Entre les objectifs assignés à la Foire internationale d'Alger (FIA), les slogans choisis annuellement pour cette traditionnelle manifestation économique et les résultats enregistrés sur le terrain, le fossé est énorme. Considérée comme le baromètre et la vitrine de l'économie nationale, la foire a perdu au fil des ans de sa notoriété, mais elle a surtout vu son rôle dans le renforcement du partenariat «gagnant-gagnant» tel que répété dans les discours officiels affaibli. En l'absence de réciprocité commerciale, ce sont surtout les entreprises étrangères et les importateurs qui profitent de cette aubaine. Ils sont d'ailleurs nombreux les exposants à aborder ce point. Que reste-t-il donc réellement de cette vitrine dont on ne cesse de souligner l'importance ? Quelle efficacité justement pour la FIA avec l'avènement des Salons spécialisés ? Autant de questions qui s'imposent, notamment en cette période où l'Algérie cherche à réduire ses importations. Mais force est de constater que la foire n'est pas l'occasion propice à la réalisation d'un tel objectif. «La foire nous apporte de nouveaux clients», nous dira un représentant d'une société italienne spécialisée dans les équipements agroalimentaires participant à la 48e FIA, qui prend fin aujourd'hui. Des avis similaires sont recueillis auprès d'autres exposants représentant les firmes étrangères. Certains d'entre eux affirment que face à la complexité du climat des affaires en Algérie, le commerce reste la seule alternative pour pénétrer le marché algérien. C'est le cas pour SDMO, une entreprise française qui produit des groupes électrogènes installée en Algérie via son représentant exclusif, Emire. Au stand de cette société, on n'a pas manqué de nous préciser que la volonté de produire en Algérie ne manque pas. «Cependant, les procédures administratives sont longues», regrette-t-on au niveau du stand de SDMO qui comptait avant 2009 (avant l'obligation du payement des importations via le crédit documentaire) plusieurs représentants. En effet, les conditions dans lesquelles évolue le monde de l'investissement en Algérie ont fait l'objet de nombreuses critiques du côté des opérateurs économiques qui participent à cette 48e édition de la FIA. Idem pour l'environnement économique des entreprises publiques, lesquelles, faut-il le noter, manquent d'innovation. Une simple formalité pour les entreprises publiques C'est le cas pour l'Entreprise nationale des détergents (ENAD). «Contrairement au privé, pour une entreprise publique on n'est pas libre d'innover», reconnaîtra à cet effet le représentant de l'entreprise à la FIA, rappelant que la participation à cette foire est juste une manière «d'entretenir l'image du groupe» dans un marché de plus en plus concurrentiel avec les importations massives de ce genre de produits. D'ailleurs, l'ENAD, selon son représentant à la FIA, détient une part de marché de moins 5%. Un chiffre que la société tente de relever justement à travers la FIA avec la rencontre de nouveaux clients. Et ce, même si l'apport reste faible. «Par rapport à nos attentes, l'apport de la FIA est très faible», nous dira Noui Kamel, de la direction marketing de l'ENAD. Cela pour illustrer que la FIA n'est finalement, pour certaines entreprises, notamment celles relevant du public, qu'une simple formalité annuelle. En d'autres termes, une tradition pour «soigner l'image politique et économique» d'un pays mono exportateur. Les banques et autres établissements financiers, les grandes entreprises publiques et les différentes institutions ne ratent pas en effet la FIA par simple engagement, ou tout simplement en réponse aux injonctions des décideurs sans même présenter de nouveaux produits ou de nouveaux concepts. Aussi, juste pour rappeler aux visiteurs qu'elles arrivent à se maintenir sur la scène économique. Et ce, contrairement aux PME privées qui tentent à chaque édition de proposer du nouveau, même si elles font toujours dans l'imitation. «L'essentiel est d'arriver à attirer les consommateurs et les distributeurs», confie un représentant d'une entreprise privée de l'agroalimentaire. Avec l'approche du Ramadhan, les entités économiques de cette filière au même titre que celles dédiées à l'électroménager et l'électronique n'ont pas manqué d'idées pour promouvoir leurs produits dans l'objectif d'augmenter leurs ventes en cette période