Trois heures seulement ont suffi à Mohamed Djellab pour démonter les arguments de Abdelmoumen Khalifa, développés durant deux jours, pour défendre la situation de sa banque. El Khalifa Bank avait 130 milliards de dinars, avec des dettes de l'ordre de 97 milliards de dinars, dont 60 milliards de dinars sont des créances de Khalifa Airways, et un ratio de solvabilité de -25. Pour sa remise sur rails, il lui fallait une recapitalisation de 70 milliards de dinars que les actionnaires étaient incapables de ramener… Le premier témoin appelé à la barre est Mohamed Djellab, administrateur d'El Khalifa Bank, nommé par la commission bancaire le 2 mars 2003. Il revient sur sa mission, surtout sur la situation dans laquelle il a trouvé El Khalifa Bank. «Ma première mission était de gérer la banque et d'essayer de la remettre sur rails, parce qu'au départ, l'intention de la mettre en liquidation n'était pas à l'ordre du jour», dit-il. Lors de son installation, il n'y avait aucun des gestionnaires reconnus par la Banque d'Algérie et la gestion était marquée par de nombreux dysfonctionnements. «Il n'y avait pas de reporting ni de comptabilité fiable et les bilans étaient à l'arrêt. En bref, la situation était trop difficile pour permettre sa remise sur rails. La banque avait une spécificité. Elle avait 170 milliards de dinars comme actifs, mais lorsque nous avons détaillé les chiffres, nous retrouvions à peu près 10 à 11 milliards de dinars de crédits, et un compte d'ordre avec un montant dépassant largement la norme. La majorité des créances des entités apparentées étaient logées dans le compte d'ordre, alors qu'elles devaient être inscrites au chapitre crédit. Et la quasi-totalité de ces montants étaient destinés à Khalifa Airways avec plus de 60 milliards de dinars, suivie par Khalifa Construction. Ce qui est anormal. Rien n'était comptabilisé. Tout était en suspens au compte d'ordre», dit-il, précisant que les crédits alloués aux filiales ne devraient pas dépasser les 20% du capital, c'est-à-dire que celles-ci ne pouvaient obtenir plus de 100 millions de dinars. Or, ajoute-t-il, «elles ont obtenu plus de 60% du capital». Selon Djellab, la comptabilité «n'était pas fiable» et les commissaires aux comptes avaient démissionné. Quelque temps après les premiers constats d'audit, affirme M. Djellab, les actionnaires d'El Khalifa Bank ont été convoqués pour une assemblée générale : «Nous leur avons expliqué la situation de la banque et on leur a dit que pour la remettre sur pied, il faut injecter 70 milliards de dinars dans le capital.» Le juge signale que Khalifa avait déclaré à l'audience avoir laissé une banque en bonne marche, mais Mohamed Djellab répond : «Il faut différencier entre les ressources et la trésorerie. La banque avait 130 milliards de dinars, avec des dettes de l'ordre de 97 milliards de dinars. Dans une banque tout va très vite lorsqu'il y a des problèmes. Après le retrait de l'autorisation du commerce extérieur, il y a eu des retraits massifs par les clients. Un mois avant que je ne sois installé, 12 milliards de dinars ont été retirés. Je n'ai trouvé que 20 milliards de dinars, qui ont permis le fonctionnement de la banque durant trois mois, jusqu'au retrait de son agrément. Les opérations de trésorerie étaient sous le contrôle de la commission bancaire. J'ai ramené des experts pour superviser les opérations», explique M. Djellab. Dès son arrivée, précise-t-il, il a constaté qu'une somme de 4 milliards de dinars «était cachée» à la caisse principale alors qu'elle devait être versée à la Banque d'Algérie. «Dans la même caisse, l'inspection a relevé un trou financier de 3,2 milliards de dinars, dont un milliard en devises. Cette inspection a été mise en place dès ma prise de fonctions, ce qui a permis de découvrir tous les dysfonctionnements et les écarts financiers. Nous