes de griefs. Le prononcé de la décision a été fait et un recours a été introduit au Conseil d'Etat par maîtres Kabtan et Chaoui, mais il a été rejeté et la décision de retrait d'agrément est devenue définitive. La mise en liquidation est intervenue en prolongement de la décision de retrait d'agrément.» Maître Meziane, avocat d'El Khalifa Bank en liquidation, l'interroge sur la mise en liquidation. Le témoin déclare : «C'est malheureux d'arriver à une décision de retrait d'agrément, mais il fallait le faire vu le déséquilibre financier qui était un véritable tsunami.» Me Meziane l'interroge sur les crédits accordés aux actionnaires et le témoin affirme : «Il est possible d'accorder des crédits aux dirigeants mais dans le respect de la procédure, si---non cela tombe sous le coup du délit d'abus de biens sociaux.» Le procureur général interroge Benomar Maachou sur le capital social d'El Khalifa Bank, estimé selon le magistrat, infiniment bas par rapport aux risques encourus. Le témoin : «C'est vrai qu'il y a eu deux augmentations très sensibles du capital des banques, sur proposition du Conseil de la monnaie et du crédit, pour atteindre aujourd'hui 12,5 milliards de dinars, pas uniquement à cause d'El Khalifa Bank, mais aussi parce qu'il y a eu d'autres banques privées mises en liquidation pour les mêmes motifs.» Il confirme que lors de l'audience consacrée, durant une semaine, au délibéré sur la décision de retrait d'agrément à El Khalifa Bank, «les deux actionnaires présents, Omar Guellimi et Lakhdar Khalifa, semblaient avoir la tête ailleurs. Lors du débat, seul Guellimi a parlé pour dire qu'il n'avait pas d'argent». Me Lezzar : «Pourquoi n'avoir pas accepté la recapitalisation par la vente de Khalifa Airways, proposée par Khalifa ?» Le témoin : «Les premiers concernés par la recapitalisation sont les actionnaires. Qui aurait empêché l'actionnaire principal d'aller vendre ce qu'il veut sans tomber sous le coup de blanchiment, pour recapitaliser la banque ? Je ne vais pas demander à quelqu'un d'ignorer la loi et de me mettre dans une hypothèse hypothétique.» L'avocat explique que la vente de Khalifa Airways a été proposée, mais le tribunal avait décidé d'entériner la liquidation. «En fait, beaucoup de choses n'ont été sues qu'une fois que le liquidateur a entamé son travail. Au début, on a même parlé de séquestre et non pas de liquidation. Il ne faut surtout pas oublier que la compagnie aérienne était une société unipersonnelle, qui a obtenu une autorisation du ministère des Transports certes, mais le juge qui a décidé de cette liquidation doit être très attentif au respect de la loi, pour éviter à sa décision d'être rejetée par un de ses collègues du Conseil d'Etat.» Les 118 milliards de dépôts publics inscrits au chapitre des dépôts privés L'avocat lui demande si le fait de geler les comptes de Khalifa Airways a fait perdre à celle-ci le paiement de 60% des prix de ses avions et fermé la porte à toute possibilité de ramener des fonds : «Si nous sommes passés de l'administration provisoire à la liquidation, ce n'est pas pour rien. De plus, pour les magistrats membres de cette commission, que nous étions, il est honteux qu'un juge de la chambre administrative puisse annuler les décisions que nous validons. Nous avions tout étudié. Il faut revenir à l'acte de griefs pour comprendre. Tous les rapports de contrôle ont été envoyés aux dirigeants de la banque afin qu'ils s'expliquent.» Abdelmoumen Khalifa, à travers son avocat Me Mejhouda, demande la parole, le procureur général conteste, mais le président acquiesce. Le procureur général demande au tribunal de prendre acte de cette décision, avant que la parole ne soit donnée à Khalifa. «Djellab a dit qu'il n'était pas porté sur la liste des administrateurs du ministère de la Justice, donc non assermenté. Est-ce que la nomination échappe au droit commercial ?» Maachou : «Le droit commercial est général, la commission bancaire relève du droit spécifique. On ne viole pas le droit commercial. On reconnaît l'activité bancaire. Si ces listes existent, comme c'est le cas pour les experts financiers, cela nous facilitera la tâche. Nous aurions aimé avoir des experts bancaires et nous espérons qu'on aura plus à prendre des décisions de liquidation. Mais les décisions de la commission bancaire sont susceptibles de recours au niveau du Conseil d'Etat. S'il y a contestation, pourquoi n'avoir pas saisi cette instance ? La commission est souveraine. Ne me faites pas de procès d'intention sur des décisions légales, sujettes au recours, dans un délais de 60 jours.» Le juge appelle