propice à la consommation. Sinon, pour l'exportation les objectifs ne sont très importants. Ils sont juste à la hauteur des capacités de ces entreprises contrairement aux quelques grandes PME algériennes qui sont déjà sur le marché de l'exportation, à l'image de Cevital, Benamor, Ifri, Hamoud Boualem, Ngaous et NCA Rouiba. Et pour ces groupes aussi, la foire n'est pas aussi importante puisqu'ils misent déjà sur d'autres moyens pour élargir leurs parts de marché à l'international. Quel intérêt pour la FIA ? «Honnêtement, la foire n'a aucun intérêt, je ne vois pas ce qu'elle apporte pour l'économie nationale. La plupart des entreprises étrangères sont intéressées par la vente», nous répondra un autre exposant. Mehdi Bedrani, propriétaire d'une entreprise de gestion de distributeurs automatiques de boissons, en l'occurrence Pause-Café, est en effet sceptique quant au rôle que peut jouer la FIA dans le développement économique, particulièrement dans le contexte actuel. Aussi, de l'avis de notre interlocuteur, la multiplication des salons professionnels a réduit au fil des ans l'importance de la FIA. «Pour notre cas, il n'y a pas autre chose. Pas de salons ou de forums spécialisé dans le domaine», dira-t-il pour justifier sa participation à la FIA. Rappelant que la foire demeure le principal baromètre d'appréciation et d'évaluation des performances de l'économie au travers la compétition de ses produits, Djillali Kellouaz, expert économique et producteur agricole rencontré au pavillon national de la FIA, estime que c'est une occasion d'apprécier «les écarts qui séparent l'économie nationale des performances réalisées par les économies dites performantes des pays évolués». Cependant, ce genre de manifestations, tiendra-t-il à préciser, bénéficie beaucoup plus aux étrangers. «La logique commande que les foires profitent en premier lieu plus aux nombreux invités de l'Algérie qu'à sa trébuchante ou chaotique économie. Totalement dépendante du produit du brut de son sous-sol et des marchés extérieurs pour la couverture de ses besoins en produits alimentaires de première nécessité, elle ne peut, par conséquent, que servir de débouchés pour les économies les mieux structurées du monde qui viennent en force conquérir son très juteux marché», avancera notre interlocuteur. Et d'expliquer : «Lorsque l'on décroche volontairement d'un cran, on ne peut, bien évidemment, négocier en position de force». D'où la nécessité d'aller, selon M. Kellouaz, à une refonte des fondements de l'économie de manière à soutenir les prix à la production «plutôt que de le faire au stade de la consommation en s'appuyant sur des mécanismes inopérants, caducs et très contestables». Faudrait-il alors tourner la page et renoncer à cette manifestation économique ? «Mesurer les écarts entre l'économie nationale et les économies performantes» «Non pas que la foire soit cette manifestation économique à éliminer, mais plutôt il s'agit d'en faire un véritable moteur de notre économie à travers une très solide stratégie à engager sur ce plan et qui viendrait en substitution du produit pétrolier», répondra M. Kellouaz qui invitera les managers algériens à mesurer lors de telles occasions annuelles la grande distance qui sépare l'Algérie des pays ayant su structurer convenablement leur économie pour en tirer les leçons. Des appels qui émanent également des décideurs. A l'inauguration de la FIA, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, n'a pas manqué d'exhorter les opérateurs économiques à conquérir des marchés à l'international, tout en contribuant significativement à la couverture de la demande nationale. «Vous devez partir à la conquête de nouveaux marchés à l'international, car cela va contribuer au développement de votre compétitivité et à l'amélioration de la qualité de vos produits», s'adressant aux représentants des entreprises nationales appelées également à «multiplier leurs partenaires étrangers dans le but de produire plus, mieux et plus vite». Des recommandations qui n'ont rien de nouveau par rapport aux précédentes éditions de la FIA, mais cette fois-ci la situation urge. Le constat reste le même. «Notre pays s'enlise inexorablement dans cette spirale du sous-développement par manque d'initiatives fertiles et courageuses et de volonté politique à la hauteur des défis qui guettent le pays», regrette M. Kellouaz.