avons essayé de donner à la banque une marge de manœuvre en mettant en place un dispositif permettant de limiter les retraits, et l'Etat avait même pris la décision de ne pas procéder aux retraits des fonds des entreprises publiques», souligne M. Djellab. Sur les propositions faites à la commission bancaire, il affirme que dans le rapport qu'il a présenté, il a fait état de deux options : «La première est recapitalisation de la banque. Il faut savoir que chaque banque a un capital qui doit être à la hauteur des risques et le ratio de solvabilité à l'époque était de 8%. Au fur et à mesure que nous débouclions les opérations, ce ratio a atteint les -20. Tout était déséquilibré. Pour redresser la situation, il fallait injecter au moins 70 milliards de dinars. C'est cela la recapitalisation que les actionnaires devaient faire, mais ils ont dit qu'ils n'avaient pas les moyens d'y procéder.» Le juge lui demande pourquoi l'Etat n'a pas aidé à cette recapitalisation. Djellab répond : «L'Etat n'avait pas le droit d'intervenir dans la gestion de la banque. La recapitalisation était du ressort des actionnaires. Est-ce que des opérateurs privés peuvent participer ? C'est possible. Mais ce sont les actionnaires qui doivent le faire.» Le juge lui demande si Khalifa a participé à cette situation en prenant la fuite. Djellab : «Khalifa est le premier concerné, mais les actionnaires ont également une responsabilité. Son absence est physique mais pas légale. Il pouvait ramener des fonds et les envoyer.» Il précise toutefois qu'«il faut que Moumen soit présent pour qu'il puisse voir la situation de la banque». Sur l'inspection qu'il a menée dès son installation, Djellab affirme qu'elles a permis de relever de nombreuses défaillances, mais aussi à récupérer des créances. Il cite, par exemple, l'opération d'achat des 29% des actions dans la Fiba Holding par El Khalifa Bank, qui n'apparaissait pas dans les comptes, mais qui, selon lui, a été décelée : «Grâce à M. Benouari, nous avons pu récupérer les 8 millions de dollars transférés.» Il cite également l'opération d'achat des stations de dessalement d'eau de mer, en disant qu'il a trouvé un document faisant état d'un montant transféré, mais après avoir contacté la société saoudienne, celle-ci a nié l'avoir reçu. «Nous nous sommes rendu compte que des montants ont été transférés par swift vers d'autres destinations, notamment vers la France. Nous avons pu établir également les listes des personnes ayant bénéficié des cartes de paiement en devises MasterCard et American Express. Nous avons découvert qu'après le retrait du commerce extérieur en novembre 2002, El Khalifa Bank a effectué de nombreux transferts par swift. Nous n'avons pas trouvé la personne qui s'occupait du swift. Avec l'aide d'un huissier de justice, nous avons pris l'appareil, qui était crashé (détérioré). Il a fallu ramener des experts de la Banque d'Algérie pour pouvoir récupérer la mémoire. Les crédits étaient octroyés sans aucune garantie ni dossier. Il n'y avait pas de comité de crédit, et la majorité des crédits étaient destinés aux filiales. A elle seule, Khalifa Aiways avait 60 milliards de dinars de créances auprès d'El Khalifa Bank, alors que l'agrément n'était toujours pas retiré. Ces crédits n'étaient pas inscrits dans les comptes de Khalifa à El Khalifa Bank ni sur le compte d'ordre, aucun dossier de crédit afférent à ce montant n'existe. N'importe quel client qui a une relation d'actionnaire ne peut avoir un crédit dépassant les 20% du capital. C'est de l'utilisation des ressources de la banque. De ce fait, tous les équilibres et les ratios de gestion sont devenus non conformes.» «J'ai trouvé 20 miliards de dinars qui m'ont permis de tenir 2 mois» Revenant sur la capitalisation, Djellab précise que dans un rapport préliminaire de la Banque d'Algérie, qui