Mohamed Rachid Benhouna, un autre magistrat membre de la commission bancaire, qui confirme tous les propos de son collègue Maachou. Il revient sur les missions d'inspection, notamment de janvier et de juin 2000, dont les rapports ne leur sont parvenus qu'en 2001. Il confirme que son épouse travaillait à El Khalifa Bank et que Khalifa a mis à sa disposition un véhicule que les gendarmes ont récupéré chez son fils, qui était à Khalifa Airways, en 2004. Brahim Benziada a, lui, été membre de la commission bancaire. Il avait pris part à l'inspection qui a constaté les infractions aux changes, ce qui a suscité la suspension des transferts à l'étranger. Il affirme avoir relevé un emballement durant le premier semestre 2002, un mouvement de dépôt à l'intérieur très important, et un transfert de fonds vers l'étranger aussi important, qui avait dépassé quatre fois les fonds propres de la banque. Me Lezzar : «Est-ce que la commission bancaire est une autorité de censure ou de décision ?» «C'est un débat juridique. S'il y a deux magistrats membres de la commission, c'est justement pour veiller au respect de la loi. La décision de suspension des transferts a été prise par la direction du contrôle des changes.» Le juge appelle Amar Namous, magistrat membre de la commission bancaire, qui travaillait avec Maachou. Il confirme tous les propos de ce dernier, sur les circonstances des missions de contrôle, qui ont abouti à la suspension des transferts vers l'étranger, et des mois plus tard à la liquidation, en raison des nombreuses infractions relevées lors des inspections. Il confirme aussi que le 14 novembre 2002, une lettre a été adressée au PDG Khalifa lui demandant de recapitaliser la banque et de redresser le compte d'ordre pour le ramener à 10%. Il explique : «Après l'installation de l'administrateur, des informations, que la commission ne possédait pas, lui sont parvenues, notamment sur les participations de Khalifa en Algérie et à l'étranger. Or, les derniers bilans transmis et les rapports font état de la mention ‘néant', en ce qui concerne les participations. Un groupe de travail a été installé pour identifier toutes les opérations dans lesquelles El Khalifa Bank est apparentée. Résultat : 54 milliards de dinars concernaient Khalifa Airways, et 5 milliards Khalifa Construction. Le solde du compte courant d'El Khalifa Bank, à la Banque d'Algérie, était de 28 milliards de dinars. Comme il y a eu des retraits de fonds rapides, ce montant est descendu à 2 milliards de dinars. Au 31 décembre 2002, le bilan provisoire, établi par des structures de Khalifa, a fait état de 159 milliards de dinars, logés dans le chapitre des dépôts du secteur privé. Les institutions publiques n'étaient pas comptabilisées. La situation au 30 septembre 2002 faisait état de dépôts avoisinant les 118 milliards de dinars, déclarés ‘‘secteur privé''. Parce que lorsqu'on dépose en tant que fonds public, il faut adosser les montants à des emplois réels sous forme de crédits, qui étaient, selon le bilan, d'à peine 10 milliards de dinars. En principe, on les retrouve dans le chapitre trésorerie. Or, en septembre 2002, celui-ci n'avait qu'à peine 36 milliards de dinars. Tout a été logé dans le compte d'ordre.» Le témoin explique, par les chiffres, comment les infractions et les délits ont été commis pour soustraire les fonds de la banque, «les dissimuler point de vue comptable et les transférer par la suite à l'étranger à travers des opérations qui n'ont pu être décelées qu'une fois le dossier d'apurement est revenu». Le témoin explique que l'administrateur a fait état de trois niveaux de recapitalisation, qui allaient de 5 milliards de dinars à 74 milliards de dinars. «Le soutien financier n'arrivait pas, et la banque souffrait d'indisponibilité de fonds. La Banque d'Algérie ne pouvait refinancer que sur la base de procès-verbaux d'engagement des actionnaires qui, eux, étaient défaillants», conclut-il. Il note qu'en 2000, il y a eu trois participations, en 2001 d'autres participations, et d'autres de plus de 50% en 2002, ce qui veut dire qu'il s'agissait de filiales. «Toutes ces participations devaient être mentionnées dans les bilans. Ce qui n'a pas été le cas. Il n'y a aucun document qui dit voici la société mère et les autres sociétés.» Pour ce qui est des transferts d'un montant de 15 millions d'euros, vers Khalifa TV en France, qui est de droit français, le témoin affirme : «C'est une facture de services qui doit, avant sa domiciliation, avoir une autorisation de la Banque d'Algérie. Dans le cas contraire, la banque a enfreint la législation.»