évoque une recapitalisation de 5 milliards de dinars, Khalifa avait proposé un avion et la Banque d'Algérie avait refusé «parce que l'appareil en question a été acheté par les fonds de la banque. La transaction devient impossible». Le président lui demande s'il était possible de remettre sur rails la banque et Djellab déclare que la situation globale de celle-ci a montré que ses capacités étaient très insuffisantes. «Avec 20 milliards de dinars de trésorerie, nous avons tenu difficilement durant deux mois. Raison pour laquelle nous avons réuni les actionnaires en présence d'un huissier de justice, pour leur présenter des pistes qu'ils pouvaient emprunter pour sortir la banque de la crise.» Pour lui, il n'y avait aucune solution, à part la recapitalisation ou la liquidation. «Mes avis ont été donnés à la commission bancaire et c'est à elle qu'incombait le choix par la suite.» Revenant sur les dysfonctionnements constatés, Djellab évoque le compte d'ordre qui, à l'époque, dit-il, ne devait pas dépasser 2 ou 3% du capital, avait atteint plus de 40%, alors qu'aujourd'hui la Banque d'Algérie l'a revu à 0,5%. Le juge rappelle que Khalifa affirme avoir laissé 97 milliards de dinars et Djellab répond : «Ce n'est pas vrai !» Pour lui, «ce qui est important, ce n'est pas que Khalifa, le premier responsable et principal actionnaire, soit parti ou pas, mais plutôt les actes de gestion des dirigeants de la banque. L'utilisation des fonds de celle-ci au profit de Khalifa Airways, des transfert sans contrepartie, un compte d'orde au rouge. C'est ce résultat qui compte.» A propos du dernier bilan en 2002, de la banque l'ex-adminstrateur affirme qu'il n'est pas conforme et confirme à Me Meziane, avocat d'El Khalifa Bank en liquidation, que 60% des 97 milliards de dinars du compte d'ordre constituaient des crédits alloués aux filiales. «L'endettement de 2002 montre que 10%, représentant 10 à 12 milliards de dinars, dont 50% en contentieux, concernent les petits clients, le reste était caché dans les comptes d'ordre.» A une question sur la proposition de recapitalisation proposée par «la foncière fiduciaire Mancau», une société étrangère, Djellab dit avoir reçu l'offre qui a fait l'objet d'un rapport transmis à la commission bancaire. «Ils ne sont plus revenus. Je pense qu'ils voulaient juste avoir des informations», souligne-t-il, avant de lancer : «C'est une banque d'actionariat privé. L'Etat n'a pas à intervenir.» Me Meziane : «Est-ce que l'Etat aurait pu recapitaliser sachant qu'il s'agit d'une banqueroute frauduleuse ?» Le témoin : «Il y a eu un problème qui s'est posé sur la place financière. Est-ce que c'est un danger ou non ? Est-ce que j'ai le droit de déposer l'argent du contribuable dans cette banque privée ? Ce sont des questions qui n'étaient pas à l'ordre du jour.» Le procureur général lui rappelle le taux de solvabilité de -25%, qu'il a évoqué, et lui demande s'il est normal qu'une banque achète cher et vende à des prix très bas. «Légalement, nous n'avons pas le droit de vendre à perte. Sans émettre un jugement de valeur. C'est très dfficile pour une banque de vendre à perte, parce qu'elle va déséquilibrer ses comptes», répond-il. Les deux avocats de Khalifa, maîtres Mejhouda et Lezzar prennent le relais. Mejhouda veut savoir si Djellab était sur la liste des administrateurs du ministère de la Justice, et le témoin répond : «Posez la queston à la commission bancaire.» Il lui demande s'il a réuni toutes les agences pour évaluer leur gestion et Djellab explique : «Il y a plusieurs manières d'évaluer la banque. Il n'est pas nécessaire de voir tous les cadres au niveau national.» Interrogé sur le trou constaté durant son mandat, il affirme qu'après le redressement du bilan, «nous avions évalué le compte d'exploitation et son déficit. Il était entre 30 et 60 milliards de dinars». Sur la vente des ATR à Air Algérie pour un montant de 90 millions dollars, Djellab déclare : «Arwaiys avait avancé une partie des prix des ATR, il y a eu la proposition de racheter, par Air Algérie, ces avions. C'était une proposition, mais après je ne sais pas ce qui s'est passé.» Cependant, il affirme plus loin : «Le leasing ne transfert pas la proriété, de même que les avions affrêtés. Il faut cependant chercher comment ce leasing a été payé, par quelle décision et avec quel argent, celui de la banque, et d'une manière suspecte, qu'on trouve dans un compte d'ordre. En fait, Khalifa Airways n'avait pas le droit d'utiliser cet argent. Avec quoi allait-elle payer ? Elle traîne une dette de 60 milliards de dinars...» «L'intention n'était pas de liquider la banque, mais de la remettre sur rails» Me Mejhouda lui lance : «Des avions vendus, des sommes récupérées et après 12 ans, le même montant du trou financier. Est-ce normal ?» Djellab réplique : «C'est une question qu'il faut adresser au liquidateur.» Me Lezzar estime que le choix d'un responsable d'une banque concurrente, le CPA, pour administrer El Khalifa Bank, et le sercrétaire général de Air Algérie, pour liquider Airways, n'y a-t-il pas un conflit d'intérêts ? Le témoin : «Je n ai pas demandé la liquidation de Khalifa Airways comme propriétaire mais comme créancier. Les nominations, et je parle d'El Khalifa Bank, sont liées aux compétences et expériences de la personne, elles n'ont aucun lien avec leurs postes, puisque celles-ci sont détachées.» L'avocat demande à Djellab s'il n'a pas été hatif dans sa mission qui a duré 2 mois, alors que la liquidation n'a toujours pas achevé son travail. «Ne confondez pas entre l'administration et la liquidation, qui dure des dizaines d'années. Une seule action de recouvrement peut vous prendre 20 ans. La liquidation est une chose et l'administration en est une autre. Ce n'est pas une question de temps mais d'état dans lequel la banque était. Nous sommes arrivés à une situation qui exigeait une solution. Si elle devait continuer il fallait la recapitaliser.» Me Lezzar revient sur la proposition de Khalifa de mettre les avions dans la recapitalisation et Djellab de répondre : «Ces avions étaient en leasing. Est-ce qu'ils étaient dans mes actifs. Toutes ses filiales étaient endettées. La commission n'avait pas évoqué la cessation de paiement. Elle a parlé de retrait d'agrément parce que la banque n'était plus dans une situation de fonctionner.» Sur la possiblité de faire appel à la solidarité interbancaire, il précise : «Il faut différencier entre les moyens et la proposition de la recapitalisation. Nous avions parlé de la solidarité de place, de l'ouverture du capital, etc., mais est-ce que la commission bancaire considère qu'elle peut aller dans ce sens ou non, sachant qu'elle ne peut aller au-delà de la volonté des actionnaires. La responsablité incombe aux actionnaires et non à la commission bancaire.» Il précise à propos de Khalifa Construction qui était, selon Me Lezzar, en bonne situation, que «la banque n'a aucune relation avec la gestion d'une entreprise. Que voulez-vous ? Qu'on leur donne de l'argent ? Je ne comprends pas. Tout l'argent qui a été dépensé a été pris illégalement, il n'a pas le droit de prendre plus de 20% du capital. Le client, qui était la société apparentée, n'avait qu'à travailler et ramener ses propres ressources». Me Mejhouda signale au président que Abdelmoumen Khalifa veut poser une question à l'administrateur : «Comment pouvez-vous faire un audit sans commissaire aux comptes devant certifier les comptes ?» Djellab : «Tous les chiffres sont détaillés et des experts indépendants ont bien travaillé. Ces chiffres ont été soumis à des certifications, par les conmmissaires aux comptes désignés lors de l'assemblée générale qu'on a convoquée en 2003.»